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Soap&Skin. « La musique n’est pas un produit »

Soap&Skin. « La musique n’est pas un produit »

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Une douceur et une nostalgie, un jour tendres, un jour noires : c’est la signature de l’autrichienne Anja Franziska Plaschg, connue sous le pseudonyme de Soap&Skin.

L’intensité émotionnelle de son travail nous plonge sans filtre dans des tourbillons abyssaux de beauté, inlassablement. Elle nous emmène au pays des songes avec sa voix d’ange, lyrique, et des productions hybrides, allant du folk expérimental à la musique électronique, en passant par des profondes recherches esthétiques. Après deux albums très riches, Lovetune for Vacuum (2009) et Narrow (2012), elle revient cette année avec From Gas to Solid / You are my friend, objet de pureté simple sorti sur PIAS et annoncé par les deux clips de « Heal » et « Italy & (this is) Water ». Ce dernier titre pouvait d’ailleurs être entendu dans la bande originale du film Sicilian Ghost Story, magnifique conte noir sur la mafia, accompagné du morceau « Safe with me ». Rencontre avec une enchanteresse aux mélodies mélancoliques.

Manifesto XXI – Tu sembles avoir trouvé une certaine quiétude dans ces morceaux et ces clips tirés de ton nouvel album, quelque chose de plus apaisé tout en restant très profond. Est-ce que cette nouvelle sortie annonce un nouveau tournant esthétique et musical ?

Soap&Skin : Je pense oui, plein de choses ont changé, j’ai changé. Ma manière d’écouter de la musique a aussi changé. Maintenant pour moi trouver une musique belle, c’est quand je ressens une réelle connexion aux gens, au monde et ce qui s’y passe. Ça, ça été un renouvellement parce que je recherchais cette connexion avec l’extérieur pour arrêter de rester cloîtrée dans ma bulle de douleur, enfermée dans mes émotions. Ce n’était plus suffisant pour moi de rester dans cette bulle ; j’étais à la recherche d’espoir et de lumière.

Qu’est-ce que la bande originale de ce film t’a apportée pour composer ton nouvel album ?

« Safe with me » n’a pas été écrite pour le film, je l’avais déjà faite avant et ils m’ont demandé s’ils pouvaient l’utiliser. Mais « Italy » a été composée pour. Ce projet m’a fait réaliser mon envie d’expérimenter de nouveaux sons, d’utiliser de plus en plus des instruments acoustiques surtout, et d’aller plus loin avec. C’était le commencement de nouvelles expériences musicales. On peut dire que c’est le mouvement global de tout ce changement autour de moi qui m’a donné envie de faire un nouvel album. Je suis sûre que les choses viennent ensemble dans le bon sens, ce qui fait que certains événements se font à des moment précis et dans la même période. Après mon dernier album je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, je savais juste que certaines choses étaient finies. Il a fallu attendre que le temps passe, voir ce que la vie allait m’apporter et puis j’ai eu un enfant, ce qui est un grand changement.

Je me suis concentrée sur d’autres choses entre temps, j’ai fait de la musique pour un film, pour le théâtre, et j’ai été un peu actrice, avec des rôles un peu expérimentaux.

Et tu as aimé faire toutes ces choses ?

C’était génial d’essayer un peu de tout, c’était de super expériences, mais par exemple la musique de théâtre n’est plus trop dans mon intérêt aujourd’hui. Je reçois aussi de temps en temps des propositions de rôles pour des films, mais je refuse la majeure partie du temps car je ne me considère pas comme une actrice, et le plus souvent on me propose de jouer mon propre personnage. Ça ne m’intéresse pas vraiment.

Est-ce qu’aujourd’hui, tu placerais ta musique dans un genre particulier, ou tu ne préfères pas trop te poser la question ?

Non. Mais qui le fait ? Je demande vraiment. J’ai l’impression que dans la musique pop et aussi la musique pop expérimentale tout se fond de plus en plus, je ne sais pas. Est-ce-que les artistes aiment mettre un genre à leur musique ?

Oui il y en a.

Oui bien sûr. Quand j’écoute un artiste qui utilise le même modèle de musique, ou presque le même, j’ai le sentiment qu’il n’essaye pas de casser les codes ou d’essayer de nouvelles choses, je m’ennuie vite très facilement. 

Tu as déjà pratiquement dix ans de carrière voire plus, est-ce que ta manière de travailler et ton rapport à la création a évolué ?

Beaucoup de choses ont évolué, mais le processus pour donner vie à une création, ces petits moments où je donne vraiment naissance à quelque chose restent les mêmes. Mais bien entendu les moyens de production et ma manière de travailler sur une création ont beaucoup changé depuis.

Tu sembles avoir compris assez vite quelle était ta voie, comme une évidence. Tu as une démarche très mature depuis le début, quelle a été ton épiphanie par rapport à la musique ?

Quand j’ai commencé il y avait une grande part de moi qui voulait toujours faire de l’art. J’ai d’ailleurs étudié l’art, je faisais des vidéos surtout, mais je me suis de plus en plus focalisée sur la musique.

Mais j’ai vraiment commencé quand j’avais 14 ans. J’avais écrit mes deux premières musiques, « Cynthia » et « Mr. Gaunt PT 1000 », qui sont dans mon premier album, et je les avais jouées à mon professeur de piano qui ne m’avait pas prise au sérieux. Lui voulait que j’aille au conservatoire et disait que je ne devais pas faire ce genre de trucs si je voulais être une bonne pianiste. Ça a été une sorte de déclencheur, car après ça j’ai arrêté les leçons de piano après dix ans de pratique, et ça m’a tellement énervée que je me suis dit que j’allais lui prouver le contraire à ce bâtard.

Quels sont tes projets futurs ? À long terme ?

Je n’ai pas de projets futurs, à long terme…

Ton titre « Mahal Jamar » est une approche différente de tous tes autres morceaux ; est-ce une collaboration unique avec Omar Souleyman ?

Ce n’est pas du tout une collaboration avec Omar Souleyman, c’est juste une autre interprétation de sa musique, je ne lui ai jamais parlé et jamais rencontré.  

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Est-ce qu’il y en aura d’autres dans le même style ?

Je m’en fiche du style, je ne sais pas. Mais il y a d’autres morceaux comme « Anger » par exemple qui ne sont pas dans le nouvel album. Ce sont des morceaux électroniques. Je suis vraiment tombée amoureuse de la musique acoustique mais la part électronique aura toujours son importance dans ma musique.

Tu sembles totalement intègre dans ta création et tes choix artistiques. Quel est le prix de l’indépendance ? Est-ce que toi tu te sens libre dans ta création ?

Merci pour cette question ! Pour moi la musique n’est pas un produit, et ne peut pas être un produit, c’est très important. En ce qui me concerne je ne peux pas faire autrement que d’être honnête avec moi-même et avec ce que je fais. Il y a un prix à ça bien entendu, mais tout a un prix après tout.

Y a-t-il une différence pour toi entre un musicien et un artiste musicien ? 

Il y a une différence c’est sûr, je l’entends immédiatement quand le projet est plus basé sur le fait d’être cool, avoir un bon style et d’être à la mode, quand c’est un projet marketing. Je le respecte tout à fait mais ça ne me touche pas particulièrement.

Tu possèdes ton propre harmonium, où l’as-tu acheté ?

C’est une très belle histoire à vrai dire : c’était y a dix ans, j’étais sur Ebay et il y avait un vendeur d’antiquités qui en vendait un pour 1000€ dans ma ville. Je lui avais donc écrit pour savoir si je pouvais l’essayer. Et arrivée chez lui il m’a laissé en jouer un bon moment ; j’aimais vraiment cet instrument, je le voulais absolument, ça me rendait triste mais je ne pouvais pas payer cette somme. Il m’écoutait en jouer et il me l’a offert. C’était extraordinaire.

Le 17 avril au Trianon

Par Leon von Floret

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