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Les nouvelles femmes de droite : à la conquête du féminisme

Les nouvelles femmes de droite : à la conquête du féminisme

Dans son ouvrage paru aux éditions Hors d’atteinte le 17 février dernier, la politiste Magali Della Sudda livre les résultats de son étude sur les « nouvelles femmes de droite ». Un travail qui permet de retracer l’émergence de figures et de mouvements féminins de droite et d’extrême droite.

Dans le flot des mobilisations féministes, intensifiées depuis le mouvement #MeToo et le cadrage sur les violences sexistes et sexuelles, s’imposent des discours à contre-courant, portés par des militantes conservatrices issues de milieux de droite et d’extrême droite. Elles fustigent les mouvements féministes contemporains et plaident pour un retour des valeurs traditionnelles, tout en réinvestissant pour certaines les pratiques et discours féministes qu’elles remplissent d’un contenu en cohérence avec leur projet politique. En pleine campagne présidentielle, ces enjeux apparaissent d’autant plus cruciaux que pour la première fois, ce sont deux femmes qui sont candidates dans les deux principaux partis de droite et d’extrême droite. Et elles usent d’une rhétorique féministe inédite : Valérie Pécresse, devant Jean-Jacques Bourdin le 18 janvier dernier, dénonçait la « loi du silence » qui entoure les violences sexuelles faites aux femmes. Ces prises de position déconcertantes ne peuvent être comprises qu’à l’aune de la dernière décennie – une histoire que déplie formidablement Magali Della Sudda dans son ouvrage Les nouvelles femmes de droite, dans lequel elle revient aux racines de ces mobilisations inattendues et multiformes dans les milieux de droite et d’extrême droite.

La rhétorique sur l’égalité de genre permet à ces courants de dénoncer le patriarcat des autres, celui des pays non-occidentaux, pour mieux imposer un projet anti-islam et anti-immigration.

Un militantisme féminin d’extrême droite

À l’origine de cette étude, un étonnement : au tournant des années 2010, on voit apparaître une génération de femmes, souvent jeunes, qui occupent une place de plus en plus visible au sein d’organisations, mouvements et partis d’extrême droite. Récemment, le cas de l’ancienne porte-parole du désormais dissous mouvement Génération identitaire, Thaïs d’Escufon, est emblématique. Sa présence médiatique et son utilisation intensive des réseaux sociaux en ont fait une figure connue et reconnue des identitaires d’extrême droite. Affichant explicitement une posture antiféministe, elle diffère en cela des militantes du collectif Némésis, créé en 2019, qui se réclament d’un « féminisme identitaire ». Également visibles médiatiquement – la chercheuse note par exemple qu’Alice Cordier, présidente du mouvement, se présente sur ses comptes Twitter comme intervenante régulière dans Touche pas à mon poste –, elles investissent l’espace militant en problématisant les violences sexistes et sexuelles au prisme de leur lutte anti-immigration. 

C’est donc sur le terrain de ce qu’elle nomme les « nouvelles femmes de droite » – reprenant ainsi le concept de « right-wing women » théorisé par l’américaine Andrea Dworkin en 1983 – que s’aventure Magali Della Sudda. Grâce à une étude menée pendant six ans et mêlant différentes techniques de recueil de données (ethnographie, observation en ligne, entretiens), elle parvient à reconstruire méticuleusement l’histoire de l’émergence de ces figures et mouvements féminins inattendus. Pour tenter de définir cette nébuleuse, l’autrice délimite le groupe des femmes qu’elle étudie en se concentrant sur celles qui défendent un projet politique conservateur ou restitutionniste [valorisant une société précapitaliste, ndlr]. Leur principal point commun : une opposition farouche aux féministes contemporaines et aux politiques d’égalité de genre portées par le gouvernement à partir de 2012.

Elles développent un discours fondé sur la valorisation du « féminin » et la défense d’une prétendue et essentielle complémentarité entre les sexes.

La Manif pour tous, un tournant « anti-genre »

Pour cerner l’émergence de ces mouvements, il faut retraverser les années Manif pour tous, qui constituent un tournant majeur dans l’histoire des mobilisations des droites françaises. S’unissent en effet à cette période des voix conservatrices éparses. Des groupes de droite et d’extrême droite, à dominante religieuse catholique, se rencontrent. Ils battent le pavé chaque dimanche dans un but commun : s’opposer aux politiques d’égalité de genre du gouvernement et combattre la « théorie du genre », qu’ils estiment menaçante pour l’ordre social et familial. Selon l’autrice, on observe à partir de ces années-là une « recomposition des forces politiques et partisanes de droite autour des questions de genre », c’est-à-dire une mise à l’agenda de questions jusqu’alors peu investies par les mouvements de droite, qui se décloisonnent. Ce moment est fondateur, et rend visibles différentes figures féminines, comme Frigide Barjot et Ludivine de La Rochère, qui défendent la famille hétérosexuelle, et avec elle, une vision conservatrice des rôles sociaux de genre. 

Mais s’ils ne soutiennent pas les politiques d’égalité de genre portées par le gouvernement, les mouvements de droite et d’extrême droite n’excluent pas pour autant la rhétorique égalitaire. D’abord parce qu’elle s’impose dans la vie politique depuis les lois sur la parité qui contraignent les mouvements et partis à introduire des figures féminines dans leurs rangs. Mais aussi parce qu’elle permet à ces courants conservateurs et réactionnaires de dénoncer le patriarcat des autres, celui des pays non-occidentaux, et d’ainsi absorber les revendications féministes pour mieux imposer un projet anti-islam et anti-immigration. C’est ce que la professeure de sociologie Sara R. Farris a théorisé sous le nom de « fémonationalisme » [dans son ouvrage In the Name of Women’s Rights: the Rise of Femonationalism, Duke University Press, 2017] – concept que l’on peut appliquer selon Della Sudda à la politique du Front national à partir de 2012, qui « entend s’imposer comme le véritable champion (toutes catégories) de la cause des femmes ». Défendre la cause des femmes peut alors devenir une stratégie politique efficace, qui sert les intérêts idéologiques des partis de droite et extrême droite.

Des « féministes » antiféministes ? 

La mobilisation féminine de droite et d’extrême droite est également activée par une opposition franche aux féminismes qui représentent la cause des femmes, comme celui des Femen et d’Osez le féminisme. À partir des années 2010, ces militantes justifient alors leur engagement par l’urgente nécessité, selon elles, d’apporter des contre-propositions aux féminismes médiatiques dont elles jugent les actions dégradantes et les contestations superficielles. Les Caryatides, ligue féminine nationaliste, voient ainsi le jour en 2013 en défendant un militantisme antiféministe et « féminin ». Rattachées à l’Œuvre française puis au Parti nationaliste français, elles inscrivent la cause des femmes dans le projet politique nationaliste en promouvant « une féminité traditionnelle incarnée par un sujet politique féminin, ethnicisé et catholique »

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Pourtant, et c’est ce qui frappe à la lecture de l’ouvrage, les groupes identifiés par Della Sudda ne rejettent pas tous l’étiquette « féministe ». Ainsi certaines s’en emparent et la revendiquent, à l’instar du collectif Némésis déjà évoqué. Ce militantisme sert avant tout un projet identitaire explicitement assumé, qui lutte ouvertement contre l’immigration non-européenne. D’autres groupes, tels que les Antigones créé en 2013, axent autrement leurs revendications, puisqu’elles développent un discours et une praxis fondés sur la valorisation du « féminin » et la défense d’une prétendue et essentielle complémentarité entre les sexes. Si ce groupe reste marginal et s’essouffle peu à peu, d’autres figures parviennent à mieux s’implanter dans le paysage médiatique. Ainsi, Della Sudda revient dans un chapitre éclairant sur le projet de « féminisme intégral » porté par l’intellectuelle Marianne Durano à travers la revue Limite fondée en 2015, un écoféminisme conservateur qui défend le droit des femmes à disposer de leur corps contre les méthodes contraceptives. Ici aussi l’on voit nettement comment les enjeux féministes peuvent être réinvestis par des groupes qui portent un projet opposé au progressisme. 

Cet ouvrage éclaire ainsi d’un jour nouveau les tensions qui traversent « l’espace de la cause des femmes » théorisé par la sociologue Laure Bereni. Il permet en effet de rappeler que les figures et organisations qui se revendiquent du féminisme sont, au-delà de leur extrême diversité, animées par des positions parfois irréconciliables. La manière dont se sont construits ces groupes d’extrême droite, en opposition franche et assumée à certaines féministes actuelles ou historiques, souligne en effet l’enjeu de lutte au cœur de la désignation féministe. 

Ainsi, la lecture de l’ouvrage s’accompagne d’une réflexion sur le « féminisme » revendiqué par ces militantes. Puisqu’elles participent à l’exclusion et à la stigmatisation de certains groupes en défendant un projet principalement nationaliste, et raniment des théories désuètes et essentialistes, leur intégration à l’espace des féminismes dans sa définition progressiste et inclusive apparaît irrecevable. De la même manière, cela fait évidemment écho aux positions transphobes de certaines militantes actuelles, qui suscitent des tensions légitimes et invitent à être attentives à un positionnement féministe clair débarrassé de toutes discriminations de genre, de race ou d’autres dynamiques de domination.


Photo à la une : Manif pour tous, Paris, 2013 © CBR Pictures

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