VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie : une expo pour transmettre nos luttes

VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie retrace l’histoire et les enjeux contemporains du VIH/sida, et c’est le genre d’exposition d’envergure qu’on reverrait bien tous les mois. Par chance, elle est ouverte jusqu’en mai au Mucem, à Marseille.

La genèse de l’exposition remonte à une grande collecte qui a rassemblé des objets variés autour de la lutte contre le sida. Cela lui permet de faire dialoguer des objets aux statuts divers, avec une trame plus scientifique qu’artistique : photographies de presse, patchworks textiles commémoratifs, objets de prévention, affiches, documents audiovisuels, œuvres d’art, chronologie, cartographie… L’exposition a nécessité cinq ans de travail, mobilisé huit commissaires (anthropologues pour la plupart) et un comité de suivi pluriel (nombreuses associations et personnes concernées), pour faire face à un défi considérable. Comment tenir, en un espace limité, 40 ans d’épidémie, 79 millions de personnes infectées depuis le début de l’épidémie et 36 millions de mort·es de maladies liées au sida, faisant du VIH/sida l’épidémie la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité ? Parler du VIH/sida, c’est parler de représentations stigmatisantes, de disparités sociales face à la maladie, de bouleversement du rapport à l’institution médicale comme à la sexualité, d’avancées démocratiques et de droits humains défendus par des luttes politiques. Car le VIH/sida est avant tout une épidémie politique : l’exposition revient en profondeur sur sa politisation en retraçant l’histoire des luttes.

Vue de l’exposition © Mucem, photo Grégoire Edouard
Des communautés minorisées au musée

L’exposition montre bien que la culture VIH s’inscrit à l’intersection des cultures LGBTQI+ mais aussi de celles de minorités racisées, des TDS et des usager·es de drogue. Ces cultures ont aujourd’hui un besoin criant de transmission et de mémoire, et le manque de lien intergénérationnel menace de disparition une culture dont l’exposition montre la très grande richesse. Ce sont pourtant des prédécesseur·ses qui, à une époque particulièrement intense de militantisme LGBTQI+, se sont battu·es pour améliorer les droits, faciliter l’accès aux médicaments et ouvrir à une vie sexuelle plus safe pour tous·tes, y compris la majorité moins directement touchée par l’épidémie. Dans des communautés où la possibilité de filiation biologique a souvent été brimée par l’État, où beaucoup sont mort·es précocement, comment transmettre cette histoire de l’épidémie VIH/sida dont nous avons besoin ?

Affiche « Fières d’être gouines, fières de lutter contre le sida », 1994, photo Jean-Marc Armani. © Archives nationales, France, fonds Act Up-Paris, 1989-2014

L’exposition VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie formule une réponse possible. Elle s’organise en un parcours thématique qui aborde les représentations du VIH/sida, la lutte contre l’épidémie, qu’elle soit scientifique, médicale, politique ou sociale, les discours et les moyens de la « fin du sida » et enfin les héritages de l’épidémie. En construisant un récit polyphonique, le Mucem offre un lieu de réflexion et de dialogue sur notre passé pour mieux penser le présent et préparer le futur. En effet, tout au long du parcours, l’exposition reste toujours attentive aux zones d’ombre, et donne la parole à celles et ceux qui ont toujours été moins entendu·es et moins visibles, pour conserver les mémoires les plus menacées, celles des exclu·e·s, des marginaux·les. Dans la salle consacrée aux avancées médicales, en face de la présentation des différents médicaments développés depuis les années 1980, ce sont par exemple les luttes pour l’accès du plus grand nombre aux médicaments génériques qui sont mises en lumière, car jusqu’aux années 2000, les progrès thérapeutiques n’ont concerné qu’une faible partie des séropositif·ves. Cette lutte, encore tristement d’actualité, résonne avec les débats autour du vaccin contre le Covid-19.

Act Up-Paris, pochoir pour la 14e Conférence internationale sur le sida, Barcelone, 2002. © Mucem / Marianne Kuhn
Des pratiques muséales innovantes

L’introduction d’un tel héritage au musée a nécessité de mettre en place des méthodes de travail inédites. D’un point de vue curatorial, la conception de l’exposition a été singulièrement collaborative et horizontale. Un exemple de démocratie au musée, tout comme le VIH/sida a pu favoriser le développement d’une démocratie sanitaire ? Un comité de suivi, composé de plusieurs dizaines de personnes concernées à différents titres par l’épidémie, a été mis en place, avec des journées d’études au Mucem tout au long de la préparation de l’exposition.

L’exposition valorise un fonds singulier. Une large partie du corpus exposé est issue d’une politique d’acquisition originale, celle de l’enquête-collecte, menée dans les années 2000 par le Musée national des Arts et Traditions populaires, ancêtre du Mucem, et le CNRS. Pour la première fois, des seringues, préservatifs, médicaments, banderoles, affiches, porte-voix, entraient dans les collections d’un musée. Ce fonds, enrichi en 2013 par un don de photographies liées à l’histoire d’Act Up, offre à l’exposition une grande variété d’objets. Des œuvres et des vidéos y sont aussi exposées, parfois créées spécifiquement pour l’occasion – notamment un précieux montage vidéo du journal Annales, composé de centaines d’heures d’enregistrement de luttes, de Lionel Soukaz.

Manège enchanté, matériel de prévention du Centre régional d’information et de prévention du sida (CRIPS), Paris, années 1990. © Mucem / Marianne Kuhn 

L’exposition, qui montre tant les aspects sociologiques, artistiques, médiatiques et sociétaux de la lutte contre le VIH/sida, est donc une gigantesque mosaïque, à l’image de l’épidémie. Elle pose des questions d’une grande actualité, tant parce que le VIH/sida n’est pas derrière nous – il y a encore une contamination toutes les 19 secondes – que parce que l’enjeu des héritages ou des leçons de ces luttes est aujourd’hui central dans notre actualité covidée. Plus que jamais, le musée se rend ici d’utilité publique et politique.

Voir Aussi


VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie
Mucem, J4, niveau 2, Marseille
Jusqu’au lundi 2 mai 2022

Image à la une : Vue de l’exposition © Mucem, photo Grégoire Edouard

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