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Retour sur le phénomène Phoenix : Flames Are Dew Upon My Skin d’Eartheater

Retour sur le phénomène Phoenix : Flames Are Dew Upon My Skin d’Eartheater

Eartheater Phoenix
À l’occasion du premier anniversaire de Phoenix : Flames Are Dew Upon My Skin d’Eartheater, notre chroniqueur Charles Wesley revient sur l’impact de cette romance au cœur acoustique, que l’autrice décrit comme étant « pour notre futur post-apocalyptique ».

Au moment de la sortie de Phoenix : Flames Are Dew Upon My Skin, le magazine anglais The Wire lui demandait comment elle avait renouvelé son intérêt pour les sons acoustiques et les arrangements de chambre, Eartheater répondait : « On pense souvent au passé quand on évoque la musique acoustique et j’aime vraiment penser à l’habileté de jouer de la musique acoustique en pensant au futur post-apocalyptique. Quand la merde sera là et qu’il n’y aura plus d’électricité. »

Alexandra Drewchin aka Eartheater est multi-instrumentiste, compositrice, chanteuse et manie audacieusement l’écriture symphonique, une gestuelle électronique et une gamme vocale de trois octaves. Après un an de hiatus, elle commence à peine à tourner pour Phoenix à travers l’Europe. Simultanément, elle écrit pour un orchestre, travaille sur son prochain disque et défile pour Mugler.

Eartheater
© Sam Clarke

Épidermique, cru, le quatrième album d’Eartheater (et son deuxième pour PAN) est paru en octobre 2020, au sein d’une deuxième vague épidémique accompagnée de son lot de craintes et d’incertitudes. Il a été le vent qui a ravivé les braises de l’isolation, aiguisé ses contours pour mieux la faire régner en revanche. 

PAN est un label berlinois connu pour ses productions anti-conformistes, qui promeut des croisements entre musiques pop et avant-gardes. Phoenix vient s’inscrire dans le catalogue riche et expansif de PAN, auquel des artistes comme Objekt, Pan Daijing, ou Béatrice Dillon participent. 

Phoenix est si frais qu’il nous brûlerait presque au creux des tympans. Il m’a fallu une année pleine pour incorporer cet afflux émotionnel venu d’Espagne. Car l’album a été conçu lors d’une résidence de dix semaines à FUGA, en collaboration avec l’Ensemble de Cámara, et a pris sa source aux USA, à New York, là où vit et travaille Eartheater. 

À la différence de ses précédents albums (MetalepsisRIP ChrysalisIRISIRI), versatiles et exploratoires, Phoenix est sans doute son premier format qui tout au long garde une ligne directrice assez classique de songwriting. Ce qui rend cet album important dans sa discographie, c’est sa manière d’y incorporer des embûches, propre à ses débuts, tout en y exposant plus décisivement ses talents de parolière et de chanteuse.

Une guitare tactile et enchanteresse, une voix englobante, rugueuse aux accès alambiqués, un ensemble composé d’une harpe, d’un piano, d’une flûte, d’un violon et violoncelle ; chaque titre ici marque le sillage ouvert de Phoenix où crapahutent vigoureusement ou s’installent délicatement les instruments qui déposséderont le phoenix de son cliché imposant et kitch pour en proposer une fresque baroque poignante, échappant à tout écueil formaliste. 

Phoenix: Flames Are Dew Upon My Skin | Eartheater

La couverture ne lésine pourtant pas sur le cliché ; des ailes braillent implantées dans le dos de la compositrice en plein envol, qui se retourne pour nous fusiller du regard. Mais cet oiseau de la réincarnation, symbole un peu usé, retrouve de sa vigueur lorsqu’il est écrit, interprété et incarné par une femme renversante, à la sexualité assumée : ça brille et crépite au niveau de son postérieur. Un thème au travers de Phoenix qui se poursuit après son titre électro-pop « Supersoaker » (de la mixtape Trinity, 2019) où sa voix, tendue par l’attente gémissait « don’t make me wait, you make me wet, come over ». Aussi, en janvier de cette année elle informait ses followers sur Twitter que son futur album serait « erotica », dont un single sort ce mois-ci.

https://twitter.com/younggummystone/status/1351007591070052363

Explorer son art comme un abîme de sensualité, exprimer sa sexualité pour elle va de pair avec écrire des chansons cérébrales. Dans une interview pour Subbacultcha elle avait confié : « Je suis capable d’écrire de la poésie qui frappe parfaitement mes points de pression comme une aiguille d’acupuncture. ». Coloré rouge ou brun, ou ciselé par le plus froid « Volcano », Phoenix est dominé par des enjeux poétiques telluriques et gratte des extrêmes à en couper le souffle. Sur « Volcano », titre pivot et culminant de l’album, Eartheater, de sa voix ancrée et aérée, chante : « I’m still building mountains underground ». Elle y raconte l’infinitude de sa mission, la dimension corporelle que celle-ci exige. De même, « Below The Clavicle » pose dans un ordre toujours aspiré par le silence ce qui était là, en elle, mais qui n’avait pas atteint la surface.

« How to Fight » marque de son sentiment las en même temps que par sa simplicité qui n’ennuie jamais. La ritournelle de la guitare et les appels rebondissants de la chanteuse sont ponctués par le bois et ses grincements qui font surgir une pulsation épaisse, un pilier dans la purgation. 

Préparée à un avenir décâblé, à notre futur post-apocalyptique, Eartheater aborde ici les instruments acoustiques et surtout la guitare comme un retour à ses sources et une alternative au tout électrique. En taillant cette romance, elle crée une musique durable et ceci participe à la force triste de cet opus. Toujours sur le point de verser une larme, le muscle sexuel de Phoenix nous la fait ravaler dans une physicalité géocentrée. Toujours sur le point de perdre pied les mains frottant l’air, le muscle sensuel de Phoenix nous rattrape dans son durcissement. 

l’Intro « Airborne Ashes » et l’Outro « Faith Consuming Hope » dans lesquels des harmoniques sont répétées confèrent à l’ensemble une dimension dramatique et dessinent une trajectoire émotionnelle, jalonnée notamment par deux interludes. Sur « Goodbye Diamond » les sons s’étirent, glitchés et de grands pas, ras la membrane de votre dispositif d’écoute envahissent l’espace audible. Associée à leur gestuelle parfois ingrate, la voix d’Eartheater crie « Goodbye Diamond, Goodbye », réverbérée claire et ample. Elle émet ensuite un chant plaintif qui s’élève comme si finalement il n’y avait rien à craindre. Un bruit aigu, une fuite tendue entre progressivement, jusqu’à occuper tout l’espace avant de s’enchaîner sec au plus serein « Bringing Me Back ».

« Burning Feather », autre interlude situé en première partie de l’album est comme sculpté par des papillonnements. Un petit grincement l’ouvre : le couvercle d’une boîte dans laquelle nos yeux pourraient pénétrer. Ce son sous-tend le reste du morceau et anticipe sa richesse : nous découvrons ce que nous réserve comme artefacts la boîte. Un trésor fait de samples et de sa voix, en arrière plan, brillante, qui crée de longues traînées, tempérant une orchestration bruitée. Survient à nouveau un son stretché, un traitement synthétique poussé à l’extrême qui côtoie des hululements d’agneaux, des incrustations de basse. L’interlude est conclu par un violon qui sonne comme pour annoncer la fin d’un petit désordre, une chamaillerie abrupte, inoffensive. 

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« Kiss of the Phoenix » représente bien les hybridations possibles à travers l’album entre abstractions électroacoustiques et chansons folk. Dans ce morceau, il n’y a pas la voix d’Alexandra Drewchin mais plutôt des appels filtrés par synthèse granulaire qui traduisent une présence humaine au-dessus d’un paysage mouvementé. Des irruptions boiteuses s’accompagnent de couinements et de motifs écrits pour harpe (ici une des apparitions des musicien.nes du duo LEYA). À son terme, « Kiss of the Phoenix »  se dissout en une abondante réverbération. 

L’aigre-doux, sublime « Fantasy Collision » prend sa source en des eaux ultra lumineuses avant de sillonner les abords sombres d’un souvenir, d’un fantasme. Parfois, la voix est si puissante que le signal ne semble pas capable de tout absorber. Le frottement des cordes, élément cinématique doigté, traverse des états langoureux jusqu’à ce que le chant s’élève presque dissonant. À mesure que la voix se radoucit, elle avance un peu étouffée par le delay, se love contre elle-même, effet de surplace, d’enveloppement.

Sur « Diamond In the Bedrock » Alex Drewchin assure : « Yeah I’m an uncut diamond, I take my time, I don’t feel pressure, Because that’s what made me who I am ». 

Du temps, au-delà de la durée de ses 46 minutes, Phoenix en déploie, et en demande à ses auditeur·ices. Pour apprécier la dynamique de ses contraires, résonner en dehors de son écoute, éprouver ses vertiges et circonvolutions. Un an après, ce disque ne m’a pas quitté car il hybride à merveille des structures musicales classiques à un nerf électronique. Il contient un lyrisme outrancier mais on ne peut lui en vouloir car il est très personnel et tendu par des moyens novateurs. Aussi, je suis l’imprévisible dame sur Instagram, et reste scotché par son agilité à fusionner vulgarité et élégance, flamme et rosée. 

Pour prolonger l’expérience Phoenix, début 2021 Eartheater sortait La Petite Mort Edition, une édition éthérée de l’album, à écouter « après climax ». Ses sonorités apparaissent alors comme de lointains souvenirs. Des fossiles toujours embués de leur substance combustible.


Photographie à la Une : Sam Clarke / Couverture : Daniel Sannwald 

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