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La Mutinerie. Le bar féministe par et pour les queers qu’il faut sauver

La Mutinerie. Le bar féministe par et pour les queers qu’il faut sauver

La Mutinerie, lieu militant précieux, incontournable à Paris entre Rambuteau et Etienne Marcel, est menacée de fermeture imminente. Décrit comme un « bar féministe par et pour les meufs, gouines, biEs, queers et/ou trans », l’espace est hybride. En dehors de la programmation musicale du week-end, la Mutinerie c’est aussi une bibliothèque, un local à la disposition de multiples associations, des ateliers, des cours d’auto-défense féministe, des performances, des flash-tatoos, ou encore des drag-shows. C’est également un collectif en auto-gestion composé de personnes queers, qui ont fait le choix d’un endroit le plus accessible possible pour une communauté souvent précarisée.

Un lieu de rencontres, un lieu d’échange, de discussion, d’empathie, comme il en existe peu hors de cette bulle dans les lieux de sortie habituels. La fermeture d’une telle localité, c’est un retour en arrière vers la brutalité du monde pour celles et ceux qui subissent les oppressions au quotidien et qui ne trouvent que peu de moments de répit. Une broutille pour celles et ceux qui avancent dans le monde avec l’armure de leur privilège, une douleur pour les autres. Rencontre avec Claire, membre du collectif, pour une discussion sur toutes les implications d’un tel lieu.

Le pot commun pour sauver la Mutinerie

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©Gaëlle Mathieu

Quelle est la menace qui pèse actuellement sur vous ?

En fait, comme tous les bars dans Paris qui diffusent de la musique, on a des problèmes avec les voisins. Là il y a des plaintes qui ont été déposées contre nous, ce qui nous a valu une visite de la préfecture qui nous a dit qu’on allait bientôt être notifiés d’une interdiction de diffuser de la musique amplifiée, c’est-à-dire tout genre de musique à part de l’harmonica. Evidemment pour nous ça signifie la fermeture parce que ça voudrait dire ne plus faire de dj set le week-end, or c’est là qu’on fait tout le chiffre d’affaire qu’on réinvestit dans des projets qui ne rapportent pas d’argent, type auto-défense ou bibliothèque féministe. Et puis ne plus passer de musique ce serait super malaisant. Tu imagines des gens qui se regardent dans le blanc des yeux dans le silence le plus total ? Gênant.

Du coup on doit faire des travaux d’insonorisation dans l’urgence parce qu’on ne sait pas quand on va recevoir la notification d’interdiction. En fait la préfecture se la joue un peu mystérieuse, quand on leur demande des délais ils nous répondent « Oh vous savez ça peut arriver plus vite que vous ne le pensez ». Ce n’est peut-être pas le moment de se la jouer méchant dans James Bond.

Le truc c’est qu’on est un lieu autogéré et on a fait des choix de gestion pas très capitalistes, qui sont de rémunérer correctement les gens avec qui on bosse, servir de local pour des assos, accueillir des ateliers à prix libre, ne pas faire payer l’entrée, sauf exceptionnellement, à prix libre. Des choix qui font qu’on a zéro argent de côté. En plus on est dans un quartier hyper cher avec 18 000€ de loyer trimestriel. Le bar fonctionne bien mais on n’est pas du tout prêts à absorber un tel coût de travaux. On a juste de quoi fonctionner. C’est pour ça qu’on se retrouve obligé, sans gaieté de cœur, de faire appel à une communauté qui est déjà, en grande partie, plutôt précarisée.

Est-ce que tu penses que c’est un phénomène qui touche plus particulièrement les lieux queer ?

Je pense qu’il y a plusieurs dynamiques. À la fois ça s’inscrit dans le contexte des fermetures croissantes d’établissements lesbiens dans le monde. Là, par exemple, le dernier bar lesbien vient de fermer à San Francisco, ce qui est fou dans l’image que tu te fais de la ville.

En plus de ça, c’est compliqué quand tu es une toute petite structure face à l’effet de la gentrification. Nous dans notre quartier, quasiment tous les commerces ont changé ces cinq dernières années, les épiceries bio fleurissent et remplacent les commerces qui étaient là avant. Tout ce qui ouvre autour de nous c’est des restos ou des bars tenus par des gens qui ont beaucoup d’argent et qui peuvent se permettent de lâcher 84 000 € au débotté. Parce qu’il y a le coût des travaux mais aussi le coût de l’impact de la fermeture, c’est-à-dire le loyer et le fait que nous, membres du collectif, il faut qu’on continue à vivre. Mais on a la chance d’avoir un soutien massif qu’on n’attendait pas du tout. On se rend compte que finalement il y a d’autres gens qui l’aiment et ont conscience de l’importance d’un lieu comme celui-là dans Paris où malheureusement il est assez unique.

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©Gaëlle Mathieu

Il y a de moins en moins de lieux queer.

Je pense que déjà le public lesbien est quand même pas des plus friqués. Historiquement les meufs ont moins de pouvoir d’achat que les mecs, ce qui explique aussi les différences entre bars gays et bars lesbiens. Quant à la communauté queer dans son ensemble, elle regroupe des personnes souvent précarisées pour qui se payer un verre veut parfois dire sauter un repas. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a pas d’obligation de consommer à la Mutinerie, tu peux ramener tes boissons, ça permet de ne pas priver de cet espace celleux qui en ont besoin.

Comment vous arrivez à créer ce safe space ?

Alors le safe space ça n’existe pas vraiment. On essaye plutôt un safer space, de faire au maximum. On sait qu’il y des personnes violentes ou harceleuses aussi à l’intérieur de nos communautés, donc on ne peut pas se permettre de dire que c’est un safe space. En revanche, on met tout en place pour que tous les comportements problématiques (sexistes, racistes, transphobes, homophobes…) soient immédiatement pris en charge. On est très aidé là-dessus par le fait que notre public se saisit immédiatement de ces questions-là et se charge généralement tout seul de faire de la pédagogie quand c’est nécessaire, voire de jeter les personnes problématiques dehors quand la situation l’exige !

On est aussi aidé par le fait qu’en général les gens découvrent la Mutinerie par le bouche-à-oreille (via des assos vu qu’on leur prête le local, il y a une bibli, un hackerspace). Donc déjà en général tu ne tombes pas là-dessus par hasard, tu sais où tu mets les pieds et tu connais la politique du lieu. En plus de ça le week-end, vendredi et samedi, l’entrée est prioritairement réservée aux meufs, trans, inter, et s’il y a des mecs cisgenres qui veulent rentrer il faut qu’ils soient accompagnés.

Pour toi c’est quoi la culture queer ?

C’est surtout ce que les queers en font et c’est une question très vaste mais comme ça je dirais : du DIY, de la bienveillance, une remise en questions des normes – de genre notamment, du cul et de la colère.

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Cette bienveillance et ce respect, c’est super important. Ça fait un baume, une cuirasse quand tu vas dans le monde extérieur et que tu te prends des agressions récurrentes. C’est pour ça qu’on n’a pas du tout envie de fermer. Au-delà de questions personnelles, c’est que c’est trop important ce lieu. C’est capital pour plein de gens, par exemple qui se payent la transphobie au travail toute la journée et ont quand même le droit de boire un verre tranquille le soir venu.

©BauBô

La culture queer est aussi forcément liée à une vision intersectionnelle du féminisme. On voit trois grandes formes d’oppression : de race, de genre et de classe. On pense que tout est lié. Effectivement, les logiques sexistes sont imbriquées dans les logiques capitalistes qui sont imbriquées dans les logiques racistes. On essaye au maximum de pas reproduire à la Mutinerie toutes les oppressions qu’on peut subir ailleurs, mais on n’a pas la prétention de dire qu’on y arrive, malheureusement.

Comment vous faites vos choix de programmation ?

C’est très large. C’est juste pas des mecs cis blancs. Des trucs par des meufs ou des personnes queers. On fait notre choix de programmation en fonction de ce qui nous anime. On essaye de faire en sorte d’être un lieu de visibilité et de représentation d’artistes pas forcements représentés ailleurs. Là par exemple on fait du flash tattoo deux jours par mois et on travaille exclusivement avec des tatoueuses queers. Il y a plein de trucs. On fait une scène ouverte non mixte meufs gouines trans inter. Il y a un show de drag queens. Il y a l’auto-défense féministe aussi à prix libre. Il y a un hackerspace inclusif. On essaye toujours que ça soit ludique et pas prise de tête. On est surtout attentifs à l’humour et la radicalité militante.

Tu es plutôt pessimiste sur le reste du monde ?

Sur ce qui est à l’extérieur de la Mutinerie tu veux dire ? Oui, en même temps quand on voit qu’on est exsangues, que les riches deviennent encore plus riches et que des gamins crèvent en travaillant pour deux centimes, les multiples violences sexistes, le net recul aux États-Unis sur les progrès qui ont été fait les cinquante dernières années par les féministes, les gamins qui se font buter par la police, forcément ça pèse un peu. Mais c’est justement toutes ces raisons qui nous poussent à vouloir conserver ce lieu et à redoubler d’efforts dans nos luttes.

LE POT COMMUN

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