DJ et producteur, Jesza impose un éclectisme virtuose en passant aussi bien de mixages électroniques à des productions rap et pop. Manifesto XXI est allé à la rencontre de cet artiste à suivre, juste avant son DJ set à la Positive Education le 9 novembre.
En 2020, Jesza mixait sur Hotel Radio Paris. Le mix ouvre avec une chorale d’enfants reprenant « Jóga » de Björk, suivi d’une track robotique introduisant « King Tap » de Aaron Cartier. On passe d’une douceur enfantine à la rugosité de la trap, en une seconde. Inattendu et éclectique, calé en transitions, Jesza nous a tout de suite interpellés. Il nous a ensuite envoyé une dizaine de projets sur lesquels il travaillait simultanément, qui prouve son avidité de création. Cette semaine, Jesza ouvrira le bal du Positive Education Festival, qui se tiendra à Saint-Étienne du 9 au 13 novembre 2021. L’occasion pour nous d’en savoir plus sur lui à travers une interview.
Manifesto XXI – Quelle était la scène musicale à Saint-Étienne/région Lyonnaise ?
Jesza : Je crois ne m’être jamais trop plongé dans la scène musicale de Saint-Étienne ou même de Lyon. Lorsque j’étais au lycée, l’artiste Danger, originaire de ma ville Saint-Chamond m’inspirait beaucoup. Le fait qu’on soit du même coin m’a conforté dans l’idée que je pourrais aussi y arriver. J’ai ensuite découvert Phazz sur Soundcloud, et le label Polaar tenu par Flore. À part ça je suis beaucoup resté dans ma bulle et j’ai certainement dû rater beaucoup d’artistes de ma région.
Pourquoi as-tu déménagé à Paris ?
J’ai décidé de m’installer à Paris avant tout par amour. Ensuite pour la musique et le boulot : j’ai trouvé un job qui concilie le monde du son et de l’image. J’y ai très vite vu d’autres intérêts, musicalement et humainement. Cette ville facilite les rencontres et ouvre plus aisément le champ des collaborations. Puis, c’est un réel challenge de se mêler à la scène musicale parisienne et d’observer toute cette effervescence de projets.
Est-ce que la production pour autrui te permet d’améliorer tes propres projets ?
C’est une évidence ! Travailler avec d’autres artistes, rappeurs ou non, me fait progresser sur énormément de points. Cela permet de prendre du recul sur sa propre musique : en faisant découvrir mes projets à d’autres artistes, je vois ce qui fonctionne, ou non. Produire pour d’autres me permet de m’ouvrir à des univers nouveaux : c’est très inspirant.
En parallèle, j’apprécie également de mixer et arranger les projets musicaux d’autres. Cela améliore mon écoute et je découvre de nouvelles techniques de mixage, ça me permet de peaufiner leurs univers. Donc, je repense le mien à la fois. J’aime souvent prendre en exemple l’artiste Mike Dean pour qui j’ai beaucoup d’estime et d’admiration. J’aspire à être reconnu pour avoir produit ma propre musique, celle des autres et aussi pour mes qualités d’ingénieur du son.
J’apporte une attention particulière au mixage et au mastering. C’est la raison pour laquelle je me suis attelé à apprendre à le faire par moi-même. Cela me permet également d’apporter une fois de plus ma patte, un son qui me différencie de la masse musicale.
Où produis-tu à Paris ?
Dans ma chambre pour l’instant, en home studio. J’ai eu la chance d’être invité dans quelques grands studios parisiens avec différents artistes. J’aime bien pouvoir travailler de chez moi, mais j’avoue avoir l’envie également de trouver un espace de travail en dehors. Que ce soit seul ou un endroit partagé avec d’autres producteurs ou musiciens. Avis à ceux qui me liront et qui sont dans la même situation, mes DMs sont ouverts (rires).
Peux-tu nous parler des artistes que tu as produits ?
J’ai produit pour des rappeurs de mon collectif POSA : Anubis, Sahad, Youss Poussif et Zed Yun Pavarotti tous originaires de Saint Etienne et ses alentours.
Actuellement je travaille sur un projet commun avec l’artiste Fang The Great, un excellent chanteur/rappeur. Après avoir entendu ses chansons via différents contacts que l’on a en commun, j’ai vite pris l’initiative de le contacter. Sa voix et son univers m’ont tout de suite inspiré. Je lui ai envoyé quelques prods faites pour lui sur mesure et la magie à tout de suite opéré. Résultat, un EP 8 titres sortira dans les prochains mois.
Je travaille également en étroite collaboration avec le rappeur Annie Adaa que j’ai découvert un après-midi chez un ami et excellent producteur (Schumi1), que je remercie d’ailleurs pour la mise en relation. Pareil, bonne alchimie, on a commencé par créer un morceau puis dans notre lancée, on s’est mis à collaborer sur de nombreux autres. Il devrait sortir son EP courant d’année prochaine dans lequel on pourra trouver 3 de mes productions. Le reste produit par Jim Casanova, un producteur très talentueux.
Lequel de tes projets personnels à un penchant rap ?
En soi, tous mes projets ont un penchant rap, en tout cas sur les productions musicales, car je ne rappe pas personnellement. Sur certains, cet attrait peut être plus dissimulé, et sur d’autres il est plus affirmé, mais il y a toujours un petit quelque chose dans mes productions. Ce sont des réminiscences de mon amour pour le rap. Principalement dans mes rythmiques, les beats de mes productions, mais aussi dans l’arrangement des morceaux, le choix des sonorités de synthétiseurs, etc..
Peux-tu nous en dire plus sur Pelican Fly ?
Pelican Fly est un excellent label belge fondé par DJ Slow et Richelle. Ils m’ont énormément influencé avec leurs collaborations avec des artistes comme Cashmere Cat, Sinjin Hawke ou Mister Tweeks, pour ne citer qu’eux. Lorsque j’ai découvert Pelican Fly, je les ai de suite contactés afin de leur faire écouter ce que je préparais. Après plusieurs semaines d’échanges de messages sur Soundcloud, nous sommes partis sur une première collaboration. Pour moi PF est à l’image de leur logo, une cage d’oiseau ouverte. Le fait de laisser l’artiste évoluer comme bon lui semble, ne l’enfermant pas dans un seul style musical, dans une seule façon de penser ou de voir les choses. La cage reste ouverte, et j’aime beaucoup cet état d’esprit.
Penses-tu que ce soit primordial d’avoir un label aujourd’hui ?
C’est une vaste question, la réponse sera différente en fonction de chaque personne. Fin 2021 je ne crois pas que ce soit primordial d’avoir un label pour sortir sa musique. Il y a aujourd’hui un tas de solutions, de sites internet, plateformes, qui permettent de sortir sa musique et de la faire vivre seul en indépendant. Je crois néanmoins qu’être entouré d’un label peut toujours être bénéfique pour un artiste. Tout dépend bien entendu de quel label il s’agit et de ce qu’il recherche en les approchant.
Lorsque je me suis rapproché de Pelican Fly, c’était avant tout pour faire découvrir ma musique à des artistes que j’admire. Je crois aussi que c’était dans l’idée d’obtenir une validation de mes pairs. Et puis, j’étais aussi à la recherche d’un accompagnement, j’avais besoin d’être guidé, presque drivé pour atteindre des objectifs.
Et tu as pu avoir quelques premieres sur des medias…
Oui, le track « If You … Tonight » en collaboration avec Jaymie Silk, en avant premiere sur Mixmag.
« Dephazer » en collaboration avec Mister Tweeks, sur Trax Mag, issu de l’EP confectionné en Belgique lors du premier Camp de Pelican Fly.
« Humanity » a été en premiere sur Insert, très bon blog musical et « Cycle » sur Couvre x Chefs également un très bon blog musical.
« Wolves » issu de l’EP Humanity a été en premiere sur Mixmag.
Que penses-tu de l’auto-promotion que doit faire un·e artiste aujourd’hui pour faire rayonner son travail ?
C’est quelque chose de primordial et d’incontournable. Je fais de la musique pour qu’elle soit partagée et il faut donc tenter de faire connaître sa musique et de se distinguer. Je crois que c’est quelque chose qui gêne un bon nombre d’artistes. Soit iels n’ont pas un penchant pour l’entrepreneuriat, ou iels ne sont pas à l’aise avec l’aspect commercial de la musique. Le tout est de trouver la méthode qui corresponde, il n’y a toujours pas de recette magique pour se faire connaître et j’aime à penser que c’est le travail qui paie au final.
Tu te déclares « geek sentimental », pourquoi ?
(rires). Honnêtement c’est une formule que Richelle [de PF] a trouvé pour me décrire et je dois dire qu’elle est appropriée. Tout d’abord parce que je suis profondément un geek de la musique. Je suis passionné par tous les aspects de la conception musicale et notamment par le mixage sonore. Le côté sentimental, c’est le reflet de mon caractère et de ma musique qui est très spontanée. Je compose beaucoup pour exprimer mes émotions.
Qu’est-ce qui te procure le plus d’émotions dans la musique ?
Vaste question, mais je pense sans trop réfléchir que ce sont les lives. Jouer et produire de la musique seul ou à plusieurs en studio, que ce soit tard la nuit ou tôt le matin m’impacte également beaucoup. Ce que j’affectionne particulièrement, ce sont les accidents musicaux qui se produisent en session studio. Hâte de faire découvrir au plus grand nombre ces heureux hasards. Mais le live c’est encore une autre dimension, d’autres émotions et énergies. J’espère d’ailleurs pouvoir bientôt finir tous ces projets sur lesquels je travaille et les faire découvrir lors de festivals ou de concerts.
En tant que vrai geek musical aussi, quels sont tes instruments numériques, logiciels favoris ?
De loin le virus TI est mon arme de prédilection depuis un moment maintenant, un synthétiseur ultra puissant grâce auquel je peux faire des basses ou des pads somptueux. J’utilise aussi un Dave Smith Pro 2, excellent pour des basses et un son très texturés. J’aimerais beaucoup avoir un Moog Voyager et m’essayer à des systèmes de synthèse modulaire. Pour la partie logiciels c’est Ableton qui m’a conquis depuis longtemps aussi, ce logiciel ne cesse de s’améliorer… Il est si pratique pour faire des performances en live également que je ne pourrais plus m’en passer.
Niveau VST et Plug-in, mes favoris du moment sont la suite Soundtoys pour donner du caractère et texturer des sons, la suite Slate Digital et FabFilter pour le mixage et quelques plug-ins de la suite Universal Audio qui sont d’excellente qualité.
Jesza sera en DJ set au Positive Education Festival mardi 9 novembre.
Vous pouvez suivre Jesza sur Bandcamp, Soundcloud, & Instagram.