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Marie Davidson & L’Œil Nu : Invitation à la force d’exister

Marie Davidson & L’Œil Nu : Invitation à la force d’exister

Manifesto 21 - Marie Davidson

Marie Davidson & L’Œil Nu réalisent un premier effort riche d’une énergie intrépide. Une traversée des genres, de l’électro-disco à la ballade sensible, filée par l’affirmation inexorable d’un refus de renoncer.

Il faut remonter jusqu’en 2010 pour trouver la source du fleuve pas si tranquille qu’est la carrière de Marie Davidson. Brûlez ce cœur, premier album des Momies de Palerme qu’elle forme avec Xarah Dion, offre les prémices d’un univers musical foisonnant. Des sons électroniques sombres, des violons acérés et des voix dilatées aux harmonies oniriques. La même année, c’est avec son mari Pierre Guerineau qu’elle monte son deuxième groupe : Essaie Pas. Le cours d’eau prend un tournant plus dansant, aux mélodies plus pop sur une production électro qui s’étoffe. Depuis, Marie Davidson enchaîne les collaborations fructueuses. Solitary Dancers, Not Waving ou encore Invisible Church, et fonde en 2012 son troisième duo, DKMD, avec le musicien compositeur David Kristian. De ces rencontres, elle puise une inspiration qui semble sans limite. Goutte à goutte elle trace le sillon de ce qui finira par la caractériser : une musique électronique loin d’être étanche, de la dance se frottant parfois au disco, une voix alternant entre anglais et français, chanté et parlé, aiguë et grave.

En 2012 toujours, la jeune Québécoise se jette dans le grand bain. Premier EP solo, simplement titré de son nom. En découlent 4 albums puissants, riches, étonnants parfois. Perte d’identité (2014), Un autre voyage (2015), Adieux au dancefloor (2016), Working Class Woman (2018). Tous signés de labels différents, comme pour prouver l’éclectisme de sa carrière. Elle affirme et explore son style et finit par se faire une place confortable au cœur de la scène synth-wave montréalaise. Ainsi qu’un nom salué, bien qu’encore trop discret à l’international. À travers ces disques, elle relate une vie d’ivresse, de drogues, de fêtes et de clubs. La joie, les danses, les ami·e·s. Puis la fatigue, l’égarement, le plaisir qui s’étiole. Un quotidien épuisant, qui lui semble vain et qui finira par l’ennuyer, voire la dégoûter. En 2019, elle publie sur Instagram un court message, annonçant son retrait des clubs et son envie « d’explorer de nouveaux horizons ». Un adieu au dancefloor mystérieux qui laisse planer le doute et inquiète ses fans. En réalité, on y lit un désir d’ailleurs, de différent.

© Jocelyn Michel

S’offrir tous les possibles

Et un an après, la renaissance. L’ailleurs et le différent au creux des mains, Marie Davidson s’offre tous les possibles. Pour l’accompagner, elle s’associe de nouveau à Pierre Guerineau et le couple est rejoint par Asaël R. Robitaille (Léopard et Moi, Femminielli, Piranha…) pour former L’Œil Nu. Ce 25 septembre iels publient un album plus pop, Renegade Breakdown, surprenant par les extrêmes qu’il traverse, admirable par la justesse dont il fait preuve à chaque rebondissement. Ouvert par un titre éponyme sorti le 12 août 2020, le retour à l’électro des années 80 est immédiat. Une voix parlée sur un beat minimaliste, l’instrumentale qui s’agrémente au fil des secondes, un changement de rythme et de trajectoire mélodique au milieu du morceau… Les dancefloors ne sont finalement pas si loin. Mais l’album qui se cache derrière cette track est loin d’être linéaire. Il est presque difficile de croire que les dix titres font partie du même projet tant ils sont différents les uns des autres. Le trio explore ses capacités, allant d’un électro-disco grisant (« Worst Comes To Worst », « C’est parce que j’m’en fous ») à des ballades acoustiques (« Center Of The World », « La Ronde ») en passant par une synth-pop nostalgique (« My Love », « Sentiment ») ou un rock chaud, fiévreux (« Back To Rock ») et s’adonnant même à des mélodies jazz avec « Just In My Head ».

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Toujours bilingue, la voix de Marie continue l’exorcisme qu’elle entamait dans ses premiers efforts. Cynique, malicieuse ou tendre, elle dresse le portrait d’une artiste dépassée, seule, triste. « And by the way, there is no money maker on this album. This time, I’m exploring the loser’s point of view. » L’honneur est au mental breakdown, à la façade qui s’écroule, à la gorge nouée. « Worst comes to worst I’m feeling down » chante-t-elle, ou « Tu fuis la foule pour cacher ta douleur (…) sourire encore pour étouffer tes pleurs » dans un « Lead Sister » qui semble autobiographique. Si elle s’est extirpée de l’ambiance étouffante des clubs, la pression d’une carrière montante, d’une société formatée ou d’un « regard des autres » trop appuyé semblent encore entraver sa quête de paisible, de bien-être. Pourtant, l’album est loin d’être défaitiste. Plus revanchard que déprimé, il sonne comme une invitation à la force d’exister entièrement, sincèrement. En émanent une volonté farouche d’être heureux·se sans clivage, une bonne humeur contagieuse, une énergie combative électrisante. Preuve en est dans le morceau « C’est parce que j’m’en fous », ode à la liberté d’être, expression du rêve d’un monde sans jugement et du désir d’une différence acceptée.  

Marie Davidson, « Renegade Breakdown », premier titre issu de son nouvel album

Image mise en avant : © Madison Dinelle

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