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Magazine Julie : hommage à la presse qui prend soin des jeunes filles

Magazine Julie : hommage à la presse qui prend soin des jeunes filles

Consacré aux jeunes filles âgées d’entre 10 et 14 ans, le magazine Julie a fêté ses 25 ans l’année dernière. On l’a feuilleté ou lu avec assiduité, on y a en tout cas trouvé un espace dont on se souvient avec tendresse. Et puis, alors que les chiffres révèlent un mal-être croissant chez les préadolescentes, on s’est demandé comment ça avait évolué avec #MeToo, Internet, l’époque ?

Le constat est alarmant, les jeunes filles ne vont pas bien : il y a même « urgence » selon cette enquête de Mediapart qui cite une étude de la Dress faisant état de +63% de scarifications ou tentatives de suicide chez les jeunes filles entre 10 et 14 ans. Comment répondre au mal-être des ados ? Leur vulnérabilité est au cœur de l’actualité. Avec l’exposition des abus subis par Judith Godrèche, sous l’emprise du réalisateur Benoît Jacquot, la société est amenée à remettre en question le regard qu’elle porte sur les jeunes filles. 
Sur une note beaucoup plus légère, en début d’année un vent de panique a soufflé dans le monde sucré des TikTokeuses beauté : impossible d’aller à Sephora sans être assaillie par une horde de petites filles de 10 ans qui se battent pour des produits skin care… Mais pourquoi serait-ce si gênant de partager son espace avec des pré-adolescentes ? Certaines ont plutôt été prises de nostalgie en repensant à leurs anciennes virées à Claire’s et à leurs après-midi passées à lire Star Club. Et évoquent des regrets face à ces espaces de liberté pour jeunes filles qui n’existeraient plus aujourd’hui… Vraiment ? La peau (hydratée) de l’ours a peut-être été vendue trop vite…

En 2019, l’ancienne rédac-chef de Sciences et Vie Junior lance le magazine Tchika, le présentant comme le premier magazine « d’empowerment » pour petites filles, en opposition aux autres magazines « plein de rose, de paillettes, parlant surtout de mode et de beauté ». Un beau projet… Et intéressant d’un point de vue marketing, à une époque où l’éducation non-genrée devient à la mode. Mais parler du premier magazine français d’empowerment est un peu rapide quand le magazine Julie existe depuis maintenant 25 ans. Créé par le groupe Milan, le magazine est à mi-chemin entre une version enfantine de Elle et un pendant féminin de magazines comme Astrapi, créé par la presse catholique. 

La presse pour jeune fille, ce n’est pas vraiment une nouveauté. Dès 1905, l’hebdomadaire La Semaine de Suzette proposait déjà des histoires, des BDs et des conseils aux jeunes filles de la bonne société. Toutefois dans la fin des années 1990 qui a vu naître Julie, l’époque n’est plus tout à fait la même. La “femme libérée” est abonnée à Marie-Claire mais Alizée est sur le point de ré-introduire la figure de « Lolita » dans les mœurs et dans la mode.

Alors comment parle un magazine pour petites filles en 1998 ? Tout d’abord en les écoutant principalement. Alors que des termes comme « empowerment » et « sororité » ne font même pas encore partie du vocabulaire des Français·es, le but principal du magazine Julie à cette époque est de répondre aux interrogations des petites filles.

« On voulait faire un magazine qui donne un peu les conseils d’une grande sœur, qui parle aux petites filles de tous les sujets qui les préoccupait, même les plus intimes » ré-affirme Charlotte Villez, rédactrice chez Julie de 2006 à 2010. Le cœur du magazine est la rubrique « Confidences » aka le courrier des lectrices, qui met au centre des sujets comme la puberté, l’amour et la famille. 

On pourrait critiquer cette formule de départ du magazine qui laisse la part belle à des sujets assez stéréotypiquement féminin : l’apparence et les relations sociales. Mais ce serait oublier d’une part le manque d’informations sur ces sujets pour les jeunes filles à l’époque : comme aujourd’hui, les cours d’éducation sexuelle étaient loins d’être à la hauteur de l’enjeu ; et d’autre part la concurrence était surtout occupée par la presse catholique, qui dans le meilleur des cas éludait ces sujets et dans le pire, propageait un discours conservateur, comme via le fameux Dico des Filles qui a bien mal vieilli.

Même si le terme « féministe » n’était pas directement employé, l’envie d’encourager les filles et de les pousser en-dehors des carcans était déjà là d’après Charlotte Villez : « On a toujours voulu montrer des portraits de femmes dans des métiers originaux, à des endroits on en aurait plutôt attendu un homme. » 

L’ambition de l’équipe du magazine était de montrer que les filles ont autant le droit de rêver d’être pilote d’avion que d’être puéricultrice, et de lever les tabous et auto censures sur les métiers réputés « masculins ».  

Mais comme nous sommes tout de même dans les années 2000 et que la concurrence avec les autres titres de presse pour jeunes filles fait encore rage, on trouve aussi des articles plus typiques d’un féminin, comme la mode qui a une grande place dans la formule des débuts. C’est là que l’imitation des magazines adultes est la plus flagrante, avec des vrais shootings de mode, parfois même réalisés à l’étranger. Un sujet qui a toujours été un peu épineux d’après Charlotte Villez : « On s’est toujours posé des questions sur cette rubrique : la mode a une place bien moindre dans la formule actuelle. Mais on ne voulait pas éluder le sujet complètement car cela intéresse beaucoup les lectrices. »

Nous sommes dans l’ère des « pop girls » trés féminines, on achète encore des posters, des CDs, la France s’arrête à chaque finale de la Star Academy : c’est l’âge d’or de Stars Club et de tous les magazines qui proposent des affiches et des paroles de chanson. C’est à cette concurrence que Julie doit faire face.

Parler aux filles sans en faire des lolitas ; assumer d’être un féminin sans aller dans les clichés, voilà l’équilibre que Julie a dû maintenir pour faire durer le titre jusqu’à aujourd’hui. Le magazine a évidemment connu plusieurs formules depuis ses débuts. La fin des années 2010 marquent un premier tournant : #MeToo change les discours, les pop-stars et l’hyper féminité font moins recette, on commence aussi à parler de body positivity et d’empowerment féminin. Julie change son fusil d’épaule : fini les starlettes et les shootings de mode. Le magazine mettra désormais les récits de femmes puissantes en avant et donnera de l’ambition aux jeunes filles.

Mais alors que tous les ingrédients étaient là, la sauce ne prend pas et les ventes du magazine chutent. Après enquête, l’équipe du magazine fait un constat : les jeunes filles ont de telles insécurités liées à leurs corps et à la puberté qu’elles n’arrivent pas à se projeter dans une lutte politique. Pascale Garés, rédactrice en cheffe actuelle de Julie, insiste beaucoup sur ce besoin de sécurité des lectrices : « Ce qu’elles voulaient c’était comprendre ce qui leur arrivait et qu’on les rassure sur leur normalité (si tant est que la normalité existe). Elles ne peuvent pas se lancer dans le monde et dans le combat féministe sans ça. »

Charlotte Villez quant à elle s’interroge sur la place des jeunes dans un débat politique mené par des adultes : « On demande beaucoup de maturité et de recul à des filles très jeunes. On voudrait qu’elles soient déjà hyper engagées et conscientes mais c’est nous les adultes qui projetons nos combats sur elles. »

10-14 ans c’est encore un petit peu tôt pour admirer Frida Khalo ou Sylvia Plath. Dans une société qui les bombarde plus que jamais d’image de femmes, le constat est là: en 2024, les jeunes lectrices luttent encore pour bien vivre avec leurs corps et leurs changements. 

C’est là que le magazine Julie trouve sa force et fait d’elle encore une valeur sûre aujourd’hui : dans une société qui réussit à la fois à les infantiliser et à les sexualiser précocement, le magazine rassure, crée un safe space et initie ses jeunes lectrices à la sororité.

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Captures d’écran du blog « Service d’urgence » de Julie


Cela fonctionne aussi parce que Julie n’est pas uniquement un magazine, mais aussi une communauté en ligne depuis 2006 avec la création du forum en ligne « Folili » puis du blog « Service d’urgence » qui permet aux jeunes filles de s’entraider sur les problèmes qu’elles rencontrent. Sur ces plateformes, les lectrices s’auto-gèrent et reproduisent l’esprit de bienveillance et de sororité du magazine, ce dont se félicite Pascale Garés : « Les lectrices se gèrent entre elles sur beaucoup de sujets ! (…) C’est bien qu’elles se rendent compte qu’elles sont aussi capables de régler leurs problèmes entre elles sans adultes. »

En cela nous devrions tous prendre exemple sur ces jeunes filles: elles réussissent à faire fonctionner une communauté d’entraide sereinement et sans shitstorm. Un exploit dont peu d’adultes peuvent se targuer aujourd’hui… La lectrice Julie de 2024 n’est peut être pas encore prête à coller des affiches la nuit et à manifester mais il y a une chose qu’elle a comprise peut-être mieux que nous : le vrai sens du soutien entre paires.

Mais la lectrice du magazine Julie d’aujourd’hui a aussi changé de ses prédecesseuses sur un autre point: elle tombe beaucoup moins dans le piège de l’hétérosexualité compulsive. La jeune fille de 2024 n’est plus autant dans la quête perpétuelle du garçon idéal, comme le constate Pascale Garés : « Nous recevons des questions qui sont nouvelles mais on remarque une constante : la volonté des lectrices de se conformer à un modèle. Or il se trouve que ce modèle a changé et qu’aujourd’hui, il n’est plus hétéronormé. » 

Les conseils donnés aux filles les aident aussi à apprécier la liberté et l’étendue des découvertes que leur offre cette période de leur vie. L’envie de voir la beauté et non le danger dans la liberté des adolescentes : c’est ce qui fait la nécessite de raconter l’histoire d’un magazine pour « gamines » dans un média queer et féministe en 2024. Parce que l’on ne peut pas espérer élever une nouvelle génération de féministes en ne s’intéressant pas aux problèmes de l’enfance et de l’éducation ; parce que les jeunes filles sont les premières victimes des violences, qu’elles soient sexuelles, symboliques, psychologiques ; parce que l’apprentissage de la sororité ne commencera jamais assez tôt ; parce que le corps des jeunes filles est un terrain de combat que nous ne pouvons pas abandonner aux réformistes et aux conservateurs.

Aussi parce que les jeunes filles, loin d’être futiles et imbéciles, ont aussi des choses à nous apprendre, sur nous-mêmes et sur les modèles que nous voulons être.

En cela, écrire pour les ados n’est ni dérisoire, ni facile : c’est un défi et un devoir et Julie s’acquitte toujours de cette mission avec conscience et passion.


Relecture et édition : Apolline Bazin

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