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Qu’est-ce qu’une écriture politique ? Réponse de 6 auteurices en lutte

Qu’est-ce qu’une écriture politique ? Réponse de 6 auteurices en lutte

Vendredi 2 juin, Friction magazine organise « Langue de brute ou langue en lutte ? » une alléchante soirée dédiée aux écritures poético-politiques au Pavillon des Canaux.

Comment la poésie peut-elle véhiculer un message politique ? Quand peut-on parler de poésie engagée ? Alors qu’on assiste à un renouveau des écrits poétiques et que les slogans politiques créatifs ont rythmé ce printemps de mobilisation sociale, l’équipe de Friction magazine nous invite à réfléchir au pouvoir des mots. La soirée « Langue de brute ou langue en lutte ? » propose un atelier d’écriture, des lectures et une table-ronde qui réunira les autrices et artistes Gorge, Treize, Leïla Chaix et Oxni. Chacune à sa manière lutte pour exprimer son désir, partager sa colère, se guérir, s’émanciper. Pour vous faire saliver un peu en amont de cet événement on a demandé aux orgas et leurs invitées de nous partager leur définition d’une écriture politique.

Treize, autrice de Charge (La Découverte)

Pendant des années j’ai gardé l’espoir d’arriver un jour à écrire mon histoire psychiatrique de façon à ce qu’elle sonne juste à mes propres oreilles. Et si j’y arrivais je me disais que ça ferait circuler des forces à d’autres. Mais rien dans ma vie venait valider ça, rien me permettait de trouver cette idée raisonnable, cette croyance-là elle était purement politique. Edgar Sekloka, dans son album Unpeude sucrr : « La résistance c’est une cicatrice d’utopie ». Je trouve que c’est très important tout ça.

Gorge, poète et performeureuse

L’écriture politique part du corps – elle dit comment l’injustice fractalise – elle montre les brèches avec sincérité – elle joue avec l’inconfort et le trouble pour actionner lae lecteurice. L’écriture sexuelle est politique.

Oxni, aka Oxytocine

Je pense que c’est grandement contre l’Histoire que nous construisons les histoires qui nous reconstruisent. L’écriture politique consiste donc à détricoter l’officiel pour affirmer l’officieux car la politique et les dominations qui la façonnent parlent déjà à travers nous. Par une tentative d’écriture que l’on souhaite politique, on cherche à parler d’elles et pas seulement depuis elles ; à devenir un obstacle et plus seulement un vecteur des rapports de forces. En disant « J’étais seul·e, mais on est des millions » j’affirme que mon expérience n’est pas (que) la mienne et que je n’écris donc pas seul·e. Pour me soigner je m’emploie à chercher ce qui est collectif dans ce qui m’arrive et si j’y parviens cette quête pourra peut-être aider d’autres personnes à qui on a infligées les mêmes blessures. Casey dit [ dans « Tragédie d’une trajectoire » ] : « J’voulais dire qu’il suffit de peu d’choses pour construire un·e enragé·e. Qu’il suffit de peu d’choses pour construire un·e engagé·e ». Je crois aussi que de la colère vient l’engagement et ça m’apaise de considérer qu’elle est donc fertile.

Leïla Chaix, poète chroniqueuse et micro éditrice

Une écriture poétique ça sonne, claque, frappe, bave, danse, pleure, étonne, émeut. On se disait hier avec quelqu’une que la poésie, quand elle est bien, décapsule l’âme. On pourrait dire décapsul’âme. Ça permet d’éprouver des trucs, ça fait ressentir des émotions, ça fait un peu comme la musique : on redescend dans notre corps, dans notre folie, dans nos souvenirs, dans ce qui ne nous appartient pas, dans ce qui ne se gouverne pas, dans l’invisible et l’indicible. C’est une pratique politique, spirituelle. Je vois ça comme une main qui branle, caresse vivement, stimule l’esprit, l’aide à jouir et à jaillir.

Cami, modèratrice de la table-ronde, team Friction

Une écriture politique c’est une écriture qui annule le sentiment de solitude. Sa lecture, soudain, nous relie aux autres et nous invite à garder et en mémoire et en action ce lien. 

Référence en terme d’écriture politique, je pense à Paul B. Preciado. Dans son dernier essai Dysphoria Mundi, il déploie ce concept : nous vivons dans un Régime pétro-sexo-racial. Ce régime a produit et est le produit de notre addiction collective au pétrole et à ses dérivés. Où l’ensemble de nos relations sont conditionnées par le binarisme sexuel, la soumission du genre féminin par le genre masculin, et la domination des populations blanches sur l’ensemble des autres populations et du vivant. 

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Allant au-delà d’une vision du capitalisme patriarcal comme puissance d’écrasement subi, le philosophe insiste pour dire qu’il s’agit d’un régime esthétique dans lequel nous prenons une part active. Un bon goût « toxique », auquel nous nous sommes accoutumés. Ainsi, pour sortir de ce « réalisme capitaliste » — qui fabrique violence, injustice, exploite ou tue tous les vivants — il nous faudra sortir de l’amour et de la dépendance que l’on entretient avec son esthétique. Cette idée d’addiction à l’esthétique capitaliste m’arrivait conjointement à la coupe du monde au Qatar. Dans un PMU de Paris qui ne diffusait pas de match, je soulignais les passages qui me donnaient la force de boycotter un sport-symbole que j’avais toujours voulu aimer et duquel j’avais toujours voulu être aimée

Leslie Préel, animatrice de l’atelier d’écriture, team Friction

Je pense que toute écriture est politique. On parle forcément de quelque part et quand bien même l’idée première ne serait pas de véhiculer un message explicite le simple fait d’écrire nous inscrit dans le monde. Il n’y a pas plus poétique que des slogans sur des pancartes !

Image à la Une & afficher, @peter.trelcat 
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