Superorganism n’a pas terminé de nous faire des nœuds à la tête. Quatre ans après leur première entrée dans l’industrie, voilà que la formation revient avec un album que l’on n’attendait pas, pour la simple raison que leur musique ne peut pas se prévoir. World Wide Pop est un bijou d’hyper-pop qui semble nous parvenir du fin fond de l’hyper-espace.
En 2018 sort sur SoundCloud Superorganism, nom de groupe et nom d’album. Sous ce nom de superhéros qu’on pourrait s’imaginer mi-humain, mi-robot, dix titres aussi surprenants que percutants. Une rumeur parcourt aussitôt les réseaux : ce ne serait pas un premier disque pour de nouvelles têtes, mais le groupe concept d’une star mondiale. On s’imagine un Damon Albarn responsable d’une deuxième bande de personnages virtuels, on attend les pseudos loufoques, on cherche l’anguille sous la roche. C’est que la qualité et l’inventivité de ce premier geste artistique étonnent. Non, ça ne peut pas être le résultat d’un premier travail, il doit y avoir l’épreuve d’une longue et fructueuse carrière derrière tout ça. Pourtant, c’est bien le premier souffle de Superorganism.
Superorganism, c’est le genre de groupe qui nous fait dire « mais qu’est-ce que c’est que ce bordel » et « j’en veux encore » dans la même phrase. L’univers de ces jeunes musicien·nes est tellement foisonnant qu’il peut paraître vertigineux à la première écoute. Ça parle, ça chante, ça slam, ça change de rythme en milieu de morceau, ça maximalise le maximalisme. Pourtant, ça retombe inlassablement sur ses pattes. C’est que cette impression de grand bordel est trompeuse. Tout est millimétré par une large qualité technique mêlée à une immense curiosité pour les sons. En attendant de les voir à Paris sur la scène du Trabendo le 14 septembre prochain, on a rencontré Orono et Harry, deux membres de la formation internationale.
Manifesto XXI — Pouvez-vous nous raconter la genèse du groupe ?
Harry – C’était un long processus, ça s’est fait en grande partie sur internet. On s’est d’abord rencontré au Japon. Mon groupe jouait là-bas, et Orono est venue au concert.
Orono – J’étais une très grande fanne. Je crois que j’avais quinze ans.
Harry – Et on est devenu·es ami·es. On est resté·es en contact sur Facebook et on a commencé à assembler les pièces du groupe. Nous étions éparpillés entre Londres, les États-Unis, Sidney… On s’est dit « faisons des chansons ». On n’a jamais pensé qu’on jouerait quoi que ce soit en live un jour, on voulait seulement s’amuser. Puis on a sorti une première chanson et le reste est arrivé.
Durant la tournée je me rappelle m’être dit « mais personne ne m’avait prévenu que ce serait si dur. Pourquoi est-ce que j’ai signé ? »
Orono, Superorganism
Vous pensez que le fait de composer sans penser au live a pu influencer vos compositions ?
Harry – Si tu te poses la question du live pendant le travail créatif en studio, tu te restreins dans tes expérimentations. On s’est fait un cadeau en se permettant d’essayer toutes nos idées folles sans se poser de questions. Une fois qu’on les a enregistrés, là, on s’est dit « bon, comment on fait comment maintenant ? ».
Orono – Pour le deuxième, on savait bien évidemment qu’on jouerait live, mais on a continué à ignorer ça le temps de la création.
Une autre chose qui a dû changer pour ce deuxième album, c’est que vous étiez tous·tes ensemble !
Orono – Finalement, pas tant que ça. Du moins pas sur tout le processus. On était ensemble quand on a créé les premiers morceaux, quand on a imaginé les chansons, mais au moment de tout mixer, on était à nouveau éparpillés. Ça ne nous a pas tellement changés, ça allait seulement beaucoup plus vite.
Harry – Mais maintenant que tu le dis, je commence à me dire que quelque part, ça a fait une différence. Je pense notamment aux groupes avec lesquels on a collaboré. Pi Ja Ma, qui vient de Paris, ou CHAI, un groupe japonais. On traînait avec elle·eux et on leur montrait des trucs en leur disant « tu veux essayer de chanter dessus ? ». C’est comme ça que sont nés certains morceaux et cette spontanéité vient du fait que cette fois, nous étions tous·tes dans la même pièce. D’ailleurs, sans ça, nous ne les aurions même pas rencontrés.
Ces groupes avec lesquels vous avez collaboré, que pensez-vous qu’ils ont pu apporter à votre musique ?
Orono – Ce qu’ils ont d’unique. Tu as vu le documentaire Get Back, sur les Beatles ? C’est assez drôle, Paul McCartney est fou. Il donne des ordres à John Lennon, il lui dit comment jouer… Et en regardant ça, je me suis dit que je détesterais être dans un groupe avec un type comme lui. J’adore Paul McCartney, mais ce n’est pas du tout notre ambiance. Il sait exactement ce qu’il veut et le veut d’une façon très spécifique. Nous, on est plutôt du genre « fais ton truc, fais ce que tu veux, ce sera cool. On aime ce que tu fais alors sois toi-même et on aimera ».
Harry – Ce sont nos ami·es, donc on sait que ce qu’iels apporteront sera vraiment bien. Et d’ailleurs c’est ce niveau d’honnêteté qu’on cherche dans tout ce qu’on fait. Sans essayer tout ce qui nous vient, on perd cette honnêteté. On a aussi passé beaucoup de temps sur la production. On cherchait à créer la sensation que tout pourrait s’effondrer à tout moment.
C’est vrai qu’on peut avoir cette sensation. En écoutant l’album, il est très agréable de se retrouver perdue dans ce qu’il se passe. On ne sait jamais quel sera le prochain son, le prochain rythme… Comment faites-vous pour garder une certaine cohérence et pour ne pas être débordés par toutes ces idées qui vous viennent ?
Orono – On n’y arrive pas !
Harry – Il nous arrive d’être complètement débordé·es. On a justement beaucoup travaillé avec des producteurs pour trouver cette cohérence, parce qu’on peut se laisser emporter parfois. On a notamment rencontré et travaillé avec Stuart Price, qui est arrivé alors que les morceaux étaient déjà tous écrits. On avait fait plusieurs versions de « Don’t Let the Colony Collapse » sans réussir à chopper le truc. On essayait de trouver la bonne émotion, mais on ne peut pas toujours identifier pourquoi ça ne sonne pas au bon endroit pour nous. Et lui il a proposé qu’on enlève une chose, qu’on en rajoute une autre et qu’on étire ci ou ça, tout simplement. Et on l’a regardé en se disant « Oh mon Dieu, tu as réparé le morceau ! ».
Orono – Kanye disait de lui « he is a reducer, not a producer » (il réduit plus qu’il ne produit). Une fois, il a carrément changé tous nos accords !
Harry – Sur « Teenarger », la première version qu’il nous a proposée était très proche de ce qu’on avait déjà fait, simplement c’était mieux parce qu’on est des débutant·es et lui un génie de la musique.
Orono – C’est simple, nous on essaye de faire du Katy Perry ou du Kanye, mais lui il a réellement travaillé avec elle·eux !
Vous dites que vous êtes des débutant·es et pourtant, quand votre premier album est sorti, il y a eu cette grosse rumeur qui voulait que Superorganism ne soit pas réellement un groupe de débutant·es sortant un premier album, mais le groupe concept d’une superstar. Comment avez-vous réagi à ça ?
Orono – C’était fou. On était vraiment choqué que les gens puissent penser que derrière notre musique se cachait quelqu’un·e de vraiment reconnu·e.
Harry – Frank Ocean nous avait mis en playlist trois semaines après la sortie de notre morceau ! On n’en revenait pas. Nous n’avions même pas encore prévu d’album. Je pense que c’est pour ça que les gens ont cru que nous n’étions pas réels. La chanson est sortie il y a trois semaines et Frank Ocean la met en playlist ? Il doit les connaître, ça doit être des gens qui font de la musique depuis longtemps ! Nous, on était juste en train de se dire « woooooooooow Frank Ocean ! ».
Votre nouvel album commence sur « Black Hole Baby », un titre qui semble parler de mental breakdown. Le titre dit que quand tout va bien, parfois tout se transforme en trou noir. C’est une idée qui revient beaucoup dans l’album.
Orono – Je pense que c’est ce qui est venu naturellement, car on l’a écrit pendant la tournée.
Harry – Et pendant une tournée, il y a des hauts et des bas. C’est très intense, ce qui fait que les hauts sont très hauts et les bas, très bas. On passe d’un moment sur scène devant des milliers de personnes qui connaissent les paroles d’une chanson qu’on a écrit dans notre chambre…
Orono – À des heures passées à la sécurité d’un aéroport à trois heures du matin, avec l’envie de mourir.
Harry – À un moment l’adrénaline explose, tu te sens maître du monde et la seconde d’après tu te sens complètement seul.
Orono – J’ai hésité à parler de ça en interview, mais l’exercice de la tournée est vraiment très éprouvant. Si quelque me disait « tu devrais arrêter de te plaindre, tu es une putain de musicienne qui a la chance de voyager pour jouer ses chansons tout autour du monde » je pense que je lui répondrais d’essayer de se lever à trois heures du matin pendant un mois, de voyager sans arrêt, de se retrouver sans avoir aucune idée de l’endroit où l’on est, sans personne qui parle notre langue, et de devoir enchainer les concerts, parler à tous ces gens… C’est vraiment éprouvant, aussi bien émotionnellement que physiquement. On traversait une période très intense quand on a écrit ça.
Harry – Et puis nous n’étions pas du tout préparés. Si on regarde en arrière et comme on l’a dit tout à l’heure, on n’avait jamais pensé jouer nos chansons live, donc encore moins partir sur les routes pendant près de deux ans. C’est réellement un rêve devenu réalité. Mais c’est aussi quelque chose qu’on ne peut pas imaginer avant de le vivre. On ne réalise pas à quel point ça peut être stressant. Et je pense que l’album en est le reflet. Ce côté « ça va / ça va pas », cette alternance vient de là. C’est ça, être en tournée. Et ça s’ajoute à l’état du monde ces dernières années, cette pandémie qui elle aussi nous faisait passer du tout au rien.
C’est vrai qu’il y a un mythe autour des artistes, qui devraient être toujours heureux·ses, toujours passioné·es. Comme si ça n’était pas réellement un travail, avec ce que ça peut apporter d’épuisement.
Harry – Exactement et d’ailleurs je constate plutôt l’inverse autour de moi. La plupart des artistes ont beaucoup d’énergie et de passion à transmettre, mais ils ont aussi tendance à tomber facilement en burn-out. Ce sont des personnes très émotionnelles, c’est ce que sont les artistes et ce qu’on attend d’elle·eux. Il faut dealer avec beaucoup d’émotions et parfois, ça submerge.
Orono – Durant la tournée je me rappelle m’être dit « mais personne ne m’avait prévenu que ce serait si dur. Pourquoi est-ce que j’ai signé ? ». Je voulais être une musicienne et tourner avec mes chansons, en grandissant. Mais je n’ai jamais imaginé que ça puisse être si dur. Alors je me suis promis d’en parler à chaque interview, pour prévenir les gens. Il faut être très sérieux avec ça, même si ça n’en a pas l’air parce que sur les réseaux sociaux on ne donne pas accès à cet aspect-là.
Aujourd’hui, vous vous apprêtez à vous lancer dans une deuxième tournée avec ce nouvel album. Est-ce que vous sentez que vous avez maintenant les armes pour la vivre de la façon la plus agréable possible ?
Orono – On est beaucoup, beaucoup plus serein·es. Maintenant, on connait les règles du jeu. Donc ok, jouons à nouveau.
Harry – Et on a appris nos limites. La première fois, on voyait toutes ces opportunités qui se présentaient à nous et on ne voulait rien refuser. On a dit oui à tout parce qu’on était émerveillé·es et extrêmement reconnaissant·es que les gens s’intéressent à nous.
Orono – Dire non ne m’avait même pas traversé l’esprit ! Aujourd’hui, on sait qu’il faut aussi faire attention à nous.
Harry – On doit prendre en compte notre propre capacité à faire tout ce travail sans en pâtir psychologiquement et physiquement. En sachant tout ça, on est très enthousiastes à l’idée de cette tournée !
Dans votre dossier presse, votre genre musical est défini comme étant post-everything. C’est-à-dire ?
Orono – Je dirai que c’est parce qu’on est intéressé·es par tout. Tout est une possible influence.
Harry – Rien n’est hors d’atteinte. On se dit toujours « allons-y ».
Orono – Et pas seulement dans la musique. On aime faire des clips, du joli merch, on aime tout faire.
D’ailleurs, votre esthétique est très singulière et s’étend de la musique au reste, on sent que c’est quelque chose qui vous est cher.
Harry – On aime l’idée que ce groupe soit une sorte d’expérience, une échappée. Tu disais plus tôt qu’en écoutant l’album tu aimais te perdre totalement dans tout ce qu’il s’y passe, et on aimerait que ce soit le cas pour tout. Nous ne voulons pas nous restreindre à être uniquement des musicien·nes.
Orono – Par exemple, j’ai designé pas mal de choses et je me suis beaucoup amusée à le faire. Au-delà d’être des musicien·nes, on est tous·tes des artistes, tout simplement.
Harry – On se prend à explorer tout le reste. Faire ces clips a été tellement amusant pour nous, parce qu’on était tellement impliqué dans la conception, dans la réalisation…
Orono – On a fait les story bording…
Harry – Ça me donne l’impression d’être un enfant à nouveau. Je ne sais pas vraiment ce que je fais, mais je suis entouré de gens qui sont heureux de m’aider à réaliser mes envies.
Orono – Des gens nous donnent des sous pour faire ça, pour faire ce qu’on a envie de faire !
Harry – Exactement, on dit « est-ce qu’on peut faire cette idée stupide ? » et on nous répond « oui bon d’accord… »
Je pense que c’est ce qui participe à cette impression, en écoutant l’album, d’entrer dans une histoire, comme un chapitre à chaque nouvelle chanson.
Orono – C’est super que ça sonne comme ça ! Je ne crois pas qu’on l’ait fait consciemment, mais à la fin, on s’est retrouvé·es avec un album concept. On aime les grands albums et tous les grands albums s’avèrent être des albums concepts en quelques sortes. On ne s’est pas dit « on va raconter telle histoire », c’est arrivé naturellement et c’est très cool.
En parlant de grands albums, quels sont ceux qui vous portent et vous influencent aujourd’hui ?
Orono – Dans le train, en venant à Paris j’écoutais un groupe qui s’appelle Avenue D. C’est un duo d’électroclash. Elles sont tellement drôles. Ça parle d’orgasmes et de salopes. Elles ont une chanson dont le refrain dit « do you think i’m a slut ? hin hin » (Est-ce que tu penses que je suis une salope). C’est vraiment bien. J’adore aussi Peaches. C’est une énorme influence pour moi. J’aime la musique de salopes. Et toi Harry ?
Harry – Je reviens toujours aux mêmes basiques, comme les Beach Boys. J’aime beaucoup cette écriture simple, une chanson classique, faite de telle façon qu’elle traverse le monde et le temps. C’est éternel et pour moi ça ne mourra jamais. C’est ce que j’aimais enfant et ce que j’aime toujours aujourd’hui. Je traverse aussi plein de phases différentes. En ce moment j’écoute beaucoup de house, de dance, ce qui se fait beaucoup au Royaume-Uni. J’aime beaucoup Polo & Pan.
Un des thèmes récurrents de votre album, c’est celui de l’espace. C’est quelque chose qui vous fascine ?
Orono – Je crois que ça vient du fait d’avoir été propulsé dans cette tournée, on a eu la sensation d’être dans l’espace, de ne pas savoir où nous étions. Ça a été une grande inspiration pour nous.
Harry – On a eu l’impression d’atterrir sur une constellation inconnue. Et ça revient aussi à cette idée de se sentir comme des enfants et de ne pas vouloir de limites. L’espace a cet effet face à l’humain. C’est tellement vaste et inconnu. On en sait finalement très peu, on ne peut pas le contrôler. Ça nous ramène à la posture d’un enfant qui découvre quelque chose pour la première fois. C’est très excitant.
Dans le morceau « World Wide Pop », vous dîtes « Hello from the children of planet Earth ». Si vous deviez envoyer un morceau de Superorganism aux enfants d’une autre planète, lequel ce serait ?
Orono – Probablement « Something for your M.I.N.D. », parce que c’est notre plus gros tube, alors avec un peu de chance ils aimeront. Imaginez qu’on envoie quelque chose et qu’ils se disent « Mais qu’est-ce que c’est nul ».
Harry – Je pense que j’enverrai « Solar System », j’aime beaucoup l’ambiance et c’est une sorte de portrait de cet endroit de l’espace où nous vivons.