Annoncé par plusieurs teasings, le premier EP éponyme de Faux Real est sorti ce 1er mai : le duo sait aussi bien manier le rock psyché que l’avant-pop, tout en revisitant les codes des genres. Nous avons voulu en savoir plus sur ces deux frères qui se déhanchent en synchro. Ils nous ont bien donné envie d’enchaîner, à notre tour, quelques petits pas de danse.
Depuis leur apparition lors du festival SXSW d’Austin, Faux Real jouit d’une notoriété grandissante. En effet, SXSW est le rendez-vous musical pour celles et ceux qui souhaitent dénicher les pépites sonores de demain, surtout dans les cercles de l’indé et du rock. Depuis, le duo s’adonne à des lives enflammés dignes de performances d’art contemporain, tout en gardant secret leur projet à venir. Ils intriguent, ils émerveillent tout en répondant à cette gloire naissante avec une pointe d’humour. C’est une bouffée de fraîcheur qui souffle sur la scène pop et rock avec ce premier EP éponyme. Par un échange virtuel via écrans, nous avons pu nous plonger plus en profondeur dans l’univers de Faux Real.
Manifesto XXI – On me glisse à l’oreille que vous êtes donc franco-américains. Faux Real, c’est une jolie alliance de mots y faisant référence. Quels sont les fondements de votre duo ?
Faux Real : Faux Real est un projet multiforme, qui a mis environ 28 ans à arriver à maturité. Nous y travaillons depuis notre enfance. Notre mode d’expression a toujours été d’inventer des choses, que ça soit des chansons, des personnages, des jeux, de l’humour absurde. C’est une extension de notre fraternité vers l’extérieur.
En vous écoutant et regardant votre travail, on oscille entre le sentiment d’un souffle 70’s et une expérience futuriste. En vrai, votre travail peut être analysé sous plein d’angles musicaux. Curieuse donc de savoir d’où vous vient cet éclectisme musical ?
Les années 70 ont été marquées par les couleurs orange et marron, le mobilier aux arrondis suggestifs, la surconsommation d’avocats, et une quantité impressionnante de désastres capillaires et vestimentaires. Donc nous en sommes bien sûr tributaires. Faux Real est retro dans le sens où nous sommes deux êtres humains qui chantent. Mais nos ambitions sont tournées vers le futur : nous sommes des humains qui veulent être des robots.
En vous voyant sur scène au Petit Palace (en février), j’avais l’impression que la performance scénique — la danse, l’expressivité parfois théâtrale de vos visages — était tout aussi importante que le concert à proprement parler. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
La performance est l’expression la plus profonde de qui nous sommes. La vie entière est une performance artistique, sexuelle, professionnelle, guerrière, gastronomique, conceptuelle, religieuse. Donc être sur scène, en représentation, est une manière de magnifier cela, d’en montrer l’absurdité et la beauté. C’est inutile et primordial.
Nous nous voyons plus comme des patineurs artistiques que des musiciens de rock. On est des gymnastes sur un circuit de Formule 1.
Faux Real
Et SXSW, c’était comment cette épopée-là ?
Sans un seul concert confirmé à l’horizon, et sans avoir sorti de musique, on s’est embarqués sur une « tournée » américaine en mars 2019, avec Austin et le SXSW comme première destination. Pleins d’espoir, sans attentes, on s’est laissés guider par Ferguson Videostar, notre fidèle attaché-case. S’en est suivie une rafale de concerts désorganisés, qui marquèrent les premières itérations du Faux Réalisme aux États-Unis. Grâce à cette période d’incubation au Texas, Austin est maintenant la capitale mondiale du Faux Réalisme. Beaucoup de gens nous ont aidés à arriver à nos fins, au détriment de leur santé physique et mentale. Iels sont devenu·es nos ami·es.
Dans vos concerts et vos clips, vous vous retrouvez souvent à unir vos mains en symbole d’union et d’un possible soutien. Ceci est une question quarantaine : comment vous assurez-vous que vos proches, et vous-mêmes, gardez le moral en cette période ?
La poignée de main est un symbole universel lourd de sens. Nous le dénuons de son sens en l’incluant un peu partout. Signifie-t-elle un commun accord, une salutation, un au-revoir ? Sommes-nous en train de partir, d’arriver, de planifier une invasion ? Personne ne le sait, encore moins nous-mêmes.
On peut aussi tenter d’apaiser ses esprits grâce à vos petits interludes de flûte. Pourquoi la flûte ?
Le chrome brille sous les projecteurs, et une guitare en métal serait bien trop lourde pour danser. La flûte possède une légèreté presque absurde dans le contexte d’une boîte de nuit suintante et sale. Nous nous voyons plus comme des patineurs artistiques que des musiciens de rock. On est des gymnastes sur un circuit de Formule 1.
Vos deux derniers clips (« Kindred Spirit », « Boss Sweet ») ont été tournés par Léo Schrepel et réalisés par vous-mêmes. Est-ce ce que c’est important pour vous d’avoir une lignée visuelle constante ?
Léo se trouvait à Los Angeles au même moment que nous, et nous voulions collaborer avec lui depuis quelque temps déjà. Il est très, très talentueux, en plus d’être un travailleur acharné. Il était important pour nous d’enfin faire appel à un vrai professionnel, le tout avec un budget inexistant, pendant que nous nous habillions de taffetas, de soie et de frusques d’or, en nous gavant de fruits exotiques. En vérité, la lignée visuelle constante se compose principalement de nous deux, véritables Narcisses en floraison. Le culte de la personnalité est une matière première féconde.
Votre projet est également un souffle nouveau sur notre scène musicale de par votre approche de la masculinité. Vous faites du rock sans tomber dans les clichés chargés en testostérone. Votre romantisme, votre solidarité entre frères, votre sincérité amoureuse lyrique nous présentent une possible masculinité du futur. Comment approchez-vous ces sujets ?
Lou Reed était bisexuel, Bowie, Jagger et Iggy Pop aussi, Little Richard un homosexuel flamboyant… La liste est infinie, et imaginer le rock comme un milieu de blancs hétérosexuels est loin de la réalité. Nos performances suggestives, androgynes et parfois romantiques nous inscrivent dans la lignée de la musique populaire depuis ses débuts. C’est peut-être même le seul aspect traditionaliste de notre projet. En réalité, le rôle explicite (ou implicite) de la musique pop et du rock’n’roll a toujours été inscrite dans la destruction et la restructuration du genre. On a juste le droit d’en parler aujourd’hui, et sans se moquer.