Silly Boy Blue, que l’on avait découvert avec son EP But You Will en 2018, dévoilait le 18 juin son tout premier album : Breakup Songs, un recueil intime emprunt d’une mélancolie bleue.
Silly Boy Blue, comme elle aime le dire, est un « patchwork de cicatrices ». Des cicatrices qu’elle a transformé en chansons dans lesquelles elle chante les mots qu’elle n’a jamais osé dire. Avec Breakup Songs, on aurait pu s’attendre à un album dégoulinant de tristesse et de désespoir, et finalement on se retrouve confronté à des nuances de sentiments contradictoires, s’entrechoquant les uns aux autres. Naviguant entre espoir, colère, frustration, solitude, euphorie, Silly Boy Blue chante ses ruptures encore vivantes, ses ruptures passées, mais aussi ses amours rêvées et ses questionnements personnels. Evoluant entre balades à la guitare et des productions électroniques plus dansantes (qu’elle a produit entourée de Sam Tiba et Apollo Noir), Silly Boy Blue s’affirme dans cet album, laissant plus de place à sa voix, skipant les effets chorus de son premier EP pour un résultat simplement sublime. Elle nous montre à travers son album, à quel point les ruptures peuvent marquer intrinsèquement la peau, faisant apparaître les cicatrices d’un passé qui résonne et résonnera toujours en nous.
Manifesto XXI – Comment tu te sens à deux semaines de la sortie ?
Silly Boy Blue : J’ai très très peur, je suis complètement effrayée, mais en même temps j’ai hyper hâte parce que c’est quelque chose que j’attends depuis que j’ai 13 ans ? Depuis que je fais de la musique, je pense au jour où je sortirai mon premier album, donc voilà c’est un peu un mélange de ces deux sentiments.
Sans le passé on serait des personnes assez creuses je pense. Donc oui, j’aime bien me dire que je suis une espèce de patchwork de mes histoires passées.
Silly Boy Blue
L’album est différent de l’EP, ça bouge plus et ta voix est mise en avant. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Oui il y a eu beaucoup de changements dans cet album. J’ai rencontré déjà deux producteurs assez chanmés qui sont Sam Tiba de Club Cheval et Apollo Noir. C’était vraiment très cool de bosser avec eux, parce que je suis arrivée avec mes maquettes et eux se sont vraiment mis au service de mes idées et ont ajouté leur savoir-faire et toutes ces choses que je ne savais pas faire moi-même. On a vraiment fonctionné en trio et c’était quelque chose de très vertueux. Je pense que le changement vient de ça et puis de la volonté de m’affirmer. Je passe d’un EP que j’ai fait un peu comme ça, toute effrayée et avec l’impression de ne pas avoir le droit d’être là, à un album où j’en ai assez de m’excuser de vivre, donc c’est plus affirmé et frontal. Je me planque moins en fait.
Dans beaucoup d’interviews, tu dis que tu ne te sentais pas légitime et tu te qualifiais de fraude. C’est un peu le syndrome de l’imposteur ? Dans ton titre Teenager, tu as écrit que tu n’étais pas parfaitement comme on te disait d’être…
Oui il y a vachement le truc du syndrome de l’imposteur et aussi simplement d’être une femme dans la musique. Moi j’ai eu l’impression, et je le fais encore, de faire attention à ne pas blesser, à ne pas dire des choses qui pourraient être pas bien… En fait j’en ai un petit marre de m’excuser, de passer ma vie à être discrète et à devoir rentrer dans des cases parce que je vois que ça ne marche pas. J’ai vu tellement de mecs, des lycéens, oser faire de la musique, jouer à la maison, alors qu’ils ne savaient pas forcément jouer et moi j’ai l’impression d’avoir vu plein de meufs et moi y compris. Dire « non, moi je ne sais pas en jouer »… J’ai l’impression d’avoir été dans des restrictions qu’on nous mettait en tête et moi ça ne me va plus. C’est pour ça que dans « Teenager » je dis, que je ne suis pas parfaitement calme et discrète. C’est quelque chose qui me tient à cœur. Je me dis que si une fille entend ça et qu’elle se dit que, elle non plus n’est pas comme elle devrait être et que c’est ok en fait… C’est un peu mon but de la rassurer.
L’album englobe une partie de ma vie, c’est comme un gros journal intime.
Silly Boy Blue
Un des gros changements aussi c’est que tu es passée aussi en major. Qu’est-ce que ça t’a apporté de signer chez Columbia ?
Ça s’est fait dans des conditions assez particulières étant donné que c’était pendant le premier confinement. Maintenant, j’ai toute une équipe pour m’encadrer, me conseiller, me faire avancer. Je sais que je ne suis pas un projet très évident, puisque je chante en anglais et que c’est de la musique assez indie dans la major.
Est-ce qu’aujourd’hui c’est mal vu de signer en major ?
On peut s’attendre à être formaté, il y a un peu des clichés qui persistent mais moi je suis arrivée en sachant ce que je voulais et ce que je ne voulais pas, avec des équipes et des proches assez solides pour me soutenir là-dedans et en fait. Columbia a été et est encore un allié. Je ne les vois pas du tout comme quelqu’un contre qui j’essaye de me battre, ce sont des gens qui souhaitent foncièrement m’accompagner. Donc c’est cool, moi ça me donne des moyens pour avancer comme je l’entends et aussi ce sont des des garde-fous, parce qu’ils peuvent aussi me dire quand des choses sont un peu nullos, comme des choses que je veux faire et qui ne marchent pas avec ce que j’ai fait avant. C’est un truc assez vertueux et pour l’instant ça fait un an et demi que je travaille avec eux et je suis assez satisfaite de la manière dont on bosse tous. Il y a une bonne cohésion.
Je me suis rendu compte que nos émotions pouvaient diriger notre vie et qu’on pouvait se retrouver dans des moments ou des films qu’on n’a pas spécialement vécus.
Silly Boy Blue
Comment tu as pensé l’album ?
Je suis partie en studio avec quasiment tout pile le nombre de maquettes que je voulais mettre. Je ne suis pas arrivée avec 40 morceaux en me disant qu’on verrait plus tard lesquels choisir. Je voulais dès le départ que l’album raconte une histoire. Comme tout le monde moi j’écoute de la musique par morceaux, je me fais des playlists, mais il y a des albums qui sont pour moi comme des totems comme Carrie & Lowell de Sufjan Stevens, Melodrama de Lorde ou Dummy de Portishead.
Du coup je voulais vraiment que cet album raconte une histoire. Puis on l’a terminé en studio et là j’ai du trouver un titre et il y avait « breakup songs » qui revenait tout le temps. Les chansons de rupture, c’est pas forcément que de la tristesse et ni que de la colère, c’est aussi l’espoir, c’est aussi le moment où tu retombes amoureux, où tu es dans la résilience. Et en fait je me suis dit qu’une rupture, c’est tous ces sentiments-là, des milliers de sentiments. C’est à peu près ce qui est dans l’album, donc je l’ai appelé comme ça. Ce sont toutes les étapes des ruptures, tout ce que tu peux vivre et voir, et ça me convenait pas mal. Il englobe une partie de ma vie, c’est comme un gros journal intime.
Et tu dis dans ton communiqué de presse que tu espères que ce disque tombe entre les mains d’une lycéenne. L’adolescence c’est une période nostalgique pour toi ? Comment tu l’as vécue ?
Oui j’aimerais très fort que des gens se reconnaissent dedans et que ça puisse les aider de la même façon que la musique m’a aidé à des moments où j’étais un peu paumée, même archi paumée. Donc c’est mon seul souhait : que ça puisse donner des clés à des gens qui se posent des questions qui leur pourrissent un petit peu la tête.
Puis l’adolescence c’est un truc assez paradoxal pour moi, parce que j’ai eu une adolescence assez paisible dans un certain sens, c’est-à-dire que je n’avais pas de problèmes majeurs. Mais paradoxalement c’est là où j’ai commencé à avoir une très très grosse colère et tristesse en moi, et je ne savais pas d’où ça venait, et je ne sais toujours pas d’où ça vient. C’est le moment où j’ai commencé à écrire des chansons, c’était des trucs assez dark et je m’intéressais à des films assez chelous aussi. A plonger dans ces choses-là et me poser toutes ces questions, je me demandais vraiment « Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » Je suis restée un petit peu là-dedans. Maintenant pour combattre ce truc quand je me pose toutes ces questions, je fais de la musique. Je ne suis pas nostalgique de cette période, mais c’était un moment assez fondateur pour moi parce que c’est là que j’ai compris, qu’on pouvait être triste et être mal sans avoir forcément de raison. Je me suis rendu compte que nos émotions pouvaient diriger notre vie et qu’on pouvait se retrouver dans des moments ou des films qu’on n’a pas spécialement vécus.
Je me suis dit que c’était cool d’entendre un mec (Elliot Smith) dire : « j’ai envie de me suicider, mais je ne vais pas le faire, mais en même temps j’ai vachement envie de me suicider ! »
Silly Boy Blue
Est-ce qu’il y a une chanson ou un artiste qui t’a aidé plus que d’autres dans cette période ?
Moi j’étais très fan d’Avril Lavigne et d’Evanescence. C’était une catharsis de ouf d’entendre des meufs emo chanter dans des chansons. J’étais assez jeune, j’avais douze-treize ans. J’aimais beaucoup les Cure aussi. Mais en vrai y’a pleins de meufs qui chantaient qui m’ont fait du bien, comme Daughter que j’aimais énormément, et Savages que j’aimais très très fort. Je les ai vues sur scène assez jeune et de voir ces meufs un peu badass, ça faisait du bien. Et Warpaint ! Il y a aussi beaucoup Elliot Smith et je me suis dit que c’était cool d’entendre un mec dire : « j’ai envie de me suicider, mais je ne vais pas le faire, mais en même temps j’ai vachement envie de me suicider ! » D’entendre quelqu’un assumer d’aller aussi mal, ça me faisait paradoxalement aller bien. Je me disais qu’en fait il y a pire. Il y a des gens qui pareil ne comprennent pas et n’ont pas de raisons tangibles de ne pas aller bien, et ça me faisait du bien d’entendre des choses comme ça et de me dire que ces gens sont plus vieux. On ne se connaît pas et ils ne me connaîtront sans doute jamais, pourtant on ressent la même chose. Ça veut dire que je ne suis pas toute seule et c’est un truc essentiel dans ma vie, quoique je ressens, de me dire, que je ne suis pas toute seule. Il y a des gens qui sont passés par là, voire pire ou moins pire, et quand je me sens moins incomprise, je me sens moins mal.
Pour revenir à l’album, dans certains de tes textes, tu fais référence au fantôme « you’ll be the one i’ll always haunt » ou « you’ll be the ghost of my songs ». Pour toi une relation ne peut jamais se terminer ? Finalement le mirage de l’un flotte toujours chez l’autre ?
Les relations qui ne se terminent jamais… En fait je pense que je suis un petit bloc de cicatrices, issues de chaque rupture et de chaque moment de vie. Mes histoires d’amour j’en garde toujours quelque chose que ce soit très concret ou très vague. Je pense qu’on garde toujours quelque chose des histoires d’amour passées. Et du coup j’ai toujours une partie de ces histoires qui sont toujours en moi et qui font ce que je suis aujourd’hui, c’est pour ça aussi que je ne les regrette pas. Sans ces histoires je ne serai pas devenue qui je suis aujourd’hui et je n’aurai pas appris toutes ces choses en chemin. J’accepte cette nostalgie, mon passé et le passé des gens. Parce que sans le passé on serait des personnes assez creuses je pense. Donc oui, j’aime bien me dire que je suis une espèce de patchwork de mes histoires passées.
Il y a aussi des moments dans des ruptures où t’as juste besoin d’entendre quelqu’un hurler qu’il n’aime plus une personne.
Silly Boy Blue
Avec ces expériences amoureuses passées, comment tu vois les relations aujourd’hui ? Je pense un peu à cet amour 2.0 qu’on est en train de vivre.
Moi là je sors d’une période assez compliquée en amour, je sais pas trop si c’est une rupture. C’est un moment assez dur, qui m’a un peu concrètement détruit le coeur. Et du coup là, j’ai un peu plus de mal à croire en l’amour. J’y crois très fort pour mes amis et pour mes proches qui me demandent des conseils, mais là j’ai du mal à y croire en ce moment pour moi. Dans cet amour 2.0 c’est assez compliqué en ce moment de différencier le vrai du faux, savoir à qui tu parles derrière ton téléphone et tout ça. Mais d’un autre côté, ça apporte aussi quelque chose d’assez beau. Je suis très fan du film HER et pour moi c’est une forme d’amour absolu d’aimer quelqu’un sans le voir, sans s’attacher au physique, mais juste aux mots, aux attentions, à l’écrit, à la disponibilité… Du coup c’est un peu paradoxal, je pense qu’on vit des formes d’amour assez différentes. J’ai déjà vécu des formes d’amour à distance, où je n’ai jamais vu la personne… Enfin si par Skype quand même, pour ne pas me dire que, « hey j’ai parlé à un bot pendant 3 mois ». Tout ça pour dire que je pense qu’il y a des choses qui sont à repenser, mais pour l’instant, je me tiens un peu à l’écart de tout ça et je « processe » des émotions, parce que je n’ai plus trop la force de me relancer dans des histoires d’amour, là tout de suite.
Pour terminer, tu me conseillerais quelle chanson de rupture ?
Il y en a deux que j’aime beaucoup. Celle de Ariana Grande « Thank you, next ». Elle dit « I’m so fucking grateful for my ex » et il y a un peu de ça dans l’album, où chacune de mes histoires m’a apporté quelque chose et j’en suis reconnaissante d’une certaine manière. J’aime bien cette idée qu’une chanson de rupture ce n’est pas forcément « I hate you, you ruined my life », où je vais faire une poupée vaudou avec des cheveux. Et il y a en une qui me tient vraiment à cœur c’est « Maps » de Yeah Yeah Yeahs où Karen O demande « Stay stay stay » et après elle répète pendant tout le long « They don’t love you, like I love you » et ça je trouve ça très beau, la manière de répéter ça, parce qu’il y a aussi des moments dans des ruptures où t’as juste besoin d’entendre quelqu’un hurler qu’il n’aime plus une personne. C’est insane, mais on va essayer de s’en sortir.