Dans la mode comme dans l’art, le minimalisme se caractérise par la recherche d’un équilibre subtil au moyen de lignes épurées et de formes géométriques réduites à l’essentiel. Je tenais à vous parler d’une femme qui incarne totalement un minimalisme à la croisée de la mode et de l’art : Madame Grès. Loin du simplisme dont est souvent taxé le minimalisme, la pureté des robes de la créatrice dissimule souvent l’extrême complexité de son savoir-faire.
En 1942, lorsqu’elle fonde sa propre maison sous le nom de Madame Grès, Germain Krebs est déjà connue dans le tout-Paris. Celle qui prétend avoir appris le métier en 3 mois seulement, a forgé son style sous le nom de Mademoiselle Alix dans les années 1930. Dans l’atmosphère monacale de ses salons, elle se fait l’apôtre du dépouillement – à une époque où le minimalisme n’est pas encore né en tant que tel.
Ce qui frappe chez Madame Grès, c’est l’intemporalité de ses créations qui vient directement de leur extrême pureté. Extrême, car la créatrice est exigeante. Edmonde Charles-Roux, journaliste et femme de lettres, la décrit volontiers comme « un dictateur déguisé en souris ». Rien ne lui fait peur, rien ne saurait s’opposer à sa volonté. « La perfection est l’un des buts que je recherche ». C’est la clef de sa réussite – ne pas céder à la facilité est nécessaire quand on cherche à réduire l’expression et la création à l’essence même des choses. Ça, et une très grande liberté. Elle ignore tout des techniques du métier mais, loin d’être un frein, cette ignorance lui donne une fraîcheur et un regard libre sur la mode.
Toutes en plis et en drapés, les robes de Madame Grès évoquent sans mal le statuaire grec (même si ce n’est pas une référence revendiquée) et la sculpture moderne. Logique pour une femme qui a affirmé tout au long de sa vie : « je voulais être sculpteur. Pour moi, c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre ». Elle drape directement la silhouette à plat, avec le moins de coutures possibles. Sa technique intuitive lui permet donc de suivre les réactions du tissu et donner ainsi « à la robe [qu’elle crée] une ligne et une forme que le tissu voudrait lui-même avoir ».
Quand j’ai découvert son travail en 2011, j’ai immédiatement été fascinée par ce mélange de simplicité et de complexité, et par l’incroyable modernité de ces créations. A ce moment-là, le Palais Galliera était en rénovation. L’institution lance donc un programme hors les murs qui comprend notamment une exposition des créations de Madame Grès au Musée Bourdelle. Cette présentation, au sein même des collections du Musée, est loin d’être anodine – et semble consacrer l’aspiration qui animait la créatrice à devenir un sculpteur. Au milieu des plâtres et bustes, au sein même des ateliers du Musée, le caractère sculptural des robes de Madame Grès apparaît comme une évidence dans le dialogue qui s’instaure avec le travail d’Antoine Bourdelle (lui-même adepte de la pureté). Alors même que la mode est souvent qualifiée d’« art mineur », les robes sculpturales de Madame Grès, perchées sur leurs socles, démentent ce qualificatif réducteur et affirment l’importance de la mode dans l’art de chaque époque.
Anne-Sophie Furic