Pour son numéro d’été 2018, l’impertinent magazine rennais Bikini commençait son édito par cette question culottée : « Le rock serait-il devenu un truc de gros ringardos? » Fallait oser poser la question noir sur blanc en terre bretonne. Et, heureusement, l’édition 2018 de la Route du Rock apportait une belle réponse, plein de nuances.
Cette édition rassemblait bien quelques têtes d’affiches old school dont Patti Smith. Plus poétesse que rockstar, la grande dame du rock s’est arrêtée, tout sourire, en plein milieu d’une chanson parce qu’elle n’avait pas la bonne tonalité. Pendant son live elle n’a pas manqué de rappeler le triste sort fait aux Palestiniens, et le concert s’est conclu aussi sur un hommage aux décès récents de Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU et de la Queen of Soul, Aretha Franklin. Un engagement et une bienveillance toujours intacts, qui transcendent les questions de générations.
Pour revenir à l’édito de Bikini, la question n’était pas complètement gratuite. Le magazine de la pop culture citait une enquête sociologique d’Emmanuel Négrier et Marie-Thérèse Jourda intitulée « Les nouveaux territoires des festivals », présentée au Printemps de Bourges, qui explicitait que le rap et l’électro étaient les genres de prédilection pour attirer les “jeunes” en festival et donc renouveler les publics.
La Route du Rock suit bien l’une de ces deux bifurcations, en convoquant des piliers des musiques électroniques : cette année, le samedi soir, Ellen Allien – figure de la techno berlinoise -, ou The Black Madonna en clôture le dimanche soir. Sur la plage de Saint-Malo, l’Espagnol Marc Melià a pu déployer toute la délicatesse aérienne de son album Music for Prophet. Ce même samedi, le soir, le compositeur Nils Frahm n’était peut-être pas idéalement placé pour succéder au bouillonnant concert d’Ariel Pink. L’Américain et ses musiciens se sont donnés avec une énergie sauvage, un live déchiré par un instant de grâce lorsque le chanteur a entonné « Baby ».
Dimanche, Forever Pavot peuplait magistralement la plage blindée de corbeaux et d’accords hallucinogènes. Cette dernière soirée de festival était pourtant résolument pop, puisque s’enchaînaient les lives technicolor de Charlotte Gainsbourg, Superorganism, puis de Phoenix : l’héritière de l’homme à la tête de chou, s’est permis de terminer son live sur le sulfureux « Lemon Incest », sans doute pour redonner un zeste de saveur à sa performance très très proche de la version album. Sur fond de lol cats et de crevettes géantes projetées, le jeune groupe britannique d’enfants des Internets n’a pas fait danser que les plus jeunes du public. Les mélodies sont simples, voire simplistes, mais Orono Noguchi, leader du groupe qui opère au chant, fait très bien résonner le spleen de l’ère des réseaux sociaux. Sa présence scénique est à la hauteur de l’ambition perceptible dans ses textes. Affaire à suivre. Les membres de Phoenix ont quant à eux très bien honoré la réputation du festival du Fort Saint-Père en interprétant des versions amplifiée de leur hits, et le public le leur a bien rendu. Le chanteur Thomas Mars s’est accordé deux descentes dans une foule survoltée.
Mais la Route du Rock s’est justement achevée sur un des concerts rock les plus jubilatoires de cette édition, celui de The Lemon Twigs. Les frères D’Addario ont déployé une énergie contagieuse et un jeu de jambes acrobatique pour faire bouger les festivaliers, malgré les deux jours de concerts qu’ils avaient dans les pattes. Ils viennent justement de publier leur deuxième album, Go To School, dont le titre « The Student Becomes The Teacher » fera un très joli pied de nez à cette introduction.