Il est aisé de se laisser happer par l’étrange quand les journées se ressemblent. Motoguo fait partie de ces jeunes marques de mode qui interrogent, font rire et déstabilisent, oscillant entre humour régressif et cynisme acide.
Motoguo est né comme une jeune marque pour hommes où le fils à papa côtoyait le teufeur fou et romantique. À la tête du label, Moto Guo et Kinder Eng, deux créateurs malaysiens qui tirent leur inspiration de leurs enfances respectives. Les compagnons de vie se rencontrent en 2011 au Raffles College of Higher Education de Kuala Lumpur, une école de commerce et de design. S’ensuit une collaboration à la fois personnelle et professionnelle, et lorsque Guo lance sa marque éponyme en 2015, il s’entoure de Kinder comme assistant créatif. Il en deviendra co-directeur créatif l’année suivante. Aujourd’hui, la maison s’affranchit des genres pour conter des histoires féériques, entre adolescence et âge adulte.
Manifesto XXI – D’où est venue l’idée de transformer Motoguo, né comme une marque masculine, en label genderless ?
Motoguo : En tant que marque de vêtements pour hommes, nous valorisions déjà la féminité et la sophistication de nos pièces au début. Au fur et à mesure de notre évolution, nous avons remarqué qu’un public féminin commençait à s’intéresser à nos créations. Depuis lors, nous avons décidé que notre label devait transcender les frontières du genre et nous avons adopté la féminité et la sophistication pour toustes.
Vos créations sont imprégnées d’une dualité, d’une confrontation entre l’enfance, le romantisme et l’humour noir. Est-ce représentatif de votre duo créatif ?
Oui, chacun apporte de ses caractéristiques et de sa personnalité : le scepticisme de Moto, l’importance des détails et des visions précises ; le penchant pour le romantisme, la fantaisie et l’innocence, de Kinder. Motoguo, c’est un peu l’enfant issu de cet amour. Il rappelle la nostalgie de l’enfance de chacun, plongée dans l’espièglerie et la fantaisie, le tout saupoudré d’une pincée de cynisme.
Même si nous grandissons et évoluons, ce qui ne changera jamais, c’est l’inspiration qu’on puise dans le moment présent.
Motoguo
L’enfance et la nostalgie semblent représenter une part importante de vos collections. D’où viennent-elles ?
L’enfance de notre duo de créateurs a joué un rôle énorme dans nos créations. Moto a grandi avec une formation en musique classique, en jouant de la contrebasse et du violon, ce qui a façonné son sens de la précision dans les moindres détails. Quant à Kinder, c’est le lien étroit qui l’unit à ses deux mères. Ses premiers souvenirs sont de les suivre dans des saloons bruyants à la fin des années 90, d’y observer les conversations de filles entre sa belle-mère et sa demi-sœur. Il s’asseyait au milieu de magazines de mode colorés de la vieille école et de services de porcelaine qui s’entrechoquaient. Ce sont ceux qui l’intriguaient qui l’ont poussé à créer des vêtements captivants qui évoquent le vintage et la romance.
Lorsque l’on regarde vos collections depuis 2015, on constate une évolution du romantisme vers une recherche de l’étrange, comme dans votre collection « Even Odder » : d’où vient cette recherche de l’atypique ? Qu’est-ce qui a changé ?
Dès la naissance, nous, les humain·e·s, cherchons à trouver l’identité propre qui nous définit, en expérimentant différentes choses. Au début de la marque, nous nous sommes souvent demandé quelle était l’esthétique « Motoguo » ; récemment, nous avons eu le sentiment d’en avoir trouvé la définition. Nous avons maintenant une vision plus claire de la figure « Motoguo », et nous développons donc notre propre langage pour concevoir un design unique pour chaque garde-robe. Même si nous grandissons et évoluons, ce qui ne changera jamais, c’est l’inspiration qu’on puise dans le moment présent.
Notre univers vient de la torsion de la réalité dans notre espace imaginaire.
Motoguo
Comment Motoguo est-il né ?
Tout a commencé avec la collection de fin d’études de Moto, un reportage de Fucking Young! et un acheteur de la boutique Wut Berlin à Tokyo. Ensuite, avec l’aide de Kinder comme directeur de la création, et de son partenaire commercial, Jay Perry Ang, « Motoguo » est né.
Notre collection SS21 est une représentation de l’amour, du bonheur et de la bénédiction envers les êtres qui nous sont les plus chers.
Motoguo
D’où vient votre univers ?
Nos inspirations partent généralement de la période à laquelle nous sommes confrontés. À partir de là nous trouvons les meilleures métaphores et histoires pour les transposer dans les détails de nos conceptions. Notre univers vient de la torsion de la réalité dans notre espace imaginaire.
Pourriez-vous nous parler un peu de cette collection SS21 ?
En ces temps difficiles où tout semble s’être arrêté, la marque se concentre sur des détails subtils. Depuis les réalisations et les reconnaissances de nos ami·e·s proches jusqu’aux premiers jalons, chaque petite nouvelle qui nous est parvenue a été douce, réconfortante et rassurante. Toute cette positivité crée des couches d’émotions qui forment l’essence-même de cette collection. Notre collection SS21 est une représentation de l’amour, du bonheur et de la bénédiction envers les êtres qui nous sont les plus chers.
Quel sens donnez-vous à la singularité ?
Nous dirions que le conditionnement et les nombreuses expériences que nous avons vécues au fil des ans nous ont donné cette particularité.
Quelle est votre vision de ce qu’on appelle communément le « mauvais goût » ?
Nous n’avons pas vraiment de vision spécifique du « mauvais goût », car nous ne pouvons pas vraiment le définir, de notre point de vue. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que lorsque nous avons des doutes sur le goût, nous devons y réfléchir et peut-être essayer de le comprendre d’un point de vue différent. Donc, techniquement, ce qu’on appelle « mauvais goût » peut être simplement quelque chose d’intriguant ou d’incompréhensible.
Quelle est la place de l’humour dans votre processus de création ?
C’est la partie que nous aimons partager avec nos client·e·s. Parfois le détail de nos dessins peut paraître mignon en surface, mais une fois qu’ils ont reçu notre message subliminal, l’humour cynique les fait sourire.
Essayez-vous de dédramatiser la rigidité que l’on peut trouver dans le monde de la mode ?
Nous ne dédramatisons pas délibérément la rigidité du monde de la mode, et nous n’allons pas non plus à son encontre. Nous avons goûté aux vérités amères de l’industrie et fait face à ses défis en cours de route. Mais nous vivons selon notre devise : « Nous mangeons de la peur au petit-déjeuner. » Et nous nous souviendrons toujours de l’un des meilleurs conseils que nous a donné Julie Gilhart (membre du jury du Prix LVMH 2016) : « Gardez votre énergie, votre humour et votre fantaisie, l’industrie en a besoin. »
Que dit cet humour noir, cette ironie sur votre vision de la mode ? Quels sont les messages qu’ils véhiculent ?
Notre cynisme laisse souvent entendre des messages subliminaux, qui peuvent dire des vérités difficiles à avaler. Ou simplement montrer au monde qu’il faut s’amuser et ne pas prendre les choses trop au sérieux.
Image de couverture : © Motoguo
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