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Le minimalisme « hensonien »

Le minimalisme « hensonien »

Le minimalisme a un nom : Keaton Henson.

Pas besoin de chercher plus loin, notre anti-héros minimaliste, c’est bien lui. Bienvenue dans le monde troublant et vertigineux de l’artiste. Établir sa biographie pourrait être pertinent, mais avec Keaton, les choses ne se passent jamais de manière conventionnelle. Car non, personne ne sait qui il est réellement. Sans doute n’est-il pas plus au courant que nous. Peut-être que l’une de ses plus grandes réussites (et elle sont nombreuses!), sa musique, pourra essayer de nous mettre sur la piste de l’identité minimaliste de l’homme qui se cache derrière le nom énigmatique de Keaton Henson.

Le musicien est très peu connu en France, et ça ne semble pas le déranger. Vous pouvez toujours taper son nom sur Google. Vous découvrirez une page Wikipédia approximative, un ou deux papiers des Inrocks sur le mystère Keaton Henson, mais rien de plus. L’homme ne répond aux (rares) interviews, seulement par mail et ne se produit presque jamais sur scène. Le génie serait atteint de « fright stage », autrement dit de tract sur scène. Mais lorsqu’il accepte de se produire devant des centaines de personnes, ce n’est pas dans une simple salle de concert au bord d’une autoroute. Keaton préfère l’authenticité de la Chapelle Sainte-Eustache à Paris ou l’originalité du Manchester Museum.

Le début de la gloire inopportune

La légende raconte que la musique de Keaton Henson aurait pu ne jamais croiser nos chemins. En effet, lorsqu’il signe son premier album « Dear », il n’en produit qu’un exemplaire, pour une jeune femme. Cette dernière, légitimement bouleversée, aurait révélé le talent monstrueux de l’artiste à un grand nombre de personnes. C’est ainsi que son titre « You don’t know how lucky you are » est relayé par BBC 1 radio.

Le feu des projecteurs l’appelle rapidement, mais il ne répond pas et reste tapi dans l’ombre. Difficile de l’en faire sortir. Personne n’y arrivera réellement, a notre plus grand désespoir… Il ne faut pas plus de temps pour percevoir le talent immense de l’humble artiste. Alors qu’il se voyait prédestiné au monde du graphisme, le voilà assis face à un piano et lorsque sa timidité le permet, il laisse échapper quelques sons de sa voix métaphysiquement indescriptible. Loin d’abandonner son « art premier », Keaton continue le dessin, comme support à ses chansons. Il partage même ses travaux ici :

http://www.pertweeandersongold.com/artists/34-Keaton-Henson/works/

L’artiste nous éblouit par sa simplicité. Lorsqu’il interprète « 10am Gare du Nord » pour Cardinal Sessions , il apparaît encore une fois désemparé. Dès les premiers sons sortant de sa voix, le monde semble basculer dans une toute autre dimension. Oubliez la chaleur des rayons du soleil sur votre peau et l’agitation urbaine. Plus rien de cela n’existe désormais. Nous entrons dans le monde de l’artiste, guitariste à ses heures perdues. Mais prudence, il ne faut pas le brusquer, alors entrons par la porte de derrière. Tout est morose tout à coup, on aurait presque le « suicide facile ». Il y fait excessivement sombre mais on y est quand même bien. On ne l’explique pas. Il nous transporte, c’est bien ça le problème. On suivrait ce grand barbu n’importe où. Bon, ok, peut-être pas n’importe où, de peur d’arriver trop rapidement au bord du précipice.

Romantic works ou l’apologie du minimalisme « hensonien »

Dans cet espace tout de blanc immaculé , l’homme, grand et frêle, prend place face à ce majestueux piano. En permanence recroquevillé sur lui même, comme pour se protéger du monde, il semble renaître une nouvelle fois, se dégageant peu à peu de sa position fœtale, se développant sans cesse. Ou bien est-ce un leurre et l’artiste, continuellement courbé, renverrait l’image d’un vieillard ayant acquis la sagesse prématurément. L’artiste est perturbant, rien que par sa présence. Son ami Ren Ford l’accompagne au violoncelle. Rien de plus, rien de moins. Ainsi s’amorce le morceau « La naissance ». Le spectacle est grandiose, transcendant et fait de si peu de choses. Nous voilà presque au paradis, mais Keaton est encore en deuil, vêtu de noir.

Ses albums se suivent et nous font toujours plus découvrir cet éternel amoureux blessé. Pour le dernier en date (Romantic works), Keaton est resté muet (nos regrets ne sont que de courte durée). Il a entraîné son ami Ren Ford dans sa déchéance si belle à écouter. L’écorché vif nous transporte encore une fois dans son désarroi total. « Healah Dancing » en est l’exemple parfait. Les notes lancinantes du violon s’accordent parfaitement à la magie des sons du piano pour nous faire vivre la déchirure et la rupture amoureuses dans leurs aspects les plus bruts.

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Mais alors Keaton, quand esquisseras-tu un sourire ? Le plus tard possible, de préférence. On connaît tous l’histoire de l’artiste qui s’enferme à des milliers de kilomètres de toute civilisation pendant des mois et qui revient parmi les vivants, un album qui respire la joie de vivre, prêt à être édité (après James Blunt, c’est Ray Lamontagne qui nous a bien eus!). Mais Keaton, t’es au dessus du lot toi, tu ne vas pas tomber dans le piège de chanter une vulgaire euphorie ?

PS : Je dois m’excuser auprès de ce cher Keaton Henson. Oui, c’est vrai, je dépeins un portrait extrêmement sombre de sa personne. Je devrais au contraire le remercier. Les matins d’hiver où l’on marche dans la rue, dans le vacarme de la ville et le marasme ambiant, il fait office de guide. Il parvient à faire disparaître toutes ces choses désagréables et créer un monde minimaliste où le vent glacial, les feuilles mortes et la douceur de sa voix cohabitent harmonieusement.

Marine DELATOUCHE

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