Et si Kendji Girac faisait son coming out ? Ou M. Pokora ? Ou Louane ? Ou Tal ? Ou Kev Adams ? Et si les Fréro Delavega étaient en couple ? Qu’est-ce que ça signifierait pour la France ? Pour les ados mais surtout les pré-ados ? Pour les ados LGBT ?
Coincé entre la Manif pour tous et une scène queer encore trop pointue ou underground, le jeune ado ou pré-ado LGBT français est toujours en manque de repères et de vrais modèles positifs dans son pays.
Le peu de représentation LGBT parmi les personnalités du PAF [paysage audiovisuel français] ne participe pas vraiment à créer un climat d’acceptation pour ces jeunes.
Parmi les plus connus des ados, on retrouve Jeremstar et Benoît Dubois, tous deux chroniqueurs spécialistes en télé-réalité ; l’un sur Internet, l’autre pour NRJ12. Les deux remplissent une partition bien connue : on tolère leur côté efféminé et leur sexualité car ils sont en charge des potins, des domaines considérés comme féminins et donc futiles.
Ceux qui tentent des incursions dans des émissions plus généralistes rencontrent généralement le mépris pour ne pas dire la violence : Brigitte Boréale a été traitée de « monsieur-dame » et de « pédé » par ses charmants collègues de Canal+ et Matthieu Delormeau se transforme lentement en souffre-douleur de Cyril Hanouna sous les yeux d’un public qui en redemande (il est d’ailleurs intéressant de noter que Delormeau a été d’emblée considéré comme gay alors que ses déclarations laissent plutôt à penser qu’il serait bisexuel).
Pour être homo et tranquille à la télé, mieux vaut être un homme qui pèse suffisamment dans la production pour faire craindre des représailles à d’éventuels détracteurs, comme Marc-Olivier Fogiel, Jean-Marc Morandini, Gérard Louvin ou Laurent Ruquier (et son protégé Steevy Boulay) : des personnalités en place depuis des lustres dans les mêmes émissions avec le même public, et qui ne parlent pas forcément à des ados connectés.
La pop française manque aussi de modèles positifs qui pourraient donner de l’espoir et de la lumière à des jeunes LGBT. Mylène Farmer et Indochine ont réussi à introduire une esthétique tournant autour de l’ambiguïté du genre et de la sexualité, mais personne n’a vraiment repris le flambeau depuis. Shy’m a bien vaguement essayé de devenir une icône gay à grands coups de rouge à lèvres arc-en-ciel et de bisous à ses danseuses, mais c’est plus tristounet qu’autre chose (Madonna et Britney l’ont fait dix ans avant toi chérie…).
Il y a bien quelques demoiselles qui jouent sur l’imagerie bisexuelle (Yelle, Superbus…) ou des hétéros bien-pensants qui s’engagent avec de belles chansons larmoyantes (Calogero, Lara Fabian), mais rien qui ne soulève un vrai engagement profond et festif dans la chanson française. Certains parleront d’Emmanuel Moire ou de Christophe Willem. Mais vous pouvez donner le titre de leurs dernières chansons ? Voilà. Et qui sont parmi les chanteurs qui vendent le plus en ce moment ? Black M et Maître Gims, soit deux anciens de Sexion d’Assaut, groupe épinglé pour son homophobie.
Christine and the Queens est l’une des rares à avoir combiné une pansexualité assumée et un succès populaire. Ce qui est triste, c’est que le public international va finir par l’aimer bien plus que les Français ne l’aiment (si ce n’est pas déjà le cas).
La nouvelle génération d’acteurs ne donne pas beaucoup d’espoir non plus. Adèle Haenel tourne autour du pot de sa relation exacte avec Céline Sciamma. Soko assume sa sexualité, mais lorsqu’on l’interroge sur l’hétéro-washing de La Danseuse, elle nous offre une réponse d’anthologie : « l’idée n’était pas de faire un énième film lesbien » (sic). C’est sûr que des films avec des hétéros, il y en a tellement peu : ça nous manquait, on commençait à être pas bien. Et dans le cinéma plus grand public, c’est le calme plat. Mais est-ce si étonnant que les acteurs n’aient pas envie de faire leur coming out quand certains films comme Camping 3 (plus de trois millions d’entrées, ndlr) ressortent encore et toujours les mêmes clichés sur les gays ?
Pourtant, il y a un vrai besoin de représentation. La France a besoin d’Ellen DeGeneres, de Frank Ocean, de Beth Ditto, de Lady Gaga, de Matt Bomer, de Jodie Foster, de Zachary Quinto et de Chris Colfer. D’une part car c’est ce genre de personnalités sympathiques qui aide à faire évoluer les mentalités, d’autre part parce que le jeune public a besoin de voir des personnalités qui lui ressemblent, et cela inclut des LGBT.
On a besoin de célébrités jeunes, beaux ou belles gosses, brillantes, drôles et sympas qui renouvellent l’identité queer en France. Les ados queers français qui s’angoissent seuls dans leurs chambres ont besoin d’avoir des modèles positifs qui leur parlent. La France ne peut pas garder Muriel Robin et Pierre Palmade comme représentations ad vitam æternam !
Notre prochain président(e) est bien parti(e) pour être un(e) homophobe et la Manif pour tous a laissé des rejetons nauséabonds derrière elle. Face à l’adversité, une pop culture arc-en-ciel et chaleureuse est plus que jamais nécessaire aux jeunes Français. Et ceux qui pourraient la représenter ne sont sans doute pas si loin qu’on ne le pense, si on veut bien leur laisser leur chance.
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Note de mise à jour le 11 avril 2024
L’ado de 2017 manquait de modèles LGBT ; l’ado de 2024 crie « Bravo les lesbiennes », va aux concerts d’Angèle ou de Bilal Hassani et pleure devant Portrait de la jeune fille en feu. Ce n’est pas forcément agréable de sentir un de ses articles vieillir, mais je suis heureuse que ce soit le cas de celui-ci. En sept ans, la pop culture française s’est ouverte, a pris quelques couleurs arc-en-ciel et les jeunes français·es ont désormais des posters de stars LGBT sexy à mettre sur leurs murs.
De quoi se réjouir, mais il ne faut pas de relâcher la vigilance ou s’adoucir pour autant, surtout quand on voit la violence rencontrée encore aujourd’hui par des artistes comme Hoshi ou Billie Eilish. Et même si la représentation est importante, elle a aussi ses limites. D’une part, elle n’a pas empêché la France de sombrer encore plus dans l’extrême droite ; d’autre part, parce qu’une personne LGBT en situation de domination reste un·e dominant·e comme l’ont malheureusement montré les affaires Morandini, DeGeneres ou Louvin.
Il faut savoir brûler ses idoles car, comme Costanza Spina nous le rappelle dans Manifeste pour une démocratie déviante, « l’un des effets du célébritisme […] est de créer une gentrification de la pensée et une homogénéisation des besoins qui finissent toujours par exclure les plus fragiles au lieu de mettre en place des stratégies au plus près du réel ».
La lutte continue donc, sur le terrain et en collectif. Mais certaines victoires ou plutôt certaines portes ouvertes méritent d’être célébrées et j’aime à croire que celle-ci en est une.