Diva le jour et re-sta la nuit, Dance Divine est une pure bête de scène, qui évolue sur une planète pop, queer et féministe à souhait. Portrait d’une artiste multifacettes à la voix et à l’univers hauts perchés, venue de Bruxelles pour conquérir le cosmos.
1er arrondissement de Marseille, le lieu s’appelle « Sing or Die », la salle est minuscule et la foule sapée comme jamais. Moulée dans une combi noire, Dance Divine harangue le public avec la poigne d’un MC de Ballroom. Si l’endroit est habituellement dédié au karaoké, ce soir c’est « lip sync » : les participants ne chantent pas la chanson de leur choix, mais l’interprètent en playback, en mettant l’accent sur la mise en scène. Des performances plus théâtrales les unes que les autres s’enchaînent, les degrés Celsius montent aussi rapidement que le volume, l’euphorie est à son comble.
Diana Dobrescu, aka Dance Divine, est une habituée des ambiances électriques. Il y a quelques semaines, elle retournait la scène du festival Manifesto XXI organisé en collaboration avec La Zone et Voiture 14 à Marseille. « Mon avion avait une heure de retard, mais je n’ai jamais eu un accueil aussi fabuleux. Les gens étaient fous, beaux. C’était le match parfait. Alors que j’avais mis mes lunettes de soleil pour cacher mon stress. » À la voir enfiler ses gants bleus ornés de faux ongles, on l’imagine mal éprouver la moindre angoisse. Elle renvoie plutôt l’image d’une tornade girl power qui explose tout sur son passage.
« La Diana que tu vois en soirée, elle est comme ça quand elle commande un café, ou au téléphone avec son père. Ça n’est pas un rôle », rigole Adrien De Biasi, acteur et performeur qui l’accompagne régulièrement dans ses tournées.
Avant de vouer sa vie à la musique, Dance Divine passait ses journées dans les bureaux d’une grosse institution politique bruxelloise. Elle finit par en claquer la porte, excédée par la misogynie ambiante de ce milieu très académique. « Plus j’écoutais ma voix, plus je sentais qu’elle résonnait avec qui j’étais. Ce cadre imposé par les hommes, dans lequel j’évoluais, j’ai voulu le redéfinir et me l’approprier, qu’il soit en mouvement constant. »
C’est avec l’un de ses meilleurs amis que commence l’aventure musicale, mais très vite, Diana fonce seule : « C’est très important à mes yeux d’être autonome. Dans le travail, je peux être assez tyrannique avec moi-même, mais aussi avec les autres. »
Cake Space Great Again, son premier album, sort en 2018, « à mi chemin entre Laurie Anderson et Patrick Sébastien. Non, je rigole. Plutôt Philippe Katerine ». Le disque est un ovni disco-pop, doté d’une trame narrative digne d’un opéra rock, doux et cosmique. Ses paroles nous envoient tout droit planer dans une autre galaxie – Diana qualifie elle-même son univers de Cosmic Queer.
« La musique que je fais est imprégnée de plein de genres différents, dans l’idée de dé-genrer. Cosmic, c’est pour la personne bizarre, on the moon, qui sort du commun. Ça définit quelque chose en perpétuel mouvement, et ça s’applique aussi bien à la performance, à la musique qu’au style. »
Ses références ? « Prince pour le queer, Björk pour l’allégresse, Caterina Barbieri pour le modulaire. » Elle cite aussi Funkadelic, Yasmine Hamdan ou Aïsha Devi, « et bien sur, Zaliva-D pour la sagesse ».
À Paris, le mixage de son album se passe assez mal. « L’ingé son avec lequel je travaillais était particulièrement intrusif artistiquement parlant. Ça m’a confortée dans l’idée que le milieu de la musique est extrêmement oppressif pour une femme. »
Elle fait alors le choix de s’entourer autant que possible de femmes ou de personnes issues de la communauté queer.
« Depuis toute petite, on nous dit de nous adapter, notamment aux hommes. Une fois que tu réalises que tu peux te débrouiller sans eux, le monde est à toi. »
C’est avec la clique de drag-queens du Cabaret Mademoiselle, référence bruxelloise, qu’elle organise le lancement de son album. « Il y a une puissance chez les drags ! Ce sont des gens qui osent tellement de choses ! » Dans cet univers, tout l’inspire : « Leur façon de puiser dans leurs propres expériences, leur rapport à l’émancipation, à l’identité, et ce que peut représenter l’identité dans un espace safe. »
L’artiste s’intéresse alors au safe space, à la représentation et à l’éphémère, des notions qu’elle développe en organisant les soirées Bling Bling à Bruxelles. « Ça se passait en petit comité, se souvient Adrien, dans l’atelier d’une amie créatrice de Diana, doté d’un immense et improbable dressing. Les gens se déguisaient et se changeaient sans cesse, créant des looks incroyables. J’ai passé des soirées entières en robe de mariée. » Les maîtres-mots : respect et ouverture d’esprit. Dance Divine incarne le milieu queer, et celui-ci le lui rend bien : « C’est une vraie Mother, comme dans les Houses des Ballrooms new-yorkaises des années 80. Elle rassemble, prend soin des gens, elle a des valeurs mais aussi une certaine exigence », raconte Adrien.
Prolifique, Dance Divine compose de la musique pour le théâtre, crée des bande-sons pour des documentaires, et donne également des cours de chant et de rap à des enfants. Néanmoins, la scène et la performance gardent une place centrale dans son travail : « J’ai toujours dansé dans ma chambre, cachée. Car je remettais mon corps en question, et ça m’a pris un temps fou de me l’approprier. »
Au hasard d’un rayon la Fnac, elle découvre le travail de l’illustrateur Thierry Cheyrol, qui imaginera pour elle la pochette de son album. L’artiste est aussi chercheur en biologie moléculaire. Diana, elle, entretient une fascination pour la science et la technologie : « J’aimerais mettre les machines au service de l’éco-féminisme. »
Elle commence à plancher sur un costume de scène qui modifie sa voix en live, comme une armure audio, « pour me transformer en cyborg amazone, et surtout pour retrouver et transmettre le pouvoir féminin qui a été détruit par le patriarcat ». Elle moule son torse, installe un potentiomètre et quelques switches, et crée une ceinture qui diffuse le son de sa voix : « Il en faut parfois peu pour mettre ses idées créatives en place. » Elle multiplie les collaborations avec des universités : d’abord celle d’Istanbul, au Sonic Art Department, et l’année prochaine à Tokyo, où elle part continuer à expérimenter autour de son costume audio, aujourd’hui à l’état de prototype, mais qu’elle compte développer.
Le prochain album de Dance Divine sortira en 2020. En attendant, l’artiste prévoit une tournée aux USA pour toujours plus de scène. « La vraie richesse — et c’est déjà arrivé plusieurs fois — c’est quand les gens viennent me voir après un show pour me dire que ma musique les a tellement touchés qu’ils hésitent à tout plaquer pour partir vivre une nouvelle vie. C’est fou de propager sa propre histoire ! »