Avec la sortie de son EP Favorite, Victore Yaga marque le début de sa carrière et du label Indécents. Elle y défend un RnB 2.0 où elle chante des épopées d’apprentissage. Avec ce projet elle s’est découverte, mais nous souhaitions en apprendre plus sur ce jeune talent.
Il y a quelques mois, lors de l’ouverture du 24, une jeune artiste se produisit sur cette petite scène. La réaction fut unanime : mais qui est ce prodige qui capte instantanément l’attention ? Ce talent, c’est Victore Yaga, qui n’a alors même pas encore sorti de projet. Les mois passent et mon souhait devient réel : Favorite. Cinq titres rassemblés dans un EP, puisant ses inspirations dans le RnB d’Aaliyah, et bourré de modernité. À l’occasion de cette sortie, nous avons voulu en savoir plus sur la construction et l’aboutissement de ce premier projet.
Manifesto XXI – Favorite est ton premier EP. C’est également le premier projet sur le label Indécents… Tu dois te sentir fière de débuter toutes ces histoires ?
Victore Yaga : Je ne m’en rends pas encore compte pour être honnête. Encore aujourd’hui, quand je réécoute cet EP, je me dis qu’il est bon, mais je n’arrive pas encore à me faire mes propres retours sur ma musique. Si je prends du recul, je ne sais pas encore ce que je vaux réellement d’un point de vue du retour du public par exemple. Après, bien évidemment que je suis fière de cet aboutissement qui comme tu le dis n’est qu’un début. Je suis heureuse que Mona (fondatrice du label Indécents, ndlr) m’ait fait confiance et qu’elle se soit impliquée dans ce projet. Pour te dire la vérité, ça me touche. Les retours que j’ai eus sur ce projet sont encourageants. On m’a dit plusieurs fois « Félicitations ». J’essaie tout de même de rester objective, car ce n’est que le début de ce projet et je souhaite le continuer le mieux possible. Tout est encore à construire.
On peut donc s’attendre à un second projet très vite ? Ou des collaborations à venir prochainement ?
Bien sûr. Comme on sort en plus du confinement, j’ai fait énormément de musique pendant ces deux derniers mois. Mais c’est encore un peu flou pour te dire si ça va prendre la forme d’un second EP, ou avec quel beatmaker cela va se faire. Je ne sais pas également dans quelles conditions cela va se réaliser ; à distance ou en vrai. Actuellement, je n’en sais rien. Par exemple, quand j’ai commencé à travailler avec Eddy Woogy, sur Favorite, on ne savait même pas que ça allait prendre la forme d’un EP. On devait juste faire un morceau, et on s’est retrouvés à faire dix sons en une semaine alors qu’on ne se connaissait pas.
Eddy Woogy a réalisé les productions de cet EP. Tu avais une couleur précise pour celui-ci quand vous avez commencé à travailler ensemble ?
Pas du tout. On avait récupéré une tonne de vinyles. Et je ne les avais même pas écoutés. Par exemple, j’en ai pris un juste car il était bleu. S’il y en avait un qui était cool, je lui proposais de le sampler. On était seuls au monde et on était vraiment dans de l’exploration. Chaque son est un peu un concept. On en a sélectionné cinq, mais cela s’est fait naturellement. Je n’avais pas d’idée précise dès le début de ce que ça allait donner.
Comment as-tu fait cette sélection ?
J’ai préféré y mettre les morceaux les plus tranquilles. Déjà pour présenter mon univers, en parlant de choses un peu tristes. Je voulais plus sortir un disque qui se rapproche de vérités, plutôt que des sons pour bouger. Ces sons-là je les garde pour plus tard.
Dans ces morceaux, j’ai l’impression que tu racontes des histoires et tu t’adresses souvent à ton auditrice ou à ton auditeur par l’intermédiaire du « tu ». C’est ta manière à toi de faire passer tes messages ?
J’aime bien me mettre dans ce rôle de « conteuse ». Je m’inspire beaucoup de contes dans mon univers, qu’ils soient fantastiques ou mystérieux. Et je pense que je vais garder ce statut de « raconteuse ». Ou même de « conseillère », comme un personnage bienveillant. Le « tu » que j’utilise beaucoup n’est pas accusateur. C’est celui de la bonne amie que tu as. Dans mes morceaux, je parle souvent de parcours de filles perdues, d’héroïnes ou de sorcières qui vont être confrontées à des épreuves, et qui vont se découvrir et prendre conscience. Comme dans un conte en fait.
Quand tu laisses quelque chose dans ta vie qui te revient tout seul sans que tu l’aies demandé, c’est que c’est bon.
Victore Yaga
Dans une de tes stories Instagram, j’ai vu une photo de toi avec la description suivante : « Je commence à me connaître. » Favorite t’y a aidé ?
Oui. Déjà il faut savoir que cet EP a pris deux ans à se construire. Pendant ces deux ans, j’ai traversé des épreuves dures, personnelles et par rapport à ma musique. J’ai même failli y renoncer à cet EP. Mais j’ai appris à surmonter ces obstacles. Philosophiquement, je me suis dit que quand tu laisses quelque chose dans ta vie qui te revient tout seul sans que tu l’aies demandé, c’est que c’est bon. Autre exemple, j’ai moi-même mixé l’EP avec Jennifer Gros. Ça a été un gros travail sur ma confiance en moi.
J’ai l’impression que dans notre culture et la musique française, le corps a été mis en arrière-plan. J’aimerais le revaloriser à sa juste valeur, en tant que tel.
Victore Yaga
Toujours sur Instagram, on voit également que tu partages ta vie avec ce sublime chihuahua. Quand est-ce qu’on le retrouvera dans un de tes clips ?
La vraie question est : quand est-ce que je sors un nouveau clip, non ? (rires) C’est pas si simple que ça en fait. Trouver quelqu’un pour réaliser un clip digne de ce nom, avec un vrai budget, c’est plus complexe que ça en a l’air. Mais pourquoi pas mettre Ounti dans le clip de « Favorite », car c’est elle ma favorite.
Pour t’avoir vu sur scène lors de l’ouverture du 24, j’ai pu constater qu’occuper une présence scénique est tout aussi important pour toi que ce que tu chantes. C’est important que le rapport au corps soit mis en valeur avec éthique dans la musique ?
Je pense qu’on a oublié le corps dans ce style de musique (la chanson française, ndlr). On joue beaucoup sur les mots ou la langue, mais le corps c’est essentiel aussi. J’ai l’impression que dans notre culture et la musique française, le corps a été mis en arrière-plan. J’aimerais le revaloriser à sa juste valeur, en tant que tel. Et j’essaie de m’affranchir le plus des codes déjà établis. Je suis une solitaire, je n’ai pas à suivre ce qu’on m’impose.
Photo : © Chantal Milleman