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Sur Internet, l’autisme devient politique

Sur Internet, l’autisme devient politique

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Juin 2018, on apprenait la future adaptation au cinéma de la BD Les petites victoires de l’auteur québécois Yvon Roy. L’annonce suscitait alors de vives réactions sur Twitter avec #BoycottlesPetitesVictoires. Un débat qui révèle que ceux qu’on appelle généralement les autistes, veulent faire bouger les lignes et écrire eux-mêmes leurs représentations.

L’histoire ? La vie d’un père s’effondre le jour où il apprend que son fils est atteint d’autisme. Après avoir vu “son monde s’écrouler”, il décide de prendre le taureau par les cornes et d’entraîner son fils chaque jour à sortir de sa bulle et à passer “au-delà” de sa “maladie”. Le synopsis de cette BD n’aurait sans doute pas perturbé grand monde il y a encore quelques années. Beaucoup auraient même loué la force de ce “père courage” qui “affronte la maladie”.

Aujourd’hui encore, beaucoup d’associations telles que Autism Speaks ou Vaincre l’Autisme continuent à porter la représentation de l’autisme comme d’une maladie dont il est possible de guérir. Ils mettent en avant la souffrance (immense) des parents et la nécessité (absolue) des autistes à surmonter leur handicap pour s’intégrer dans la société.

Un discours qui aujourd’hui ne passe plus chez beaucoup de personnes autistes.

« L’adaptation filmique promet une plus grande diffusion de certaines idées potentiellement dangereuses de ce récit ainsi que d’une invariable même représentation de l’autisme (pas seulement sous forme d’un petit garçon qui fait des crises, mais aussi : l’autisme comme le problème en soi, le combat des parents contre l’autisme). Un peu problématique. » – Le blog de la Girafe

Comme pour beaucoup d’autres minorités, les réseaux sociaux permettent aujourd’hui aux autistes de prendre une parole invisibilisée jusqu’alors. Une forme de militantisme hybride, très écrit et assez peu encadré par des portes-paroles ou des associations se développe. Une parole brute, disparate mais limpide et forte qui remet en question le discours officiel tenu jusqu’alors sur l’autisme mais aussi toute la pensée dominante sur la maladie mentale et le handicap.

Qui est malade ?

Qu’est ce qui ne passe plus dans le discours de Yvon Roy et de toutes ces associations ? Tout d’abord la perception de l’autisme comme une maladie. Ce que revendiquent aujourd’hui les personnes concernées c’est d’être considérées désormais comme neuroatypiques : des personnes qui ont un fonctionnement psychique différent mais qui ne constitue ni une tare, ni une souffrance, ni un poids.

Les termes neurotypiques et neuroatypiques sont des néologismes crées par la communauté autiste anglo-saxonne pour distinguer les personnes rentrant dans le spectre des troubles autistiques des autres. L’utilisation de ces termes est aujourd’hui revendiquée pour sortir du lexique désignant l’autisme comme une maladie.

« Ironiquement, mon mode d’interaction avec mon environnement est décrit comme étant “mon monde à moi”. Mon existence, mon intelligence et ma personne sont jugées sur une partie très limitée des interactions que je peux avoir avec mon environnement. Ma manière naturelle d’interagir et d’interpréter est si différente des conventions qu’elle n’est pas même pas considérée comme une pensée. » –  Amanda Baggs

Elles souhaitent que la société fasse désormais un travail d’inclusion et non d’assimilation à marche forcée : avec des aménagements sur les lieux de travail, des processus administratifs adaptés, un personnel médical formé à ces questions, etc.

Ce qui doit surtout changer selon elles, c’est la focalisation du discours sur les parents d’enfants autistes qui masquent complètement la souffrance et les besoins des personnes concernées.

« Les parents d’autistes ont tout à fait le droit de dire « c’est frustrant que mon enfant n’accepte pas les câlins ». La limite de la décence est dépassée lorsque l’on oblige ou dresse un enfant autiste à les accepter, pour notre confort affectif. Pourtant, quand un chat feule et nous fait comprendre qu’il ne veut pas être papouillé, on lui fout la paix. » – Julia March aka “La Fille pas sympa”

Cette confiscation du discours par les parents explique cette volonté d’intégration et d’autonomisation de ces enfants à tout prix : ce qui a entraîné des prises en charges plus que discutables, de la psychanalysation à la méthode ABA (souvent présentée comme miraculeuse par les familles et les médecins), les errances ne manquent pas…

À l’autre bout du spectre autistique, les autistes dits “hauts-fonctionnels” et les Asperger doivent subir une fascination souvent malsaine pour leurs hautes capacités intellectuelles (réelles ou supposées) : une fascination entretenue par la pop-culture avec des films comme Rain Man ou des séries comme Big Bang Theory. Le mythe de l’autiste maître des chiffres est si ancré qu’il intéresse même désormais les chasseurs de têtes de la Silicon Valley.

« C’est une croyance populaire que n’importe quel autisme est Dustin Hoffman : ce n’est pas vrai. » – Rosie King, à l’occasion de son TED TALK « Comment l’autisme m’a libéré de moi-même »


Neuroatypiques et politiques

Pour contrer ces égarements et mieux pallier aux difficultés quotidiennes des personnes autistes, celles-ci militent pour que le discours autour de l’autisme ne soit plus médical et encore moins compassionnel mais politique. L’autisme – comme tous les autres handicaps – ne doit plus servir des discours misérabilistes ou encore pire “inspirants” pour les personnes valides et/ou neurotypiques.

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« Le bonheur des autistes n’intéresse pas les neurotypiques. Surtout pas ceux qui nous voient comme un truc défaillant qu’il faudrait réparer. De quel droit serions-nous heureux, alors qu’eux restent empêtrés dans leurs esprits étriqués, convaincus d’être la norme, ce qu’il « faut » être? Je n’ai jamais eu autant “d’amis” que quand j’étais malheureuse. Ça les rassure, de nous avoir sous le coude, comme faire-valoir. À partir du moment où nous accédons au bonheur notre existence perd tout intérêt, à leurs yeux. S’ils ne peuvent plus se rassurer sur leurs vies en nous voyant misérables, à quoi bon? Qui va donc leur fournir leur dose de pathos, désormais? Non, c’est vraiment trop injuste. » – Julia March

Certains militants autistes poussent à la prise de conscience en retournant le stigmate, en mettant le nez des neurotypiques dans leurs contradictions et en montrant l’absurdité et l’étrangeté des codes sociaux. De manière générale, l’effort d’adaptation des autistes au monde des neurotypiques et la fatigue psychique et physique qui l’accompagne n’est désormais plus jugée comme nécessaire et allant de soi.

« La manière dont les gens comme moi pensent est prise au sérieux que si nous nous exprimons dans votre langue (note : celle des neurotypiques). Je trouve étrange que l’incapacité d’apprendre votre langage est vu comme une déficience mais l’incapacité à apprendre le mien est si intégrée que les gens comme moi sont considérés comme étranges et mystérieux. Nous sommes considérés comme non-communicatifs alors qu’aucun effort n’est fait pour communiquer avec nous dans notre langage. » – Amanda Baggs

De la même façon que les personnes sourdes ont lutté (et luttent encore) pour faire valoir leur langue comme une culture à part entière, et non comme un palliatif au langage oral, certains militants autistes font valoir leur mode d’interaction et d’interprétation du monde comme une culture et une pensée légitime et non comme une déviance ou une pathologie. Ils revendiquent d’ailleurs le terme autiste comme un élément définissant leur identité, ce qui ne fait pas forcément l’unanimité chez tous les militants…

Dans le monde anglo-saxon, les choses avancent réellement et le militantisme s’organise grâce à plusieurs associations et des manifestations comme l’Autistic Pride Day. En France, le retard général sur la question de la prise en charge se ressent mais les choses avancent doucement grâce à des personnalités comme le philosophe Josef Schovanec ou l’autrice Julie Dachez qui ont attiré l’attention des médias.

Au-delà de la défense des causes individuelles et des différences de point de vue, cette reprise en main du discours par les concerné-es permet non seulement de lire le handicap différemment mais aussi le monde et les pratiques sociales. Loin de l’inspiration-porn et du tire-larmes, ce combat est celui de l’acceptation et d’égalitarisme, le vrai, pas celui que l’on peut utilise comme paravent à nos frustrations.

« Somme toute, je n’échangerai ni mon autisme, ni mon imagination pour rien au monde. » – Rosie King

 

Plusieurs ressources pour explorer le sujet:

  • Julia March aka La Fille pas sympa, autiste fière, militante de la neurodiversité, féministe et blogueuse, qui a retracé son parcours dans un livre éponyme
  • Julie Dachez, diagnostiquée Asperger à l’âge adulte, qui raconte sa longue découverte et son acceptation d’elle même dans la BD “La Différence invisible”. Elle se bat pour mieux faire connaître les signes et les spécificités de l’autisme chez les femmes.
  • David Finch, journaliste et auteur pour le New York Times, qui explique comment Asperger peut sauver un mariage dans son dernier livre autobiographique. Il fait également partie de l’équipe scénaristique de la série Netflix Atypical.
  • Amanda Baggs, militante américaine pour les droits de l’autisme et autiste non-verbale : sa vidéo “My Language” expliquant sa manière d’interagir avec le monde, publiée en 2007 sur Youtube médiatisera son combat. Elle continue aujourd’hui d’écrire et de bloguer et de se battre pour la reconnaissance de la dignité des personnes atteintes de handicap.

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