Ce 23 septembre, Olivier Véran annonçait de nouvelles mesures restrictives qui ne présagent rien de bon pour les manifestions et lieux culturels qui traversent depuis mars 2020 un raz-de-marée d’annulation et croulent sous la menace d’une fermeture définitive. Pourtant, les 11 et 12 septembre dernier, Rock In The Barn avait lieu et brillait comme une lueur d’espoir pour l’avenir de l’industrie. Pour cette édition si particulière, la sécurité et les mesures barrières s’immisçaient au cœur de l’expérience festive.
Jusqu’au jour J, le doute persistait lorsqu’était abordé dans une conversation le maintien de la 11ème édition du festival normand Rock In The Barn. Lors d’un concert au Petit Bain à Paris quelques jours auparavant, une attachée de presse nous confiait qu’avec la hausse des contaminations au Covid-19, il était impossible que ce rassemblement musical ait lieu. « Pas cette année, regarde Levitation qui devait se tenir un mois plus tard, déjà annulé ! Ça ne se fera jamais, c’est impossible ». Et pourtant, la stratégie visant à mettre en place un protocole sanitaire efficace et l’élargissement du domaine afin de veiller à la distanciation physique et garantir la sécurité des participants, réussirent à convaincre la préfecture qu’un événement de ce type pouvait se dérouler sans se transformer en cluster. Il faut dire que le pari était risqué. Situé à mi-chemin sur l’autoroute A13 entre Paris et Rouen, RITB réunit chaque année des amateurs de la diversité rock qui affluent de la France entière pour assister aux concerts annoncés, réunissant des groupes et artistes des quatre coins du pays mais également des voisins européens. Nombre de professionnels du secteur qui cherchent désespérément à relancer la machine avaient les yeux rivés sur cette exploitation agricole qui allait accueillir 1800 festival·ier·ière·s sur deux jours.
Respect et bienveillance pour assurer la protection des participants
Après avoir débarqués de la navette affrétée pour l’occasion, où chaque passag·er·ère avait suffisamment de place pour ne pas sombrer dans l’angoisse liée au climat de panique qui pousse à s’isoler, nous découvrions enfin cette étendue rurale où le regard peut se porter vers l’horizon, parsemé de champs vallonnés et de prés paisibles. Le camping se remplissait progressivement et les joyeux festivaliers, habillés pour certains aux couleurs de leurs groupes fétiches, prenaient progressivement leurs marques dans cet espace éphémère où chaque individu vient vivre une expérience aussi sociale que musicale, loin des grands ensembles urbains. Dès l’arrivée au camping, des consignes étaient données pour distancier les tentes de plusieurs mètres afin que tout le monde soit rassuré face à la menace invisible.
Première chose une fois les tentes installées, il fallait tout d’abord vérifier que les mesures annoncées pour la protection des spectateurs étaient bel et bien respectées. Fouille à l’entrée et rappelle des obligations sanitaires, c’est-à-dire, masque obligatoire dans les « zones rouges ». Si vous n’en avez pas pris assez, l’organisation a veillé à en confectionner aux lettres de l’événement. Une fois rentré dans la zone délimitée, il faut se procurer des jetons pour éviter les échanges de monnaie qui passe de mains en mains, ensuite place à la découverte du circuit fléché, visant à esquiver des allés et venus en masse lors de la fin ou du début des concerts. Divers points de lavage de mains au gel hydro-alcoolique avaient également été aménagés pour limiter les éventuelles contaminations entre participants.
On compte aussi sur la citoyenneté de chacun, sur le respect et la bienveillance de tous pour respecter les consignes. Avec la responsabilité de chacun c’est possible de continuer à faire vivre la culture.
Festivalière interrogée
Nous nous sommes forgés notre avis, favorable puisque nous ne nous étions pas faits roulés par une communication mensongère, mais pour être sûrs, il nous fallait interroger quelques participants dont l’opinion était au cœur de ce reportage. C’est en faisant la queue au bar central qu’une participante nous a donné son point de vue : « C’est un festival assez intimiste que j’adore, introduit-elle. Ça fait 5 ans que je viens ici et cette année j’avais vraiment envie de venir malgré la covid, parce qu’on compte aussi sur la citoyenneté de chacun, sur le respect et la bienveillance de tous pour respecter les consignes. Cette édition a été organisée avec un protocole sanitaire solide, du gel hydro-alcoolique un peu partout et le port du masque obligatoire. Avec la responsabilité de chacun c’est possible de continuer à faire vivre la culture. Avec un petit peu de bienséance les choses peuvent s’organiser différemment et quand même se faire ».
C’est bien le défi de l’année, comment réussir à se rassembler tout en se protégeant mutuellement face à la pandémie ? Est-ce possible de continuer à faire vivre le spectacle vivant et la culture à l’ère des restrictions sanitaires ? En soutien, plusieurs acteurs de la scène indé française étaient présents. Artistes venus en spectat·eur·trice·s, programmat·eurs·rice·s d’autres festivals et de salles de concert avaient fait le déplacement pour assister à l’un des seuls festivals de l’année. Juliette, co-fondatrice du festival malakoffiot Beat and Beer et programmatrice à l’EMB Sannois, nous raconte le lendemain : « L’ambiance était un peu aseptisée par les normes covid : tout le monde faisait attention, zones avec masque, d’autres où il n’était pas obligatoire, encadrement régulier des bénévoles… Les vigiles étaient un peu trop présents, on se sentait observés en permanence. Mais Covid oblige, je compatis avec les orgas. Ça ne m’a pas empêchée d’apprécier la soirée qui avait un air de fête de village, avec pas mal de place pour danser, c’était plutôt charmant. Côté scène j’avais beaucoup d’attentes et je n’ai pas été déçue : performance incroyable de Slift, Yin Yin superbe, et Mauskovic Dance Band et Al Qasar toujours aussi bons ! ».
Retrouver la musique de façon organique
De tous les témoignages, toutes les discussions et réactions, ressort un sentiment commun : peu importe les masques ou le gel à outrance, l’émotion de retrouver la musique live, les artistes sur scène et le public debout est bien plus euphorisante que les règles imposées ne sont contraignantes. S’installe alors entre les organisat·eur·rice·s et les festivali·er·ère·s un accord tacite : si la musique doit se vivre ainsi, ainsi nous la ferons vivre. Le confinement a vu fleurir des live-sessions, concerts en direct de chez soi, festivals en ligne et autres initiatives covid-friendly et nécessaires, pour maintenir un lien et rappeler que cette industrie de la musique était privée de public, de travail, de moyens. Mais la barrière de l’écran ne peut être éternelle. L’événement se vit comme un test, une expérience presque. Est-il dangereux de réunir tant de gens ? De les laisser se déplacer sans distanciation marquée par des chaises ? Les semaines qui suivent vont-elles crouler sous les annonces de nouveaux cas de Covid-19 qui enterreraient les rêves d’une reprise totale des salles ? Si réunir 1.800 personnes en extérieur se paye par de nouveaux positifs à la pelle, comment seulement imaginer de remplir un Zénith à 6.000 places en intérieur, ou même une plus petite salle ? Grâce à sa vigilance, RITB tend à prouver que, bien encadrée, la culture peut retrouver sa dimension physique. Pendant deux jours, les festival·ier·ière·s s’extasient à nouveau face aux vrombissements des basses et les music·ien·ienne·s expriment leur bonheur de retrouver enfin ce trac, cette énergie organique qui n’existe que dans la rencontre.
« Rock In The Barn » n’est pas un nom choisi aléatoirement comme un en-tête alléchant mais trompeur ou une promesse insidieuse qui cache une programmation bien éloignée des attentes. Il est de ces festivals qui gardent un fil rouge, qui s’adressent à un public précis, qui affichent une cohérence dans les choix d’artistes. De ces festivals dont l’âme est imprégnée d’influences nettes et qui propagent sur leurs sites l’ambiance un peu hors du temps qu’est celle d’une grande famille réunie pour célébrer la musique qu’elle défend. Du rock dans une grange, la promesse est tenue. Dans le cadre agreste de la ferme de Bionval, autour de la grange en vieille pierre, s’érigent 2 scènes (plus une improvisée sur un coin de pelouse) qui accueillent des groupes allant des nouvelles têtes à suivre aux grosses révélations déjà soutenues par un public assidu. Le vendredi dès 19h, sous le soleil couchant qui disparaît derrière les cimes, le festival commence. Du hard à un psyché plus doux, en passant par l’indie ou des sons plus dansants, le rock se décline sous toutes ses facettes, face à un public avéré qui débat de ses goûts et préférences. La chaleur du mois de septembre nous laisse croire que nous sommes encore en été et ce dernier petit bout de vacances comble le vide qu’avaient laissé derrière eux les festivals estivaux annulés. Malgré la distanciation, l’interdiction de baisser le masque – même pour une gorgée de bière – au plus près des scènes, on danse, on vibre, on retrouve ces sensations dont nous avions été privés bien trop longtemps et si l’on s’oublie, derrière le micro on ne manque pas de nous rappeler à l’ordre. On finit presque par oublier que l’on porte un masque.
Ce week-end dans la prairie normande semble donc ouvrir un champ de possibilités au paysage culturel et faire pousser l’espoir chez les intermittent·e·s du spectacle et tous les act·eur·rice·s de l’industrie de pouvoir faire revivre le 4ème art dans toute sa splendeur.
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Photo en une : © Titouan Massé
Léa Simonnet et Michel-Angelo Fédida