Bagarre revient avec « Kabylifornie ». C’est le membre du groupe Mustafa qui porte le titre. ‘Index à l’envers, majeur en l’air’, leur dernier clip abordait la masturbation féminine. Ce nouveau morceau nous donne l’occasion de revenir sur les événements qui secouent l’Algérie, ‘on leur met à l’envers, poing en l’air’. Le skate, le rock, être franco-algérien : on a discuté avec Mus.
2 EPs, un album, une grande tournée et mille festivals plus tard, nous sommes champions du monde, Bouteflika a annoncé sa démission, et ils sont toujours debout, et ils sont toujours Bagarre. En pleine composition de leur deuxième album, le groupe du cool nous en livre aujourd’hui un premier extrait clippé, « Kabylifornie ».
(Si tu ne connais pas Bagarre, pour la faire courte : ils sont 1 2 3 4 5, « musique de club », chantent en français, éclectique-synthés-inspicoldwave + vigueur post-punk-psyché + vibes techno + lives déchaînés-déchaînant-danser-suer-pogo.)
‘J’kiffe le rock, j’kiffe le skate, j’kiffe le bled’
Enfance en région parisienne et vacances au bled, Mus s’est construit partagé entre ses origines kabyles et la culture skate. Il le chante, pour lui, il n’y a qu’un ollie entre l’Algérie et la France. « Kabylifornie » est un morceau qui crie Bagarre tout en étant – comme d’habitude – très différent des autres. Avec toujours la force d’être dansant – de donner envie de sauter partout – sans négliger ni la prose, ni le message. Co-produit par Vladimir Cauchemar, le titre allie énergie punk (Mus kiffe le rock), influences orientales (il kiffe le bled) et phrasé hip-hop (…il kiffe le skate).
« Quand j’étais gamin, je me posais pas trop la question de si j’étais différent ou pas. Mes deux parents sont algériens, moi je suis né en France, normal. Mais quand tu grandis, tu te rends compte que les choses ne sont pas si simples, ce sont deux mondes qui avaient du mal à cohabiter dans ma tête. Ma vie de famille d’un côté, avec un quotidien familial imprégné de la culture algérienne, et ma vie de jeune à l’occidental de l’autre, avec le skate et la musique depuis tout petit. J’avais du mal à me trouver une place entre les deux. »
- Le bled (la Kabylie, si tu ne sais pas, c’est une région dans le nord de l’Algérie) : « Toute ma famille est là-bas, sauf mes parents qui sont à Paris. De ma naissance à mes 21 ans, on y allait deux-trois mois chaque été. Avec mes cousins, quand on était gamins, on disait ‘ouais c’est cool, on est en Kabylifornie, il fait beau, y’a du soleil ; y’a des chèvres, des cailloux’… »
- Le rock : « J’ai vu Iron Maiden mille fois en concert, j’ai tous les albums sur tout les supports possibles. J’avais pas du tout de thunes mais je me suis saigné, j’ai trouvé des magouilles de kids pour réussir à économiser et acheter leur merch au fur et à mesure. Le rock c’est un mode de vie, c’est vivre sans trop se poser de question. Prendre tout ce qu’il y a à prendre. »
- Le skate : « J’en fais depuis toujours, j’ai commencé en même temps à faire du skate et de la batterie. »
‘Je serai toujours whisky-loukoum-koum’
« Quand t’es un kid au bled et que t’as fait le tour de la famille, tu te fais chier. Un jour mes darons m’ont dit, on te paie tes billets depuis toujours, tu peux taffer et t’assumer ; et j’y suis pas retourné pendant un bon moment. J’avais besoin de trouver ma place. Mais une fois que j’ai eu fait ce que je voulais vraiment faire, me trouver cette place dans la musique, retourner au bled… c’était incroyable. Je réunissais après autant de temps les deux bouts, mes deux mondes. Ça a été une psychanalyse express de cinq jours de tournage. »
Le clip, réalisé par Pictures and Motion Studio, a été tourné en janvier dernier entre la cité de Curial, les rues d’Alger et Tizi Ouzou, le village natal des parents de Mus en Kabylie. « C’était comme si mes deux familles se rencontraient, c’était fou, intense. Même si je n’y étais pas retourné depuis une dizaine d’années, la famille… je ne sais pas si c’est propre au bled, mais le lien à distance est fort. Tous les soirs, quand tu passes chez les darons, t’as au tel les cousins, les oncles… » La vidéo est un mashup d’images de vacances, de la famille du batteur, de ses amis, skate et teuf, Paris Algérie. Il se présente, il s’appelle Mus. C’est un morceau de Mus, par Mus, pour eux.
« Et je lève mon verre et mon majeur en l’air, à Paris, à Alger, à ceux qui m’aiment ou pas, à ceux qui sont comme moi, Mustafa c’est moi, alors kiffez-moi »
/ Bagarre en concert à l’Olympia le 2 novembre 2019. /
Printemps arabes épisode 2
Jamais depuis l’indépendance du pays en 1962 l’Algérie n’a été en proie à une telle contestation, encore timidement surnommé « révolution du sourire ». Depuis le 22 février, des centaines de milliers de personnes défilent aux cris de « Silmiya » (‘manifestation pacifique’). Le mot d’ordre unanime est le refus du maintien au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika (82 ans, infirme et aphasique, ne s’étant pas exprimé en public depuis 2014) dont le quatrième mandat s’achève le 28 avril.
« C’est un concours de circonstances que la chanson sorte quand il se passe tout ça, c’est un thème que j’avais en tête depuis longtemps. On a tourné le clip en janvier, avant que ça ne commence ! C’est beau ce qu’il se passe là-bas. Les jeunes sont ceux qui galèrent le plus, mais ils sont mêlés aux autres générations dans les rues. C’est beau et c’est fort. »
54% des Algériens ont moins de trente ans, 45% moins de 25. Ce sont eux qui ont investi les rues le drapeau à la main, comme pour les matchs de foot, cette fois pour réclamer la fin du système en place. La police ayant fraternisé avec les manifestants, le caractère pacifique du soulèvement en fait une révolte historique singulière dont on pourrait espérer une issue heureuse en termes de progrès démocratiques.
Le 2 avril, Abdelaziz Bouteflika démissionnait de son poste de président. Hier, mardi 9 avril, le Parlement nommait président en intérim Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation, pour 90 jours. Si des élections présidentielles doivent être organisées pendant cette période (élections auxquelles Bensalah ne peut participer), le remplaçant désigné par la Constitution incarne malgré cela « le système Bouteflika » que la rue appelle à démanteler depuis des semaines. Situation qui risque d’aggraver les dissensions et d’exacerber les tensions entre la population et les représentants du pouvoir.