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Hélène Mastrandréas au Chéries-Chéris. « Le désir et le rejet sont inséparables »

Hélène Mastrandréas au Chéries-Chéris. « Le désir et le rejet sont inséparables »

Vourkoti est une histoire de désir, celui entre Estelle et Juliette, mais aussi une histoire de rejet, celui qui mène la première à entamer un voyage initiatique constellé d’erreurs et de méditations. Périple intérieur, à cheval entre rêve et réalité, le film est une ballade dans les paysages ancestraux des îles grecques. Une quête charnelle et mentale entre le bien et le mal, à la découverte de soi.

Coup de cœur du festival Chéries-Chéris de cette année, Vourkoti est le premier film d’Hélène Mastrandréas avec Camille Rutherford, Fleur Geffrier et la participation de Régina Demina. Rencontre avec la réalisatrice.

En salle dimanche 25 novembre au MK2 Quai de Seine

Séance Courts Métrages Lesbiens

© Mélanie Davroux et Gabriel Berrios

En regardant Vourkoti, je me suis interrogée sur la définition de film « queer » : je me suis demandée si ce terme tenait plus à un type de contenu ou à une esthétique singulière. Est-ce qu’on peut dire que ton film est queer ? Qu’est-ce que cela veut dire pour toi ?

D’une certaine façon il l’est car il parle de l’histoire d’amour entre deux femmes, de l’acceptation de soi et de sa sexualité entre autres. Mais en effet il n’y a pas que ça, c’est aussi une histoire de rupture et de quête spirituelle.

Je pense qu’un film queer est un film rattaché à une communauté, qui la raconte d’une certaine façon. On peut aussi parler d’esthétique « queer », mais les films de ce genre sont tellement différents. Cet adjectif me fait tout de suite penser à Kenneth Anger, par exemple.

Dans un tout autre registre, mais toujours queer, en mode « premiers émois lesbiens » légèrement cliché, My summer of love, un truc sorti en 2005 avec Emilie Blunt, que j’ai regardé quand j’étais ado. Ça se passe en Angleterre, et c’est tourné dans des campagnes chicos. C’est attirant et perturbant à la fois.

Qu’est-ce qui te plaît dans le cinéma queer ?

Un certain côté subversif, une certaine intensité. Un truc dérangeant, constitué par le fait qu’on n’a pas l’habitude de voir ce qu’il y a à l’écran. Par association, j’aime bien ce qui sort de l’ordinaire.

Dans ton film, plus que l’histoire entre les deux filles, je retiens la quête initiatique qui se déclenche à partir de leur rupture. Leur relation me semble un prétexte pour raconter autre chose. Qu’en penses-tu ?

La quête initiatique est présente, certes, mais il y a aussi quelque chose qui est très connecté à la chair.

Concrètement, j’ai commencé à écrire ce film à partir de la scène d’amour. Je voulais parler de désir et de répulsion.

Le désir et le rejet sont inséparables.

A partir de là, en effet, se déroule toute la réflexion d’Estelle, l’héroïne principale. Elle est en quête de lumière mais pour y arriver, elle ne fait que des erreurs de parcours. Ce n’est pas des bonnes pensées, ni une belle façon d’être au monde.

Une quête d’harmonie qui se fait dans le chaos ?

Oui, c’est comme quand tu déménages et que pour faire de l’ordre tu passes par une phase où c’est le bordel total. Là-dedans, tu peux te perdre. C’est ce qui arrive au personnage principal.

Pourquoi tu as commencé par la scène d’amour ?

Intuition, instinct. Je ne sais pas, ça me faisait marrer. C’est un truc que j’aime regarder esthétiquement.

Tu regardes des films érotiques ?

J’ai vu des films d’Ovidie, évidemment, d’Erika Lust, Emilie Jouvet, One night stand. Après il y a des films où ce n’est pas le sujet mais c’est présent quand même.  Je pense par exemple à Zabriskie Point, qui m’a beaucoup marquée. Il y a une scène de sexe ultra intensifiée, où la sexualité est sublimée, il y a une sorte de violence latente. De critique de l’ordre établi.

Les scènes de sexe doivent servir un propos et accompagner un personnage. Si elles n’ont aucun but ce n’est pas intéressant.

Ton film me paraît construit sur un contraste. Il y a un côté spirituel et contemplatif et en même temps une noirceur propre au personnage principal. Qu’en penses-tu ?

Il y a une forme d’innocence chez ce personnage qui est dans une envie naïve de beauté. Le contraste vient peut-être de ça.

Le voyage vers Vourkoti est-il une fuite ou un retour aux sources ?

C’est un retour aux sources raté. Elle fait clairement de la merde, donc elle se fuit elle-même.

Au final, toute cette histoire de violence et de fuite, c’est une réalité ou un délire mental ?

Je voulais jouer sur les deux tableaux. Là est toute l’ambiguïté. Dans ma tête, ça penche plus du côté du fantastique où tout ce qui se passe est vrai. En même temps il ne l’est pas.

Un film surréel qui n’a pourtant pas l’esthétique habituelle d’un film fantastique…c’est peut-être ce qui le rend aussi perturbant. Toute cette folie, finalement, paraît complètement normale.

Ce qui m’intéresse ce sont les perceptions. Les sensations, les pensées, tout est réel mais il est intériorisé habituellement.

J’aime l’idée de faire exister une sensation au cinéma qui ne peut pas exister naturellement par ce média.

Tout cela est très mental, j’aime bien me faire retourner le cerveau je crois.

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La violence des émotions que tu mets en place et la gravité des choses qui se passent viennent contraster ton univers, qui est quand même tout sauf violent. Au contraire. Le décor est plutôt apaisant.

C’est quand même plus intéressant les contrastes. Surtout quand on en vient au bien et au mal, quand les deux sont entremêlés. J’aime que le cinéma soit un exutoire et une intensification du réel.

Pour qu’il y ait équilibre, il faut qu’il y ait du mal et du bien et que les deux ne tombent pas dans des évidences.

Ça me fascine la frontière entre les deux, et surtout la normalité de la violence, comme dans Vénérable W. Le moine, dans le film, pense faire le bien alors que c’est un taré, il a provoqué un génocide, mais le mal chez lui n’est perceptible que par des petites phrases, que par des détails. J’ai l’impression que quand les gens font le mal, ils n’ont pas conscience que c’est le mal et qu’il y a donc une sorte d’innocence là-dedans.

© Hélène Mastrandréas / Régina Demina

Peux-tu nous parler un peu des choix musicaux que tu as fait pour ce film ? 

La musique est nourrie d’influences orientales, je suis très touchée par cette esthétique. La chanson sur laquelle Régina Demina danse a été composée par Rémi Boubal, je l’ai d’abord écrite en anglais et ensuite elle a été traduite en grec. La musique de la fin est un chant liturgique traditionnel.

Dans le chant grec il y a ce côté tragique, crié, déchirant. Une mise en scène des émotions, notamment dans les amanedes.

J’aime des musiciens comme Acid Arab (ndlr, interview ici), Johan Papaconstantino (ndlr, interview ici), Léna Platonos…

Un mot sur les actrices, Camille Rutherford, Fleur Geffrier et puis Regina Demina, qui apparaît dans une performance de pole dance…

De Régina, j’aime la présence, ce qu’elle dégage. Je trouve qu’elle a un truc extrêmement beau et touchant. Camille, donc Estelle, est souvent dans un registre comique et en même temps, elle a un truc très intérieur qui collait bien au personnage. Un peu brut mais sensible en même temps.

Je ne voulais pas d’un couple de filles trop cliché, où l’une joue la meuf et l’autre le mec. Il faut transcender cette image. Fleur, qui joue donc Juliette, a un truc hyper féminin que je voulais justement déconstruire dans le film. Elle incarne une féminité plus stéréotypée, plus collée à ce qu’on attend. Le film voulait aussi détruire cette notion de féminin qu’il est urgent de questionner.

Et la Grèce ? 

La Grèce est fascinante par sa nature brute et sauvage. L’endroit où le film est tourné est assez particulier. On est très haut, et la mer s’étale à l’infini. Ça donne le vertige : on a l’impression d’être arrivé au bout du monde.

Hélène Mastrandréas surInstagram

En salle dimanche 25 novembre au MK2 Quai de Seine

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