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Sarah Schulman : « Punir est un processus totalement vain »

Sarah Schulman : « Punir est un processus totalement vain »

Le conflit n’est pas une agression de Sarah Schulman sort enfin traduit en français aux Éditions B42. La romancière et essayiste new-yorkaise, connue entre autres pour le thriller lesbien Après Delores et l’incontournable La gentrification des esprits, nous a raconté ce qui sous-tend cet ouvrage coup de poing, à l’impertinence aussi intelligente que libératrice. De l’intime au politique, Sarah Schulman fait le constat d’un continuum qui traverse nos manières d’être ensemble : nous faisons souvent basculer de simples conflits en des accusations d’agression et de traumatisme, évitant ainsi la remise en question personnelle et la confrontation avec la complexité du monde qui nous entoure.

Au-delà d’une vaine et pernicieuse poursuite de la punition et d’une criminalisation injuste, ce livre exhorte à quitter la culture de la sanction et de l’exclusion pour épouser celle de l’auto-analyse, de la négociation et de la réparation. Parce que derrière le phénomène de l’accusation, de la fuite, de la diabolisation, se cache une peur panique de l’altérité, imaginée comme une forme de violence au sein d’une société marquée par la polarisation des esprits.

Nous vivons dans une société de la punition. J’ai 62 ans et je n’ai jamais vu de punition qui ait marché. Punir est un processus totalement vain.

Sarah Schulman
Couverture du livre par deValence, publié aux Éditions B42

Manifesto XXI – Bonjour Sarah Schulman. Merci d’avoir accepté cette interview. Le conflit n’est pas une agression est sorti en 2016 au Canada. Nous sommes en 2021 et il paraît enfin en France. Si vous l’aviez publié aujourd’hui, qu’auriez-vous changé ou ajouté ? Et je ne fais pas forcément référence à #MeToo

Sarah Schulman : C’est une question qu’on ne m’a jamais posée. Donc c’est parfait. Premièrement, le livre a bien été publié en 2016 mais il a été écrit deux ans auparavant, donc en 2014. C’était avant que Trump soit élu. Je me dis que le temps a été de mon côté, il a prouvé beaucoup de mes arguments. Toute l’administration Trump a été gérée par des auteurs de violences qui se clamaient des victimes. La manière dont Trump a affirmé qu’il était persécuté pendant sa campagne, le fait de tout mettre sur le dos des migrant·es, c’était un superbe exemple de comment des victimes ont été transformées en bourreaux à dessein. C’était à 100% leur système.

Certains de mes arguments les plus controversés ont également été confirmés. J’ai dit que les femmes blanches ont souvent été utilisées pour porter de fausses accusations à l’encontre des hommes afro-descendants, que ce n’est pas parce qu’une femme dit quelque chose que c’est nécessairement la vérité. Regardez l’affaire Amy Cooper par exemple ! C’était absurde : on ne peut pas inculper quelqu’un parce qu’une femme dit avoir été abusée sans aucune preuve (Amy Cooper a été condamnée pour avoir accusé à tort un homme afro-descendant d’agression, ndlr).

Aussi, il y a un domaine que j’aborderais aujourd’hui plus en profondeur et dont j’avais sous-estimé l’importance : les différences générationnelles impulsées, entre autres, par les réseaux sociaux. Les plus jeunes pensent pouvoir résoudre les conflits sur ces plateformes mais je ne suis pas sûre que ce soit possible. Cela demanderait un peu plus d’investigation.

La stigmatisation des personnes affectées par le VIH n’a pas cessé, et le conflit israélo-palestinien s’est aggravé : des occupant·es se faisant passer pour des victimes d’agressions continuent d’infliger des peines inouïes au peuple palestinien. C’est exactement ce dont je parle dans mon livre.

Quand nous n’assumons pas nos responsabilités et que nous étendons ce manque de prise de conscience à l’échelle d’un groupe, nous alimentons le pouvoir étatique.

Sarah Schulman

Comment votre livre a-t-il été accueilli justement sur les réseaux ?

Je ne l’avais pas du tout anticipé mais les réactions au livre sur les réseaux ont été parfois extrêmement violentes… et elles venaient de gens qui ne l’avaient même pas lu ! Je reçois tous les jours des insultes sur Twitter, on m’a même traitée de pédophile ! J’ai eu beaucoup d’accusations à caractère sexuel, comme quoi je serais une agresseuse ou que sais-je encore. Cela venait entre autres de QueerAnon (podcast mené par Lionel Fanny et Nigel Savage, ndlr), une sorte de version queer et satirique de QAnon, une approche désillusionnée du monde LGBTQIA+ avec beaucoup de discours portant sur des accusations d’agressions sexuelles sans preuves.

L’argument principal du livre est que quand nous n’assumons pas nos responsabilités et que nous étendons ce manque de prise de conscience à l’échelle d’un groupe, nous alimentons le pouvoir étatique. Pour je ne sais quelle raison, ce concept a échappé à pas mal de gens qui n’ont retenu que le mot « abus » : « comment peut-elle dire que ceci n’est pas un abus ? » Il n’y a souvent pas eu de conceptualisation au-delà des trois mots du titre.

Je dirais que le phénomène décrit dans le livre a été totalement prouvé par la réponse que le livre a parfois suscitée. L’ouvrage s’est prouvé par lui-même : il a provoqué des projections énormes et des peurs inexplicables. La terreur viscérale de se remettre en question, de faire face aux responsabilités qui sont les nôtres dans les conflits.

Nous abusons clairement de l’usage que nous faisons d’Internet et des réseaux. Nous les utilisons, à différentes échelles, pour asseoir une domination et une suprématie.

Sarah Schulman

Et maintenant votre ouvrage sort en France…

Oui et j’en suis ravie. Il arrive dans un moment très grave où la France fait face à une islamophobie terrible. Tout le discours de Macron sur l’islamo-gauchisme est tellement collectivement décadent…

Vous avez très bien expliqué comment l’expression de l’altérité peut être vécue comme une agression. Dans un monde où les réseaux sociaux influencent beaucoup de nos débats, en quoi l’expression de l’altérité est-elle mise à mal ? Quelles sont les conséquences de cette polarisation sur nos relations humaines ?

La technologie n’est pas le problème en soi. La télévision, quand elle fut inventée, avait pour but, entre autres, de diffuser une éducation de masse. De créer une union. Mais elle a finalement été un outil clé du capitalisme. Aujourd’hui, nous abusons clairement de l’usage que nous faisons d’Internet et des réseaux. Nous les utilisons, à différentes échelles, pour asseoir une domination et une suprématie.

Un mouvement social réussit seulement s’il est profondément connecté à celles et ceux qu’il veut défendre. […] Mais quand il y a gentrification, les besoins deviennent dangereusement homogènes.

Sarah Schulman

Je perçois dans le phénomène de polarisation produit par les réseaux quelque chose qui pourrait s’apparenter à la « gentrification des esprits », le sujet d’un autre de vos livres…

Oui, il y a une gentrification des esprits à l’œuvre dans l’usage que nous décidons de faire des réseaux. Il y a une confusion sur ce qu’est réellement la politique, sur ce qu’est une lutte.

Quand on se penche sur l’histoire d’Act Up et sur les raisons qui ont fait de ce mouvement un succès, nous nous rendons vite compte que c’est avant tout parce qu’iels étaient uni·es sur des demandes concrètes. Sur les besoins réels des gens. Sur des objectifs atteignables. Un mouvement social réussit seulement s’il est profondément connecté à celles et ceux qu’il veut défendre. Les besoins de celleux-ci déterminent le mouvement. Mais quand il y a gentrification, les besoins deviennent dangereusement homogènes. Tout devient abstrait et on se perd sur des argumentaires sur la stratégie, des débats visant à ce que tout le monde ait le même point de vue : dans l’Histoire, il n’y a aucun exemple de mouvement politique qui ait réussi grâce à son envie d’homogénéiser la société. Les mouvements qui ont un espoir de changer la donne sont ceux qui s’adressent au plus grand nombre, acceptant une pluralité d’opinions, et qui formulent des demandes concrètes.

Concrètement, selon vous, comment la communication sur les réseaux peut-elle aggraver les conflits ?

Quand on communique dans la vraie vie, nous avons un temps dédié à la discussion et nous pouvons percevoir l’intention de notre interlocuteur·ice et saisir les nuances. C’est donc plus simple d’aboutir à des raisonnements complexes, d’accepter la complexité.
Par e-mail ou autre, tout devient raccourci. Le spectre de nuances et de raisonnements complexes est extrêmement réduit. Fermé. Les personnes deviennent rapidement nerveuses, se sentent attaquées, et sans attendre le moindre délai de réponse, elles donnent suite en provoquant une escalade.

Quand on a un conflit par e-mail, je pense qu’il faut toujours proposer un entretien téléphonique. Néanmoins, souvent la personne se sentant attaquée va refuser cette proposition, parce que la confrontation réelle demanderait peut-être de changer sa position. Et elle ne veut pas changer sa position, parce que le faire voudrait dire se mettre dans un inconfort.

La demande d’être à l’aise en permanence n’est autre qu’un besoin d’être toujours dominant·e. La seule manière d’être constamment en sécurité est d’exercer un contrôle permanent sur les autres. Au contraire, si l’on veut être heureux·se, il faut accepter d’être bien souvent un peu mal à l’aise.

Sarah Schulman, citant Sara Ahmed

Ce que je constate dans la communauté queer, c’est que souvent on confond le fait de créer un safe space avec celui d’exclure de nos vies (et de nos fils d’actualité, vu qu’on parle de réseaux sociaux) tous·tes celles et ceux qui ne pensent pas pareil. Et cela ne concerne pas forcément les extrémistes de droite, mais aussi des gens qui pourraient penser un peu différemment sur certains sujets au sein même de la communauté… Cela crée un sentiment d’impossible union à mon sens, et de polarisation des mentalités.

Qu’est-ce que le safe ? Souvent on va croire que, parce que je suis différente ou que je ne pense pas la même chose, alors je suis abusive. Je te fais violence. Ceci n’est pas viable.

Je pense notamment à Sara Ahmed, dont je parle dans mon livre. Elle dit que la demande d’être à l’aise en permanence n’est autre qu’un besoin d’être toujours dominant·e. La seule manière d’être constamment en sécurité est d’exercer un contrôle permanent sur les autres. Au contraire, si l’on veut être heureux·se, il faut accepter d’être bien souvent un peu mal à l’aise. De tolérer la différence, en somme.

Le but de l’accusation basée sur des faits non vérifiés et discutables n’est autre que la punition. […] Autrement dit, on ne recherche pas une réparation ou une justice, mais une validation.

Sarah Schulman

Ne pensez-vous pas que dans certains cas, la pratique du call-out a favorisé l’expression de personnes qui n’ont jamais été écoutées par la justice ou qui ont été pénalisées par elle ? Je dis cela aussi parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, alors que nous sommes dans une société où l’identité numérique est fondamentale, détruire la réputation de quelqu’un·e publiquement (surtout sur les réseaux sociaux) est presque pire que de porter plainte…

Le principe du call-out est que tout le monde peut accuser n’importe qui de n’importe quoi. Le fait que quelqu’un·e soit accusé·e publiquement n’a pas d’autre signification que l’accusation en elle-même. Si les accusations étaient plus basées sur des faits, et que l’on pouvait donc discuter autour de ces faits, ce serait bien plus productif. Le but de l’accusation basée sur des faits non vérifiés et discutables n’est autre que la punition. La personne se percevant comme la victime rentre dans un mécanisme où seule la punition pourra valider son storytelling. Autrement dit, on ne recherche pas une réparation ou une justice, mais une validation.

Si une personne subit un vol, alors elle veut qu’un·e voleur·se soit mis·e en prison car elle a subi une peine qu’elle souhaite apaiser. Le fait que quelqu’un·e aille en prison certifie en quelque sorte la peine ressentie. Mais si on approchait la justice en mettant de côté la notion de « punition », alors on pourrait créer un vrai support pour la personne qui se sent lésée sans avoir besoin de punir pour que la souffrance soit atténuée. Nous vivons dans une société de la punition. J’ai 62 ans et je n’ai jamais vu de punition qui ait marché. Punir est un processus totalement vain. Cela ne fait que causer plus de peines.

Il semble bien que la culture du rappel à la loi soit de plus en plus dépassée et dangereuse, car elle ne permet pas une réelle mise en œuvre de la justice. Comment, dès lors, faire face à un système judiciaire qui pénalise certaines personnes tout en renonçant à l’escalade de conflits et à la survalorisation du témoignage des victimes présumées ?

Le clé, selon moi, réside dans notre définition de la loyauté, et c’est une chose qui doit se faire à grande échelle au sein d’une communauté. Certaines familles, clans, communautés, nations, se pensent un groupe de personnes loyales entre elles et elles le font en attaquant toustes celles et ceux qui sont soudainement perçu·es comme inconfortables.

Si tu es une personne blanche de nationalité française et que les autres personnes blanches de nationalité française détestent les migrant·es, pour être loyal·e à ton groupe d’appartenance, tu devrais te mettre à le faire aussi ? C’est ce que je définis comme un « lien négatif » : cette famille est fondée sur l’exclusion de quelqu’un·e et donc sur une mauvaise graine.

Qu’est-ce qu’une vraie amitié ? Qu’est-ce que le véritable amour ? Je crois qu’aimer c’est avant tout aider à négocier. Aider les membres d’un groupe à être un minimum auto-critiques sans pour autant les punir. Si nous renonçons à cette loyauté toxique, nous pouvons produire des patterns de réparation plus concluants.

Ce qui implique de pouvoir se forger sa propre opinion sans croire aveuglement à ce que la personne qu’on aime nous dit être la vérité…

Exactement. Si on m’appelle et on me dit « tu ne devrais plus parler à telle personne parce qu’elle est un·e agresseur·se », la première chose que je devrais faire est d’appeler cette personne et lui demander : « pourquoi crois-tu que untel·le est en train de dire ça ? » Et là, la négociation pour résoudre un conflit commence.

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Je crois qu’aimer, c’est avant tout aider à négocier. Aider les membres d’un groupe à être un minimum auto-critiques sans pour autant les punir. Si nous renonçons à cette loyauté toxique nous pouvons produire des patterns de réparation plus concluants.

Sarah Schulman

Quelles structures et instances mettre en place pour sortir de la justice étatique et créer des méthodes de réparation intracommunautaires ?

Je vais prendre encore l’exemple du conflit israélo-palestinien. Je fais partie de l’association Jewish Voice for Peace. C’est une organisation juive qui défend les palestinien·nes. Nous sommes plus de 18 000 aux États-Unis. C’est exactement ça le type de contre-réponse dont nous avons besoin : des personnes appartenant à un groupe dominant et oppresseur qui renoncent à la loyauté toxique et vont à l’encontre de ce qui est attendu d’elles. C’est un moyen de transformer la culture du groupe oppresseur.

Cela peut être fait à tout niveau et dans n’importe quel contexte : nous pouvons même le faire avec son/sa meilleur·e ami·e. L’essentiel est de créer des groupes positifs, de montrer que l’on peut résoudre les conflits autrement et qu’il y a une nécessité de délai dans chaque réponse qu’on apporte à un apparent conflit.

Le harcèlement moral, il me semble, est encore très peu conceptualisé. Le propre de cette forme de violence est que la limite entre un conflit et une agression est ténue, chose qui permet aux agresseur·ses de ne pas être clairement identifié·es. Comment reconnaître ce type d’abus selon vous ?

Comme je l’explique dans le livre, dans un conflit, les deux personnes prennent part à l’escalade de violence. Le conflit est une tension entre deux personnes ayant un même pouvoir et se battant pour défendre leur point de vue. L’agression a lieu quand une personne veut prendre le dessus sur l’autre, instaurer son pouvoir en démolissant celui ou celle qu’elle a en face d’elle. C’est un déséquilibre : on n’est plus au même niveau de « pouvoir ». L’abus concerne des phénomènes comme le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, ou bien des situations où une personne n’est plus dans la position d’exprimer ses volontés parce qu’elle est écrasée par l’autre.

Notre société n’éprouve de compassion que pour des gens « purs », sans nuances. Si tu n’es pas la Vierge Marie, tu ne peux pas recevoir de la compassion.

Sarah Schulman

Votre livre développe le problème de l’exagération du conflit qui parfois mène à l’escalade de violence et qui génère des « victimes pures » qu’il est impossible de remettre en question. Qu’est-ce qu’une clean victim ?

Notre société n’éprouve de compassion que pour des gens « purs », sans nuances. Si tu n’es pas la Vierge Marie, tu ne peux pas recevoir de la compassion. D’où la tendance qu’on a développée à exagérer certaines situations conflictuelles sans assumer nos responsabilités. Mais je pense que tout le monde mérite de la compassion. Il ne faudrait pas être « éligible » pour en recevoir.

Ne pensez-vous pas que cette manière manichéenne de voir les gens est aussi due à la gentrification et à la polarisation produite par les réseaux sociaux dont on parlait tout à l’heure ?

Complètement. Ce sont des outils qui créent une manière suprémaciste de voir le monde. « Je suis clean mais toi tu ne l’es pas. Donc je vais t’accuser à tort parce que je suis au-dessus de toi, puisque je suis totalement clean. » C’est une hiérarchie illusoire qui ne décrit en rien comment les gens sont réellement. Tout le monde fait des erreurs et nous sommes fait·es de nuances. Les super méchant·es n’existent pas… Enfin, si, il y en a certain·es, comme Donald Trump par exemple (rires).

Savoir à quel degré nous sommes clean est presque une préoccupation bourgeoise : le monde n’a jamais connu une telle crise migratoire, on devrait se focaliser sur des enjeux plus politiques. Cette manière réductrice de penser est même tout le contraire de la politique !

On pourrait presque dire que nous vivons dans un monde aussi complexe que nos discours sont parfois simplistes. Il suffit de penser aux débats présidentiels entre Biden et Trump : c’était extrêmement enfantin et stérile il me semble. Très peu de politique réelle, beaucoup de temps passé à déterminer qui des deux était le plus digne de confiance…

Vous savez, je suis une intellectuelle juive de New York, et je suis née dans les années 1950. L’influence de la psychanalyse sur moi est très forte : je pense qu’il faut comprendre quelles sont les vraies motivations qui nous poussent à agir d’une certaine façon, qu’il est important de bien se connaître. Je pense que nous ne nous comprenons pas suffisamment et que nous avons des motivations inconscientes que nous ne reconnaissons pas. Mon ami et professeur à Berkeley, Will Burton, estime que la plus grande division dans le monde est celle qui existe entre celles et ceux qui croient en l’inconscient, et celles et ceux qui n’y croient pas.

Une presque dernière question. Imaginez que Le conflit n’est pas une agression tombe dans les mains d’un policier pas très déconstruit qui serait confronté à une femme venant porter plainte contre un compagnon violent. Imaginez que ce monsieur réponde à cette femme : « mais vous savez madame, le conflit n’est pas une agression ! » Je veux dire : et si cette merveilleuse punchline tombait entre de mauvaises mains ? Et si elle servait à des vrai·es agresseur·ses pour se dédouaner ?

Eh bien, ce policier n’aurait surement pas lu le livre. Il aurait juste lu les trois mots du titre. Comme on fait sur Twitter (rires). Vous savez, les gens peuvent utiliser les mots à tort et à travers quand iels veulent prouver quelque chose. Iels ont réussi à utiliser la Bible pour justifier l’esclavage !

Ok, la dernière question pour de vrai : je suis une femme qui approche la trentaine, qui n’a pas perdu espoir mais qui se demande comment on va réussir à s’entendre socialement avec de tels clivages et une telle incapacité à s’écouter… Comment va-t-on réussir à mener à bien des combats essentiels pour nos démocraties ? Comment mène-t-on une révolution réussie ?

Dans quelques mois je vais publier Let the Record Show. A Political History of Act Up New York, 1987-1993. Cet essai de 750 pages retrace le récit d’un mouvement social qui a réussi. Sans aucun doute. C’était une lutte menée par des gens qui n’avaient aucun droit, qui étaient abandonnés par leurs familles et par l’État, qui souffraient d’une maladie mortelle pour laquelle il n’y avait pas de traitement. Et pourtant, iels se sont uni·es et, ensemble, iels ont forcé la société à changer. Dans mon livre, je montre exactement comme iels ont fait. Je sais que le changement est possible, je le sais parce que je l’ai vu et je l’ai vécu. Mais nous devons être intelligent·es : on ne peut plus gaspiller notre temps à nous trasher entre nous. Nous devons regarder ce dont les gens ont vraiment besoin et formuler des demandes concrètes. Nous devons être beaucoup plus efficaces. Lisez l’histoire de cette lutte victorieuse. Elle vous fera beaucoup de bien.

Couverture du livre par deValence, publié aux Éditions B42

Sarah Schulman, Le conflit n’est pas une agression. Rhétorique de la souffrance, responsabilité collective et devoir de réparation. Traduit de l’anglais par Julia Burtin Zortea et Joséphine Gross, Éditions B42, 2021, 296 p.

 

Voir les commentaires (4)
  • Merci pour cette interview, je découvre plus en détails ce livre et je le lirai.
    Par contre, s’agissant de mettre en avant une traduction, n’aurait-il pas été possible de faire appel aux traductrices pour traduire l’interview ? Parce que là… ça pique un peu les yeux.

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