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Ylva Falk. L’Amazone aux 1001 passions

Ylva Falk. L’Amazone aux 1001 passions

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Ylva est danseuse, DJ, modèle, styliste, et encore performeuse. Ylva est Ylva Falk ! Aussi à l’aise dans un battle de breakdance qu’à une performance Chanel, cette figure libre de l’underground parisiano-international ne tient pas en place et transforme tout ce qu’elle touche en art. Rencontre d’un nouveau type.

C’est de prime abord, une gueule et un look reconnaissable entre tous. Une créature dotée d’une personnalité qu’on découvre vite aussi fantasque que généreuse. Crâne rasé et petite frange platine, sa coupe lui donne un air punk. Suédoise, parisienne d’adoption depuis dix ans, c’est une rebelle au corps sculpté et entretenu par des repas vegan comme celui que nous dégustons un soir d’été chez Jah-Jah (10e). Ylva se livre à nous sans soucis, sans chronologie ni calcul, pêle-mêle souvenirs, visions du monde et critiques…

Social Alien

Forte et unique en son genre, Ylva Falk l’est assurément. L’histoire de cette « Amazonian goddess from outta space » comme un follower l’a nommée sur Instagram, est celle d’une adaptation perpétuelle, d’un personnage qui n’en finit pas d’intégrer des cercles culturels différents sans jamais se suffire à un seul univers.

Ylva naît le 17 avril 1987 dans une famille suédoise bohème vivant à la campagne. Une mère prof de couture et peinture, un père ouvrier et communiste. « C’est très important pour lui, il est né d’une famille d’artistes et il a fait le choix de devenir ouvrier du bâtiment. » Un couple hippie qui la laisse s’exprimer et déjà expérimenter ses goûts et ses questions de spiritualité. Rien ne la prépare à rentrer dans une norme : « si j’avais été dans un autre milieu, ça aurait peut-être été plus difficile à développer ».

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Si aujourd’hui Ylva dégage une aura confiante, l’adaptation au monde n’a pas toujours été aussi évidente. « J’ai toujours été un enfant un peu spécial. J’ai fait beaucoup de rêves prémonitoires ». Sa différence lui vaut d’être harcelée à l’école, où elle ne se sent pas à l’aise en tant que fille. « Fallait pas bouger, pas parler, pas courir. Tout ce que j’aimais – me battre, grimper aux arbres – m’était interdit. Rien de plus boring. » De cette distance avec les autres, elle aiguise son regard et devient un vrai caméléon, une pro du lifehacking.

J’ai su tard qu’on n’était pas obligés d’avoir un genre. Si j’avais su ça à l’école ça aurait été génial, car je me suis toujours sentie bizarre.

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Suède-France : du breakdance à la House of Drama

A ses 11 ans, les parents d’Ylva se séparent et elle quitte son village natal à 16 ans pour aller suivre des cours de danse. L’ouverture au monde et sa curiosité pour les autres cultures s’intensifient dans un contexte plus divers que celui qu’elle avait connu jusque-là dans la campagne suédoise, et lui ouvre les portes d’une autre façon de vivre. « En Suède c’est quand même chacun pour soi. C’est pas forcément méchant, mais ça marche comme ça. La Suède est riche aujourd’hui mais elle a été très pauvre, on a une histoire. On est un peu greedy. » A l’époque, la Suède a accueilli de nombreux réfugiés chiliens après le coup d’Etat du général Pinochet. Ylva se lie d’amitié avec des jeunes de son âge et rentre dans un autre monde en allant chez ces amis :« Tout le monde mettait la nourriture sur la table, alors qu’en Suède c’est chacun son truc. Et je me sentais trop bien.

Je me suis dit que c’était comme ça que je voulais vivre et j’ai appris le partage.

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Son premier amour ? Le breakdance. « J’étais à fond quand j’avais vingt ans. La golden period, de gros battles, un milieu de machos mais une vraie passion ». Ylva arrive en France en 2007. « J’ai découvert une street culture qui n’existe pas en Suède. Tu as beaucoup de qualités, tout est bien, mais c’est très fermé : il faut avoir un groupe, une société. Et moi j’ai toujours été un peu électron libre. » Venue pour la compétition du Juste Debout, elle est captivée par la créativité de la scène parisienne.

Sa première famille à Paris ? La House Of Drama, dont fait aussi partie l’artiste Igor Dewe. Ensemble depuis 10 ans, la bande a connu des heures heureuses Chez Moune : « C’était plus une sorte de playgorund, on avait carte blanche pour créer et on faisait ce que l’on voulait. » Une famille qui se vit un peu différemment aujourd’hui « avant on était House of Drama, on s’habillait, maintenant Amélie (ndlr : Amélie Poulain, danseuse et professeure de Waacking) a un enfant, moi j’ai mon art martial, j’ai envie d’être fraîche le matin. » Ses amitiés créatives sont multiples, à l’instar de ses multiples pratiques. Quand on aborde son amitié et ses collaborations avec l’artiste chinois Tianzhuo Chen, l’animal social se dévoile : « J’ai des soulmates partout dans le monde, n’importe quand, n’importe comment je peux les appeler, « they have my back ». À force de voyager, ça m’a donné “my gang”, mais un gang très libre. »

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Spirit, surf & sabre

Si le clubbing et la danse ont une part un peu moins importante dans la vie d’Ylva aujourd’hui, c’est qu’elle s’est prise de passion pour les arts martiaux, le maniement du sabre, et pour le surf. Au point de passer régulièrement ces hivers à Bali. « C’est une passion que je n’ai pas ressentie depuis dix ans ». Une pratique qui vient  prolonger sa recherche de sérénité commencée dans la pratique du yoga très jeune, « J’ai envie de partager le bien que me font mes voyages, mes angoisses que je n’ai plus. » La spiritualité se retrouve gravée dans son corps toujours en mouvement, avec ses tatouages réalisées par Léo Gavaggio de l’Encrerie. « L’idée de base c’est un rêve, où je voyais ces lignes sur mon corps. J’ai compris que c’étaient les méridiens, ces energy flows qui sont là mais invisibles. La connexion avec les vivants, la terre, les animaux. »

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 © Hélène Mastandréas

Quand on aborde la question des tendances, qu’elle semble si bien incarner, l’amazone bienveillante se fait plus critique notamment sur la question du yoga. L’éducation hippie de la famille Yalk ressort quand elle exprime sa gêne à l’égard de ceux qu’elle appelle « les new spiritual tribe, new hippies » : « J’ai un peu de mal avec la tendance yoga aujourd’hui. Je suis contente que les gens en fasse, il vaut mieux faire quelque chose que rien, mais il y a un abus. J’entends tellement “je devrais faire du yoga mais j’ai pas le temps”, puis ils font deux pas de stretching et “oh, ça fait mal !”. Yeah everybody, five hundred points to you, you did yoga today !  »

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 © Hélène Mastandréas

Le style dans la peau

Pareil pour la mode, Ylva Falk ne la suit pas. Elle l’invente. Dès l’âge de 8 ans elle se met au sportswear avant tout le monde, en passant ses après-midis dans les second-hand shops à chercher des petits sweat Adidas, des pat d’eph seventies… « C’est marrant car je n’ai pas toujours été acceptée en venant en jogging basket en boîte et aujourd’hui c’est la norme. » Ylva a beaucoup d’idées et aimerait créer sa marque « mais produire encore contre la planète, jeter, ne pas utiliser de la bonne matière pour que cela tienne. Je n’aime pas trop ce milieu-là. » Son dernier coup de coeur ? @NAMILIA : du sportswear pussy power, des broderies, chattes, bites…

Je suis une femme forte, mais j’aurais aimé être forte et c’est tout.

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Un rapport au genre et au corps encore une fois pile dans notre époque, mais encore parfois complexe à expliquer. « Je suis féministe aussi, mais il y a beaucoup de féministes qui ne m’aiment pas, qui disent que je suis trop sexy. J’utilise une imagerie non-validée par certaines féministes. »

Ylva Falk © Jacob Khrist, Shooting pour Manifesto XXI

Aujourd’hui Ylva prête toujours son corps de guerrière à des performances et collabore avec quelques marques, mais c’est du côté de la musique que viendront ses prochaines expérimentations. Encore une fois, son approche relève d’un instinct esthétique particulier, « Je ne suis pas quelqu’un qui lit beaucoup… Parce que je suis dyslexique voilà comme ça j’aurais dit tous mes défaut ! Mais avec le web je suis remontée dans le temps ! Quand j’ai commencé à mixer, je mixais que des trucs avant 2002. Je trouvais qu’il y avait trop de musique. J’ai commencé par le hip-hop/funk ; old school ; puis acid house et techno. » Son projet musical solo, Y.L.V.A, se prépare et a même déjà passé le cap d’un premier concert à l’International. Après un hiver à Bali pour le surf, un show avec Marawa The Amazing en Australie en février, Ylva sera de retour à Paris et un EP sortira chez Johnkôôl Records en 2019…

Retrouvez Ylva Falk sur Facebook et Instagram

 

Texte : Apolline Bazin & Albane Chauvac Liao

Crédit photos : Jacob Khrist / Hélène Mastandréas

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