Une recherche poussée sur le sound design dans des paysages visuels singuliers, Les Malicieuses nous plongent au cœur de l’imaginaire facétieux du producteur Quelza. Dans ce long album sorti le 15 avril sur le label Mord Records, il délivre dix titres d’une « techno sombre nourrie d’influences breakbeat, IDM et ambient ».
Depuis ses premiers pas à Concrète en 2012, c’est avec une curiosité insatiable des espaces de fête que Quelza cherche à redessiner les contours de la techno. Après des DJ sets remarqués sur les scènes du Tresor, du Griessmuehle ou encore du KHIDI, deux années sans clubs ont poussé l’artiste français installé à Berlin à relever de nouveaux défis dans la production. Un goût assumé pour les musiques orchestrales et une création nourrie d’images mentales font toute la richesse des productions du jeune artiste. Son approche originale des textures sonores l’a poussé à collaborer avec KSR, Hayes Collective et plus récemment avec Eric Cloutier pour son album Les Mirages. Aujourd’hui sur le mythique label de Bas Mooy pour Les Malicieuses, Quelza prend part à la BO saccadée de notre dystopie post-moderne. Entretien avec le DJ et producteur sur ses inspirations et son univers, un cocktail de kicks haletants au spleen ravageur.
Manifesto XXI – Plus long et plus dense, Les Malicieuses installe une rupture avec tes précédentes releases. Comment as-tu construit ce nouvel album ?
Quelza : Mon travail sur Les Malicieuses a débuté en 2021 en plein deuxième confinement à Berlin. Cette période a duré plus de sept mois et la dépression n’était pas loin. J’ai décidé de m’isoler complètement dans ma création artistique et de me créer une sorte de bulle parallèle. Sans vraiment savoir ce que je voulais créer, je me suis mis à écrire autour du mot malice. C’est comme ça que je crée en général. Je démarre avec une feuille blanche sans savoir où je vais aller, je visualise une idée, un lieu, une couleur… peu importe. Ensuite, je rattache ça à un sentiment et je le garde en tête durant tout mon processus de création. Ça me permet de traduire mes visualisations en sons sans me limiter à un seul genre ou à une seule palette sonore.
Je me méfie des étiquettes accolées aux artistes. Elles peuvent souvent devenir des prisons artistiques et peuvent t’empêcher d’explorer d’autres horizons sans décevoir ton public.
Quelza
Les dix titres de ce double album sont une déclaration d’amour à une techno riche et organique. Qu’est-ce que tu souhaites raconter via l’album et son intitulé ?
Les Malicieuses est un double disque entièrement composé autour du concept de malice. J’aime la poésie attachée à ce mot, son double sens qui peut aussi bien être positif que négatif. L’album n’est pas uniquement sombre ou angoissant, mais il regorge de surprises. D’ailleurs Les Malicieuses est probablement le projet qui représente le plus ma recherche de décloisonnement des genres. Depuis que j’ai commencé à diffuser ma musique en 2020, je fais en sorte de ne pas être identifié à un seul et même genre musical. Je me méfie des étiquettes accolées aux artistes. Elles peuvent souvent devenir des prisons artistiques et peuvent t’empêcher d’explorer d’autres horizons sans décevoir ton public. Pour moi, chaque release est un nouveau défi dans lequel je me renouvelle en explorant un style différent.
J’ai lu dans un article que tu avais mis trois ans, au début de ta pratique de production musicale, avant de publier tes premières tracks. Qu’est-ce que tu recherches avant tout dans ton processus de création ?
La recherche d’un sentiment et d’une histoire à raconter est essentielle, mais je pense surtout que mes morceaux doivent me ressembler. Peu importe si le morceau est jouable en club au milieu d’un set. D’ailleurs j’aimerais que ma musique soit autant écoutable chez soi qu’en soirée. Le plus important c’est que mes morceaux soient uniques.
Pour tes précédentes releases, tu as travaillé avec le label New Rhythmic, KSR, Hayes Collective et plus récemment avec Palinoia. Pourquoi cette première collaboration avec Mord Records ?
Mord Records est un label techno de référence pour moi. Quand on s’intéresse à leur discographie, les esthétiques des productions varient d’un·e artiste à l’autre. Néanmoins, à l’écoute, je ressens toujours une patte Mord. En plus de s’être imposé comme une institution de la techno, le label ne dépend pas des tendances, mais valorise plutôt l’authenticité des artistes produit·es. D’ailleurs depuis que j’ai démarré sur cette scène, le fondateur du label, l’artiste Bas Mooy, est une inspiration pour moi. Gérer un tel label avec un rythme de DJ, être un fantastique producteur et réussir à trouver le temps pour sa vie personnelle tout en écoutant des centaines de démos par jour… Chapeau.
Pour la petite histoire, notre collaboration a débuté en 2021 lorsque j’ai envoyé à Bas Mooy un premier EP. Il avait sélectionné deux morceaux pour des compilations sorties. À la fin de l’été 2021, j’avais accumulé une quarantaine de nouvelles tracks et j’ai saisi ma chance. Je lui ai adressé une nouvelle sélection de tracks et une semaine plus tard il m’a annoncé sa décision de sortir un double disque. C’est une véritable chance de travailler ensemble !
Au quotidien, quelles sont tes sources d’inspiration musicale ?
En dehors de la techno, je suis très inspiré par le compositeur Philip Glass. Sa musique, et notamment son opéra Einstein on the Beach, a complètement changé ma perception de la musique. Les pièces orchestrales créées avec la force de soixante musicien·nes, ça produit une énergie unique. Au-delà de la musique classique, je m’inspire aussi des musiques de cinéma. C’est pour ça que dans ma création je fais le lien entre la conceptualisation des images et la visualisation sonore.
Je me souviens qu’à ma première sortie en club j’étais fasciné par la façon dont le son se propageait dans l’espace. La réverbération de la salle, la résonance de certains espaces ou les vibrations d’un escalier en métal… J’étais fasciné de voir qu’on pouvait utiliser une musique si abstraite et sans aucune parole pour la faire converger dans un lieu brut. Puis que cette conversation entre lieu et sons fasse danser des milliers de personnes de façon mécanique et euphorique. Finalement ce sont ces deux mondes que j’essaye de réunir dans ma musique : l’hyper-réalisme de la musique de film, l’utilisation du sound design pour créer une histoire et une visualisation au sein du rythme brut, organique et réduit de la techno.
Je me sens vraiment chanceux d’avoir découvert la scène club à la période d’ascension de Concrete. C’est une période riche qui a permis de faire renaître de ses cendres la nuit parisienne et de repositionner la France sur les radars en termes de musique électronique.
Quelza
Né à Paris, tu vis à Berlin depuis 2018, quels liens conserves-tu avec la scène parisienne ?
J’ai découvert la scène techno parisienne en 2012. À ce moment-là, j’étais encore mineur et je préparais toutes sortes de stratégies pour rentrer en club (rires). Un de mes premiers événements, c’était à Concrete sur la légendaire péniche. Si je me souviens bien, il y avait Antigone, Bambounou et François X à cette soirée. J’ai trouvé ça grandiose, la symbiose entre le·a DJ et le public, mais aussi la liberté sur le dancefloor. J’ai été complètement happé par l’ambiance. C’était une expérience révélatrice pour moi !
J’ai commencé à écouter tout ce qui était produit en région parisienne : Construct Re-form, Concrete Music, Taapion… Je garde beaucoup de références musicales de l’époque : AWB, PVNV, Shlømo, Zadig, Birth of Frequency ou encore le projet Polar Inertia. Je me sens vraiment chanceux d’avoir découvert la scène club à la période d’ascension de Concrete. C’est une période riche qui a permis de faire renaître de ses cendres la nuit parisienne et de repositionner la France sur les radars en termes de musique électronique. Il y avait une énergie assez pure et une effervescence dans les clubs qui continue de m’inspirer aujourd’hui, notamment dans ma façon de produire ma musique.
En 2018, j’ai décidé de m’installer à Berlin parce que je m’isolais progressivement de la scène parisienne et de ce qu’elle devenait. Aujourd’hui, je garde des liens avec mes proches à Paris, mais je ne regrette pas mon choix d’être venu vivre à Berlin. J’adore cette ville, j’y ai trouvé la club culture à laquelle j’étais attaché.
Tu revendiques une musique impulsive et surprenante qui reste pour autant « club ready ». Selon toi, qu’en est-il aujourd’hui de l’innovation sur la scène techno ?
Je pense qu’on vit une période passionnante et très riche musicalement. Les artistes rompent de plus en plus les frontières entre les genres et le public est réceptif. Après la période épuisante de la crise sanitaire, cette ouverture d’esprit est salutaire. Paradoxalement, je trouve que les standards de production gagneraient à évoluer aussi. Ça donnerait l’occasion à tous·tes les musicien·nes de se challenger et de créer des pièces plus belles les unes que les autres !
Un dernier mot ?
Si je dois terminer en une phrase, je vais utiliser cette citation d’Eduard Bernstein qui m’inspire tous les jours : « Le but n’est rien, le mouvement est tout. »