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Gwladys. « Les déchets sont la matière première de notre époque »

Gwladys. « Les déchets sont la matière première de notre époque »

Marque d’upcycling lancée fin 2019 à Marseille, Gwladys est la convergence créative entre Hugo et Lamine autour d’une idée : redéfinir le concept du vêtement dit « basique ». Sensible à l’impact écologique de la fast fashion, le duo autodidacte compose, à partir de la masse de ce que l’on jette, des pièces à l’unicité retrouvée. Et puise l’inspiration de ses patchworks auprès des matériaux utilitaires, pour redonner à ces basiques un second souffle durable.

C’est lors de la présentation de leur seconde collection en juillet dernier à Belsunce Projects que nous sommes entrées en contact avec leur univers. Un premier événement physique pour cette marque née à l’aube du confinement comme l’aboutissement d’une prise de conscience, qui nous a donné envie de suivre leur travail et rencontrer les personnes derrière Gwladys. Nous avons retrouvé Hugo et Lamine à l’atelier Dédale à Marseille pour discuter de leur démarche créative, de consommation responsable, et des enjeux qu’implique le lancement d’une nouvelle marque.

© Gwladys

Manifesto XXI – Bonjour Hugo et Lamine, pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Comment est née Gwladys ? 

Hugo : J’ai appris à faire des vêtements tout seul il y a cinq ou six ans, à la base parce que je voulais customiser des t-shirts, au début un peu à l’arrache avec la machine à coudre de mon arrière-grand-mère, puis avec des tutos Youtube. Ensuite j’ai suivi une formation de patronage qui m’a fait passer à l’étape d’après. J’ai aussi beaucoup appris grâce à un mec avec qui je suis sorti qui travaillait dans la haute couture et qui m’a montré des petits skills. Mais surtout c’est à ce moment-là que j’ai décidé de créer une marque, j’ai développé une sensibilité par rapport aux collections, j’ai trouvé une certaine cohérence.

Je savais que je voulais faire de la récupération. De toute manière, j’ai commencé à travailler avec de la fripe ; face à un rouleau de tissu, je suis un peu bloqué. Tout cela m’a donné envie de créer la marque que j’ai lancée l’année dernière. J’ai du mal à aller vers les gens pour développer le truc, du coup j’en ai parlé à Lamine car j’ai eu l’occasion de collaborer avec lui, qui avait l’habitude de travailler dans un showroom pendant les fashion weeks à Paris. À ce moment-là, il travaillait dans un bureau de presse, et je me suis dit que cela pourrait être le moment d’allier nos compétences.

Lamine : Dans ce bureau de presse, on s’occupait de designers émergent·e·s. Ce qui était très intéressant, mais il y avait toujours un côté qui me gênait : tout ce plastique que l’on peut utiliser pour envoyer des fringues, notamment pendant les fashion weeks. Ça allait un peu à l’encontre de ma conscience écologique. Puis il y a eu le covid. À ce moment-là je vivais chez Hugo. On a pas mal discuté et on s’est dit : pourquoi pas s’installer – se réinstaller pour ma part car je viens d’ici – à Marseille ? Travailler ensemble sur Gwladys me permettrait de me retrouver dans mes convictions. Et d’avoir un autre cadre de vie, revenir à mes sources. Ça rejoint ce que je suis, ce que je fais et ce que je cherche. Puis ici il y a tout, la nature, la ville, la mer… 

Hugo : C’est vrai que depuis que je suis à Marseille, tous ces parcs naturels qu’il y a autour m’ont beaucoup marqué. Ma prochaine collection sera pas mal tournée autour de l’univers de la randonnée, en utilisant des matières techniques comme celles des tentes et des voiles. La randonnée, les sports nautiques, ce sont des univers pleins de matériaux, de formes et de couleurs très inspirants. Hyper durables aussi car ce sont des tissus techniques donc de qualité.

D’où vient le nom de la marque, Gwladys ? 

Lamine : C’est son petit surnom.

Hugo : Ca vient d’une soirée, quand je commençais à sortir, fin de collège, début lycée. Je m’étais habillé en fille et on m’avait appelé Gwladys. Mes potes à l’ancienne m’appellent Gwladys en fait.

Quel est votre processus créatif ? Vous commencez par la matière, ou à l’inverse vous trouvez d’abord une pièce qui vous inspire… ?

Pour nous, l’esthétique vient de la technique, qui vient sublimer les matériaux que l’on trouve le plus, c’est-à-dire que les gens jettent le plus.

Gwladys

Hugo : Une fois je suis allé dans un centre de tri, en banlieue parisienne, près de chez mes parents : il y avait des bacs énormes de jeans, de chemises… J’ai fait le plein et ces vêtements basiques, c’est ma matière première, encore triée en grands bacs dans mon atelier. À partir de ce qui est déjà fait, je regarde ce que je peux réutiliser, ce que je peux modifier pour en faire une nouvelle pièce. Je prends, je découpe, je remets, je ré-assemble, et quand je trouve quelque chose qui peut fonctionner, peu importe la coupe initiale du vêtement, je l’applique. Sur une chemise par exemple, tu peux réutiliser le col, la boutonnière. En ce qui concerne les coupes et les formes, j’aime bien la simplicité, me dire que je fais des vêtements qui seront portés plusieurs fois. 

© Gwladys

Donc le résultat final, c’est qu’une pièce rassemble en elle plusieurs pièces…

Hugo : Oui. Par exemple, pour la braguette de ce pantalon, je prends une dizaine de pantalons en mesurant la moyenne des tailles des braguettes et j’en choisis une en fonction. Pareil pour les poches, puis je fais un patchwork. J’ai un tas de pantalons beiges, je pioche au hasard – j’aime bien l’idée qu’il y ait du hasard dans tout ça – puis ça se fait tout seul (rires). Je réfléchis beaucoup en amont sur comment je vais construire le vêtement, pour qu’ensuite, ce soit assez spontané. Cette coupe je peux la reproduire en 40, 42, etc. Mais le patchwork sera toujours différent. 

Lamine : L’idée c’est que la même matière crée des pièces différentes et forcément uniques. 

Vous l’évoquiez déjà, vos créations reposent sur l’upcycling. Est-ce que c’est un choix politique ? Quelles sont ses implications esthétiques ? 

Hugo : Pour moi c’est la manière dont on devrait faire les choses aujourd’hui, tout simplement. Je fais pareil avec le mobilier que je conçois ; la récupération devrait être la façon de fonctionner aujourd’hui. En termes de quantité de vêtements, on peut habiller dix fois la planète… Je vois toute cette quantité de déchets – enfin on parle de déchets mais ce sont des choses que l’on peut utiliser – comme la matière première de notre époque. Cette nouvelle matière que l’on a créée nous-mêmes, c’est une matière malléable, que l’on peut utiliser telle quelle ou modifier pour faire quelque chose de nouveau. Non seulement c’est intéressant esthétiquement car cela apporte des nouvelles voies de création, des nouvelles esthétiques, mais c’est aussi politique car on en connaît tous·tes très bien les enjeux.

Lamine : C’est venu de manière assez naturelle aussi : Hugo a toujours aimé chiner, il n’achète jamais des choses neuves… Cela fait aussi partie du plaisir. C’est aussi regarder quelle couleur va avec telle couleur, etc. Cela fait partie du processus.

Jeans droits, robes à bretelles, t-shirts, chemises… Dans une garde-robe, ces pièces sont considérées comme des « basiques » – et dans l’industrie du prêt-à-porter, comme une manne inépuisable de profits. Pourriez-vous dire que votre démarche s’inscrit dans une relecture sublimée de cette notion ?

On s’inspire du prêt-à-porter dans le sens où il va y avoir un modèle qu’on va pouvoir reproduire, mais les différents morceaux qui le composent en font nécessairement une pièce unique.

En effet, notre démarche est de sublimer des pièces archétypales et basiques et d’en faire une pièce de créateur, quelque chose d’unique par son processus créatif. L’idée est d’avoir ce fonctionnement d’upcycling, des vêtements faits de manière responsable et sans aucune création de matière neuve ; mais de pouvoir quand même le proposer comme du prêt-à-porter, d’un point de vue commercial. C’est peut-être par là qu’il faudrait commencer le changement. 

Gwladys

Quand on regarde la plupart des fripes qu’on utilise comme matière première, on voit que ce sont des vêtements encore en parfait état. Ça veut dire que beaucoup de gens jettent des basiques pour racheter d’autres basiques derrière, ce qui est assez absurde. On essaye de briser cette chaîne en proposant des vêtements simples mais de qualité, et avec une vraie démarche écologique derrière, en espérant que ça pourra retenir les gens de les jeter. Et au pire, s’ils les jettent, on les reprendra pour en faire encore de nouveaux (rires).

Notre démarche, c’est de prendre cette habitude de consommation, pas forcément de la changer totalement, mais de la rendre plus responsable. 

Gwladys

Durant votre présentation en juillet, Lamine nous parlait de la possibilité de créer véritablement sur mesure, que ce soit en matière de taille ou de textures. Comment échangez-vous avec vos client·e·s ? Envisagez-vous de créer des vêtements avec une fonction scénique ?

Lamine : On va sans doute travailler avec un atelier de confection, l’Épinglerie. Certains t-shirts peuvent être faits en série, mais les plus grosses pièces sont réalisées sur commande. Avec Hugo, nous nous sommes dit qu’il était intéressant et important de créer du lien avec nos client·e·s et de prendre le temps. Nous pouvons donc leur proposer de venir à l’atelier, avoir une discussion ensemble sur la pièce souhaitée, de jeter un coup d’œil à nos matières et tissus en fonction du patron qu’ils ont sélectionné, et par la suite, faire des essayages pour la taille et ajuster (si l’on veut de l’oversize par exemple, ou au contraire quelque chose de plus tight).

Pour l’instant, nous échangeons avec nos client·e·s surtout sur Instagram, ou par mail pour tout ce qui est envoi de pièces pour des shoots et/ou clips. En ce qui concerne la dimension scénique, à vrai dire, nous ne sommes fermés à rien et surtout pas à la réflexion. Tant qu’on se sent à l’aise avec la personne ! Il y a plusieurs facteurs qui entrent en compte, si le projet est en adéquation avec le nôtre, avec nos valeurs. Nous avons récemment travaillé avec un DJ (Israfil de Metaphore Collectif) qui nous a contactés pour lui faire un top pour une soirée où il va jouer. C’est important de travailler et de se soutenir entre artistes pour créer quelque chose de commun. 

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Pour l’événement à Belsunce Projects, vous avez invité l’artiste graphique Nejma Boussaïd à investir vos t-shirts et chapeaux. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ? Est-ce que cette forme de co-créativité est importante pour vous ?

Lamine : C’était la première fois qu’on lançait une collaboration, c’est quelque chose qu’on souhaiterait faire de manière récurrente pour travailler avec d’autres personnes, et se soutenir mutuellement.

Hugo : C’était un peu inspiré de ce qui se fait dans le monde du prêt-à-porter : la plupart des marques gagnent de l’argent avec leurs t-shirts floqués au nom de la marque. On voulait reprendre ce principe en le changeant un peu. J’ai fait un t-shirt à base de plusieurs t-shirts découpés en bandes et qu’on recompose ; au lieu d’y apposer « Gwladys », on voudrait travailler avec un·e artiste différent·e à chaque fois, qui va proposer son visuel.

© Gwladys

Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours ? 

Hugo : Depuis notre dernière collection, on a décidé de fonctionner par mini-collections, presque par tenues. Car dans un shooting classique où il y a une douzaine de pièces, on ne les voit pas toutes bien… À notre stade, c’est beaucoup d’énergie. Avec ce fonctionnement, on peut avoir des nouvelles pièces qui arrivent plus régulièrement, et mettre en avant notre processus de recyclage. 

Pour mes prochaines pièces, je me suis inspiré notamment des tentes « 2 secondes » – tu vas sur leboncoin, il y en a des tonnes, que les gens achètent pour un été avant de s’en débarrasser… Ça fait beaucoup de matière, dont tu peux faire plein de trucs ! Je vais les utiliser pour réaliser des sacs, et montrer comment on part de la tente pour arriver au sac à travers un format vidéo. J’ai aussi envie de travailler avec les clubs de voile, pour récupérer les voiles nautiques, et documenter tout ça. 

© Gwladys

Lamine : Avec le covid, quelque chose s’est cassé. Vu qu’il n’y a plus de shows, on n’est plus obligé de suivre un calendrier. C’est le moment de faire les choses de la manière dont nous on l’entend, de ne pas se mettre la pression pour sortir une collection parce qu’il « le faut ». 

Hugo : C’est aussi une manière de répondre à des attentes qui sont problématiques, liées à la fast fashion. On peut avoir envie de nouveautés régulièrement, sans avoir à montrer une tonne de trucs. Mais il y a ce petit renouvellement qui fait plaisir. 

Quelle est votre gamme de prix ?

Un pantalon comme celui que je porte, c’est environ 350 euros, si on passe par un revendeur qui multiplie les prix par deux ; autrement ça tourne plutôt autour de 150, 200 euros. À côté on fait des chapeaux, des accessoires qui sont plus accessibles.

Où êtes-vous vendu ? Comment choisissez-vous vos lieux de vente ?

On est en train de réfléchir au lancement d’un e-shop dans un premier temps, ce qui nous permettra de faire un point sur nos commandes, d’ajuster la production. Puis à un lieu de vente physique, peut-être un showroom, ou pourquoi pas une collaboration avec des boutiques partageant le même fonctionnement qui pourraient nous acheter quelques pièces.

Pour le moment on ne vend pas beaucoup, on fonctionne par le bouche à oreille, ou à l’occasion d’évènements comme le lancement du média Fadas à Buropolis (le 4 septembre dernier) où nous avions un stand parmi d’autres créateur·ice·s, ce qui nous donne un peu plus de visibilité. On tâtonne encore un peu pour savoir ce que les gens aiment, aussi !


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