Le groupe Bracco – entre post-punk, techno ou garage, frisant la limite de la pop – nous dévoile en exclusivité un premier clip, « Chicken », réalisé par Ludovic Azemar. Rencontre avec Baptiste et Loren, à l’origine de Bracco.
Bracco sortait en mars dernier son premier album chez le Turc Mécanique. Un disque fracassant et électrique, qui tire ses morceaux de ses lives brûlants. Après avoir électrisé les salles françaises, le groupe est de retour, avec un nouveau clip. Une vidéo en plan-séquence, réalisée par Ludovic Azemar (qui a notamment réalisé le clip « Belleville » de Grand Blanc) pour mettre en image le titre « Chicken », extrait de leur premier album Grave.
On a rencontré Baptiste et Loren au Café du Coin.
Manifesto XXI : Qui est Nicolas Bracco ?
Baptiste : C’est un pilier de comptoir dans le bar où on s’est rencontrés avec Loren. C’est le mec qui est au comptoir à chaque fois que tu bosses. Il est cool, très attachant, très alcoolique, très marrant, très intelligent… Il est même un peu trop intelligent et sensible pour réussir sa vie. Donc forcément il finit alcoolique.
Loren : C’est un peu l’antihéros.
Quand est né le groupe ?
Baptiste : Il y a trois ans, je pense. Je bossais dans un autre bar avant où on avait aussi rencontré Jules ! On voulait faire de la zic et avec Jules on en avait discuté, on parlait de certaines modes dans la musique et je lui ai dit : « si tu chantes en français et que tu parles de trucs déprimants et que t’es bourré, ça sera forcément cool. ». Du coup, il est venu à une répèt’, ça nous faisait une excuse pour faire de la musique, mais au final on ne l’a pas gardé… il était trop mauvais.
Vous êtes contents d’avoir fait l’album ?
Baptiste : C’était un peu casse-couille, ça a duré longtemps. C’était cool de le faire et c’était super de bosser avec Paulie [Paulie Jan, qui a enregistré et mixé le disque, nldr], mais c’était chiant quoi. Ça a vraiment duré, duré, duré, duré… Ça nous prenait la tête. C’est la première fois qu’on en faisait un. C’est pas forcément notre truc, nous, on aime faire des concerts. On s’était pas posé plus de questions que ça ; mais en fait tu te rends vite compte que tu en as mille, des questions à te poser. Est-ce qu’on fait ça, ou est-ce qu’on fait ça, ou est-ce qu’on fait ça ? En plus, il y avait tellement de catastrophes naturelles à ce moment-là, et le nombre de personnes qui sont mortes, qui sont tombées malades ou je ne sais quoi… C’était trop déprimant. Ça a duré un an comme ça en fait.
Loren : Ouais c’était pas très rigolo.
Baptiste : Mais le résultat est très cool !
Loren : On est plutôt contents. Un gros big up à Paulie quand même !
Baptiste : Le résultat est vachement cool. T’as vraiment un son un peu plus particulier qu’en live. Le son du live est, je pense, cool, mais ce n’est pas très original. Alors que là, sur le disque, tu as vraiment un truc un peu plus particulier, je trouve, au niveau des sons utilisés. C’est vraiment tout et n’importe quoi. Sur un morceau, tu vas avoir des boîtes à rythmes et sur un autre tu vas avoir un autre genre qui n’a rien à voir.
Loren : C’est vrai que les morceaux ont un truc assez dépareillé. Il y a des trucs qui fonctionnent de la même manière, mais tu as des choses d’un autre côté qu’on pourrait appeler un peu ‘pop’ qui pourraient presque friser le mauvais goût…
Baptiste : Je pense qu’on a toujours été hésitants … « on, on met les guitares en avant ou on met les boîtes à rythmes en avant ? ». Et vu qu’on n’a jamais réussi à complètement choisir, je pense que c’est peut-être ça le côté pop.
Dans la plupart des chroniques, on voit votre musique comme un exutoire.
Baptiste : Oui, mais ça, c’est un truc complètement personnel. C’est un exutoire parce que j’ai perdu ma mère, mon oncle ; son coloc avait une leucémie… du coup quand tu fais de la musique, tu vas faire différemment après ça. Les textes ne sont pas forcément engagés, ou ils ne parlent pas forcément de la mort. Mais personnellement, j’ai vu qu’il y avait une différence après la perte, que ce soit dans mon interprétation ou même dans le projet.
Loren : Même entre nous, ça change les choses.
Baptiste : Oui, et le fait de faire de la musique, où du coup tu peux parler… mais de toutes façons on s’en fou, c’est en anglais.
C’est pour ça que vous avez choisi l’anglais, pour pouvoir dire n’importe quoi ?
Baptiste : Non je dis pas n’importe quoi. J’ai choisi l’anglais parce que j’ai toujours été habitué à ça. Mais c’est vrai que ce qui est cool avec l’anglais c’est qu’il y a une certaine distance quand même avec le texte. Vu que les gens ne comprennent pas tout au premier degré, tu as plus un côté interprétation.
Loren : Oui, puis même ça s’est posé comme ça. On avait essayé, à un moment, une chanson en français et on a fait : « oh, c’est bon, on a essayé, ça nous plaît pas », et puis voilà. Après avec du recul, avec l’album, on a essayé de faire ressortir cette chanson… mais en live elle sort complètement différemment, elle est moins intelligible.
Ça fait partie de l’esthétique du projet. D’ailleurs, on nous compare tout le temps avec la voix de Suicide, mais je pense que, à part un morceau ou deux, on en est quand même loin.
On dit aussi qu’il y a une certaine colère dans l’album.
Baptiste : Oui, je suis pas très content, quoi.
Loren : On est un groupe en colère !
Baptiste : Personnellement, je suis très en colère.
Loren : En vrai, on n’arrive pas à se battre, du coup on fait de la musique.
Baptiste : Non, mais en soit, c’est un truc assez intéressant : les groupes anglais dans les années 60, ils avaient un peu une vie de merde. Du coup, leur manière de faire de la musique était très positive. Je pense notre manière de faire est très différente, mais avec les mêmes genres de problématiques sociétales ou psychologiques. Je pense qu’on est tous les deux très névrosés et que la société dans laquelle on est est archinévrosée. Du coup, c’est comme ça que ça ressort. C’est vrai que je ne me verrai pas du tout faire de la musique positive je crois.
Loren : Ça dépend des énergies. Elle est assez combative cette énergie. Après je pense qu’on pourrait faire un type de son beaucoup moins combatif, beaucoup plus dans l’appréciation du moment… un peu plus électronique dans le sens du laisser-aller. Quand tu écoutes notre musique, ce qui ressort c’est que souvent, des tensions se créent – qui ne sont jamais abouties et du coup ça place les gens. Dans nos lives, les gens ne se défoulent pas vraiment, mais… il y a un truc comme ça, de tension.
Il y a même des tensions entre différents styles. J’ai vu qu’on vous décrivait parfois comme techno-punk-pop…Vous vous placez où vous ?
Baptiste : On nous pose souvent la question et franchement je bloque. C’est juste des terminologies, tu peux prendre celle que tu veux. Par exemple dans Tsugi, ils disaient qu’on faisait du hardcore… Tu as besoin d’utiliser des termes pour définir certaines choses. Mais je ne pense pas qu’il y en ait un seul qui soit bon. Pour s’amuser, on dit qu’on fait de la mega wave. Parce qu’en fait, tu peux inventer n’importe quel terme, ça marche. C’est plus une blague qu’autre chose, mais en vrai je ne vois pas… Je sens le côté garage à la limite, et même le côté techno. Mais sans être structuré comme de la techno. Tu as des trucs électroniques – mais ce n’est pas de l’électro. Je pense que post-punk, ça marche bien, car musique post-punk, ça englobe énormément de choses et il y a le côté un peu intellectualisé du truc. Tu récupères une énergie et une culture qui se veut sauvage. C’est un peu ça l’idée du coup. C’est un bon terme parce que c’est tout et rien.
Non, mais, c’est vrai que je sais ne jamais quoi dire… C’est du rock ! J’aime bien le mot « rock ». Oui, c’est du rock !
Loren : On devrait faire des tremplins rock.
Comment vous êtes-vous organisés pour la composition de l’album ?
Loren : On a tout écrit sur une partition !
Baptiste : Non, non… En général, on joue tout en live et je chante par dessus. On perd généralement la moitié de ce que j’ai chanté parce que la moitié du truc ne veut rien dire, vu que c’est ce qui me passe par la tête.
Vous improvisez ?
Loren : On improvise tous les deux en studio et on voit ce qui sort. C’est à partir de là qu’on élague vraiment. Après on les joue. Les morceaux changent vraiment entre la première version et la dernière.
Il y a un attachement particulier à Fribourg, le titre qui ouvre l’album ?
Baptiste : Non, c’est juste qu’on a fait le morceau et il fallait lui trouver un nom pour que Loren le rentre dans sa base de données…
Loren : … Et on venait de rentrer de Fribourg, et puis voilà.
Baptiste : On a fait des concerts vachement longs là-bas, la ville est très cool, c’est très beau. Après c’est particulier, tu ne peux pas vraiment aimer ce pays.
Pourquoi ?
Baptiste : C’est le plus gros pays de collabos. C’est autorisé de balancer ses potes. Quand ton voisin te fait chier, parce qu’il fait du bruit. Tu peux juste déposer une lettre au proprio et au bout de la troisième, il est viré automatiquement. Il n’y a pas de droit social, c’est assez intéressant…
Loren : Attention, il crache son venin, il commence à parler.
Baptiste : Non, mais c’est pire que les États-Unis. Tu sais, tu as vraiment un truc où si tu joues le jeu de l’ultra-capitaliste de suceur de merde, tu vas te mettre bien. Quand j’y vais c’est cool, mais je suis pas super à l’aise.
Loren : Après « Fribourg » on l’a bien re-prodé avec Paulie… parce qu’il marchait pas le morceau. Et du coup ça fait partie des morceaux qu’on a le plus repris avec « Wave me not » et « Chicken ».
Vous avez commencé en résidence à la Station, vous pouvez nous raconter comment ça s’est passé ?
Baptiste : J’y allais beaucoup avant et mon ex les a aidés à monter le truc. Du coup, elle nous a fait jouer là-bas quand on a créé le groupe. Ils ont grave kiffé et ils ont fait en sorte qu’on soit en résidence. Tout est grâce à la Station, sinon on serait encore des losers. En vrai, c’est cool de le mentionner. Qu’un lieu comme la Station participe autant à la vie artistique d’une ville, c’est quand même assez rare, surtout dans une ville aussi grande que Paris. C’est cool parce que forcément y’a un côté réseautage…j’ai toujours trouvé ça vachement intéressant. Et encore, ils ne le développent pas à mille pour cent. Mais c’est trop cool, comment ça sert la musique et l’art en général.
/ Bracco sera en concert au Plein Air du Festival Villette Sonique le 9 juin /