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Le véritable punk est noir : retour sur un whitewashing

Le véritable punk est noir : retour sur un whitewashing

Le punk puise ses origines et ses influences dans les productions et cultures noires, latin·x et indigènes. Mais le mouvement a été si whitewashé qu’aujourd’hui, les scènes punk sont devenues majoritairement blanches et les personnes noires qui y adhèrent se sentent parfois illégitimes, ou sont discriminées et volontairement effacées. Pourtant, qui de plus anti-système et de plus punk que les personnes noires ?

Tapez le mot « punk » dans un moteur de recherche, et vous tomberez systématiquement sur des groupes de personnes blanches, principalement des hommes cis, aux crêtes fluorescentes et vestes en cuir cloutées. Il vous faudra scroller bien plus bas, jusqu’à la crampe, pour trouver une image de punks racisé·es, et encore plus loin pour qu’une personne noire apparaisse dans un costume caricatural dédié à Halloween. Un comble, quand on sait par quoi, et surtout par qui, le mouvement punk a été inspiré…

Dans les écouteurs, le punk, c’est de la guitare et une batterie qui tambourinent fort et très vite, puis une voix qui perce le tout avec des paroles politiques et controversées. Dans la penderie, l’esthétique dite punk s’oppose radicalement à celle du mouvement hippie des années 70. Le moche et le « vulgaire » sont glorifiés, les imprimés criards remplacent les pâquerettes et les rubans, et les t-shirts déchirés aux slogans provocateurs sont tenus à bout de bras par des épingles à nourrice. L’histoire de la musique punk, quant à elle, se limite aux yeux du grand public au mouvement anarchiste né de la classe ouvrière de la jeunesse anglaise et blanche des années 70. Encore aujourd’hui, on associe essentiellement le punk à des groupes comme le quatuor Sex Pistols, à leur dégaine provocatrice et leur incontournable « God Save the Queen ».

Mais le punk, c’est bien plus que ça. Et surtout, le punk est noir.

Le punk, c’est aussi l’aspiration à l’indépendance. Il n’y a pas plus punk qu’une personne noire et son existence ou sa survie.

Adama Anotho, photographe
© Pure Hell
Punk avant le punk

« Si vous remontez dans l’histoire, il ne faut pas longtemps pour remonter la lignée du punk et y trouver une descendance directe de la classe ouvrière noire » nous rappelle Seth, multi-instrumentiste américain. Le musicien connaît bien son sujet. Après avoir joué dans de nombreux groupes punk, garage et hardcore au cours des dix-huit dernières années (Useless Eaters, Clock Of Time, ÖPNV, Couteau Latex, Exit Group, Glaas, Idiota Civilizzato, Life Trap, POW!, Vile Nation), il a récemment lancé un nouveau projet entièrement électronique, Blaq Hammer, qui n’en reste pas moins très punk.

L’artiste de Memphis m’offre d’ailleurs un bref résumé des origines du mouvement. Le rock tel qu’on le connaît aujourd’hui trouve la plupart de ses origines dans le blues. Inventé par les Afro-Américains, le blues lui-même descend des chants entonnés par les esclaves dans les plantations du Deep South américain. Les premiers groupes de punk, Death originaire de Détroit ou encore Pure Hell de Philadelphie, étaient composés de membres noirs qui cherchaient à exprimer leur condition à travers une version plus crue du rock de l’époque.

© Punk Before Punk Existed : A Band Called Death

Le documentaire Punk Before Punk Existed : A Band Called Death, dédié au parcours rocambolesque du groupe Death, le dit sans détour : Death était punk deux ans avant que le punk ne voit le jour. Pourtant, rien ne le laissait présager. Avant de changer le game avec leur emblématique « Politicians In My Eyes », un titre mélodique et engagé, les frères Bobby, David et Dannis Hackney ont d’abord joué du funk sous le nom de Rock Fire Funk Express. Leur style plus agressif et visionnaire viendra un peu plus tard, après le décès soudain de leur père et la découverte des groupes The Who et The Stooges. En 1975, le producteur Clive Davis de la maison de disques Columbia les repère et leur propose une avance pour qu’ils enregistrent un album à condition que le groupe change de nom. Rebelles dans l’âme, les musiciens refusent en bloc : la maison de disques se rétracte et le groupe se sépare deux ans plus tard.

Quant à Pure Hell, ce groupe précurseur du hardcore composé de quatre ados énervés, Kenny « Stinker » Gordon, Lenny « Steel » Boles, Preston « Chip Wreck » Morris et Michael « Spider » Sanders, il a proposé un rock plus cadencé et provocateur dès les années 70. Une audace qui leur valu, des années plus tard, l’étiquette du premier groupe punk entièrement noir et une reconnaissance relative pour leur unique titre « These Boots Are Made for Walking ». Le guitariste Boles confia même : « C’est nous qui avons payé le prix fort pour ça, nous avons enfoncé les portes. Nous étions véritablement les premiers. Et nous n’en avons toujours pas reçu le mérite. »

Malgré leur influence, ces pionnier·es n’ont jamais eu le succès qu’iels méritaient, l’industrie cherchant à cantonner les personnes noires au disco ou à des musiques dites plus dansantes. Le compte Instagram BIPOC_Punk [l’acronyme signifie Black, Indigenous and People of Color, ndlr] vise aujourd’hui à mettre en lumière ces artistes noir·es, indigènes et racisé·es invisibilisé·es de la scène punk, à l’image de la chanteuse grunge afro-américaine Tina Marie Bell, le chanteur afro-queer Lionel White du groupe Snuky Tate ou encore des groupes contemporains comme Big Joanie, un trio de féministes punk et noires. Le créateur de la page insta, le philippino-américain Ray Lacorte, retrace les raisons de cet effacement : « De nombreux groupes pionniers tels que Death et Pure Hell qui comptent exclusivement des membres afro-américains, et des groupes latino-américains de l’est de Los Angeles, comme The Brat, Los Illegals et The Stains, n’ont pas bénéficié d’une audience nationale ni d’une reconnaissance pour leur rôle dans le lancement du punk aux États-Unis. Si de nombreux facteurs peuvent conduire à la montée en popularité d’un groupe, la distribution de la musique, ainsi que l’exposition dans les médias jouent un rôle important dans la viabilité commerciale et la sensibilisation des consommateur·ices. Ces facteurs, en particulier aux États-Unis, faisaient cruellement défaut. » Tout s’explique.

Et les femmes dans tout ça ? Bien avant la version féministe du punk rock et du rock alternatif popularisé par les Riot Grrrl des années 90, des femmes noires comme la batteuse Karla Maddog et la chanteuse Betty Davis ont participé à enrichir la sous-culture punk des années 70 aux années 90. « Je me souviens de figures comme Skunk Anansie », se rappelle la photographe franco-gabonaise Adama Anotho, la plus punk de mes ami·es, dont le travail s’articule autour des identités marginalisées et de leur archivage. « Voir une femme noire et foncée à la tête d’un groupe comme ça, dans mon cerveau d’ado, c’était l’explosion et aussi une confirmation que j’étais à ma place. Cela m’a confortée dans l’idée que j’avais le droit d’être qui j’étais, même si je n’en avais pas trop douté car ma propre mère encourageait la manière dont je choisissais de m’exprimer. Les remarques du reste du monde avaient peu de poids. » N’omettons pas non plus le groupe X-Ray Spex, groupe punk-rock d’inspiration jazz dont la chanteuse Poly Styrene était noire, qui a produit le tube féministe « Oh Bondage Up Yours! » de leur unique album Germ Free Adolescents, devenu une chanson emblématique de l’époque.

Il y a une certaine ignorance, une aliénation issue de la suprématie blanche et de la colonisation, qui font qu’on ne connaît pas bien nos propres histoires. Finalement, les personnes noires sont marginalisées dans leurs propres codes.

Adama Anotho, photographe
Écarteurs, piercings, scarifications…

Pour Seth, c’est clair, le punk a été récupéré : « Les punks s’approprient à nouveau une image de classe inférieure comme une forme de rébellion ». Selon lui, cela aurait déjà été le cas pour le beat, un genre musical des années 60 mêlant le pop et le rock, dont les jeunes blancs privilégiés de la classe moyenne à moyenne supérieure des banlieues américaines se sont saisis en imitant le mode de vie des musiciens de jazz afro-américains.

Pour Adama Anotho, les codes du punk sont tirés des arts noirs et ne sont jamais, ou rarement, crédités. « On trouve des parallèles dans certaines cultures africaines. On voit par exemple beaucoup de modifications corporelles dans la scène punk d’aujourd’hui, avec des écarteurs, des piercings, des tatouages et scarifications. Ce sont des pratiques venues du continent africain avec une signification sociale ou un langage spirituel. Moi, par exemple, j’ai de nombreuses scarifications sur le corps qui ne sont ni esthétiques, ni le fruit d’un mal-être, et qui ont été faites dans un contexte culturel de deuil. » Les cultures afro-descendantes ne sont pas les seules à avoir été effacées. La crête dite « iroquoise » popularisée en Occident par le mouvement punk moderne est un style de coiffure qui copie ouvertement celui des Mohicans et des Mohawks, des peuples indigènes d’Amérique.

© Pure Hell

Pour Safra, du groupe BLK VAPOR, le whitewashing du punk est « carrément du blackface ». La chanteuse de Baltimore performe du noise rock expérimental aux côtés de trois autres membres afro-descendant·es – Proxy, Kirby et Melody. Selon elle, les punks blanc·hes imitent la façon dont les Noir·es et les Indigènes s’expriment pour se rebeller contre la société. « Iels utilisent nos pratiques culturelles comme un moyen de s’éloigner de leur blanchité. Leurs actes de rébellion sont considérés comme acceptables, mais il n’y a pas de punk si la société l’accepte. Iels n’ont donc jamais été punk à mes yeux. »

Pour autant, Adama Anotho tient à nuancer : « L’histoire du punk est très riche, il y a aussi une partie liée aux États-Unis et une autre liée au Royaume-Uni et leur empire colonial. Le punk britannique est lié à l’histoire du reggae, car la classe ouvrière blanche britannique et les personnes issues de l’immigration caribéenne se sont mutuellement influencé·es. Il y avait des personnes noires impliquées dans ces milieux et beaucoup de mélanges, au-delà de l’appropriation culturelle par les blanc·hes. »

Les gens de la diaspora africaine ont une vibration d’âme qui ne peut jamais être détruite, colonisée, apprivoisée ou supprimée. L’afro-punk est un autre exutoire de cette même vibration.

Seth, Blaq Hammer

Personnellement, j’ai mis longtemps à me considérer comme punk. Plus jeune, lorsque j’étais au collège, j’adoptais le style « emo », j’écoutais du punk rock, du blues ou encore du pop rock, et j’essuyais les moqueries et le racisme qui allaient avec. Trop noir·e pour adopter un tel style et pour écouter de telles musiques, apparemment. Les stéréotypes et le bagage culturel qui nous dictent d’écouter certains styles musicaux ou de coller à une certaine esthétique en tant que personne noire m’ont longtemps rendu·e honteux·se de mes goûts. 

Ça a également été le cas pour Adama Anotho, qui, en tant que personne noire écoutant des musiques alternatives, a souvent été taxée de « copieuse de personnes blanches ». « La plupart des personnes noires ignorent que ces sous-cultures tirent leurs origines de nos codes, ajoute-t-elle. Certaines d’entre elles m’ont déjà dit que ces musiques étaient celles du diable, par exemple. Il y a une certaine ignorance, une aliénation issue de la suprématie blanche et de la colonisation, qui font qu’on ne connaît pas bien nos propres histoires. Finalement, les personnes noires ne peuvent même plus profiter du fruit de leur propre création, iels sont marginalisé·es dans leurs propres codes. »

Si les scènes punk sont devenues majoritairement blanches aujourd’hui, c’est aussi à cause de ces stéréotypes racistes et des agressions subies par les personnes noires durant les shows. « Je vais toujours en concert accompagnée, je n’y suis jamais allée le cœur léger ou dans l’insouciance, poursuit Adama Anotho. J’ai déjà été agressée à des concerts. Il y a des franges radicales et suprémacistes, ce sont des éléments perturbateurs dont je peux être la cible, même si je pense que la majorité des personnes de la scène punk me défendraient. »

Seth non plus ne s’est pas toujours senti en sécurité ou valide dans ces espaces, et particulièrement en Europe. Le musicien, qui a joué dans de nombreux groupes de punk, de garage et de hardcore à Toronto, Berlin, San Francisco, en Europe et en Australie, note toutefois une différence selon les zones géographiques : « Je crois qu’il y a un espace pour n’importe qui, tant que chacun·e crée le sien. Mais cela semble plus difficile dans la scène punk en Europe parce qu’il y a moins de personnes racisées représentées dans ces espaces. Et quand iels le sont, iels doivent toujours briser le plafond de verre sexiste et raciste tacite qui existe. »

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Non seulement le punk est devenu blanc, mais il a, en grande partie, été vidé de son sens, se réduisant trop souvent à une esthétique pseudo-rebelle marketée par de grandes chaînes de prêt-à-porter. Quelle ironie. Selon Safra de BLK VAPOR, dans sa forme originale, le punk était un moyen de se révolter contre les constructions sociales du monde occidental. Ce qui, certes, peut être accompli à travers l’apparence, mais « ce n’est pas son aspect le plus puissant ». L’artiste explique : « Personnellement, je ne trouve pas que le punk soit une esthétique, il n’y a pas vraiment de look punk, il s’exprime par rapport à l’identité de chacun·e. Certain·es d’entre nous qui ne sont pas directement affilié·es à la scène musicale punk peuvent quand même être considéré·es comme punk parce qu’iels sont des parias de la société et qu’iels se rebellent contre le système. Le punk va aussi bien au-delà de la musique. Il est profondément politique. »

Être punk, c’est rester souverain·e dans sa négritude et dans son indigénéité, être capable de créer quelque chose à partir de rien.

Safra, BLK VAPOR
Une réappropriation afro-punk

« Le punk, pour moi, c’est aussi l’aspiration à l’indépendance. C’est pour ça que pour moi, il n’y a pas plus punk qu’une personne noire et son existence ou sa survie », continue Adama Anotho. C’est justement cette culture de la rébellion, de l’indépendance et de la créativité qui fait du punk un mouvement éminemment noir. « C’est un moyen d’exprimer librement ses sentiments ou émotions négatives à travers des formes d’expression intenses et directes, avec peu ou pas de ressources ; de créer quelque chose de positif avec absolument rien », détaille Seth. 

Et qui dit esprit de rébellion, dit réaction face à l’oppression. En réponse à l’effacement et à la discrimination auxquels les punks noir·es ont été confronté·es, l’afro-punk est né. Les afro-punks ont ainsi créé leurs propres festivals, leurs labels, mais aussi leurs groupes de musique autour des personnes afro-descendantes. Tout a commencé dès les années 70. En Grande-Bretagne, en réponse au racisme et à l’effacement subi par les Noir·es dans le rock et plus précisément dans le punk, le mouvement Rock Against Racism (RAR) a été créé. RAR, c’était des centaines de festivals et de concerts qui portaient des messages antiracistes. Plus tard, en 2003, James Spooner a sorti un documentaire phare intitulé Afro-Punk, mettant en lumière les Afro-Américain·es punk qui ne se sentaient pas à leur place ou qui étaient invisibilisé·es au sein de la scène. Après le succès de ce film, s’en sont suivis un site web, un forum et un festival du même nom. Aujourd’hui, le festival Afropunk a élargi son panel de styles musicaux, ne se limitant plus au punk, mais faisant la part belle à de multiples productions afro-centrées. Dans les fosses, face aux scènes, vestes en cuir et bas résilles côtoient peintures faciales inspirées d’ethnies africaines et afros colorées.

Seth a découvert le mouvement afro-punk très jeune sur internet. « Les gens de la diaspora africaine ont une vibration d’âme qui ne peut jamais être détruite, colonisée, apprivoisée ou supprimée par les pouvoirs en place, peu importe à quel point les gens essaient de les oppresser ou de les imiter. Le punk, ou plus spécifiquement l’afro-punk, est, je crois, simplement un autre exutoire de cette même vibration », confie-t-il.

De nombreuses plateformes ont également vu le jour pour créer des espaces de célébration et de visibilité pour les punks noir·es. L’occasion de se réapproprier l’histoire du punk. Punk Black en est un exemple. Cette plateforme offre un espace virtuel aux créatif·ves noir·es « pour explorer leurs penchants musicaux, leur esprit nerd et leur expression artistique dans un endroit sûr, pour ell·eux et par ell·eux ». Pour Ray Lacorte, à l’origine de BIPOC_Punk, la création d’une telle plateforme était avant tout une réaction au manque de reconnaissance et donc de représentation : « Dans chaque post, pour chaque profil, j’aime fournir l’origine ethnique de l’artiste, la discographie de ses groupes passés et actuels, ainsi qu’un bref compte-rendu de sa biographie, de ses labels et de ses genres musicaux. Leur dénominateur commun, c’est leur lutte personnelle, à des degrés divers, contre la discrimination sociétale liée au fait d’être BIPOC ; souvent, le punk leur a apporté l’inclusion qu’iels souhaitaient et leur a permis d’être ell·eux-mêmes. »

C’est à travers ces mêmes lunettes que le groupe BLK VAPOR voit le punk. Les musiciennes originaires de Baltimore sont, pour la plupart, activistes et se sont d’ailleurs initialement réunies dans le but d’inspirer les personnes sous-représentées dans l’art. Safra conclut : « Être punk, c’est rester souverain·e dans sa négritude et dans son indigénéité, être capable de créer quelque chose à partir de rien, ce sont les sociétés matrifocales ou encore le fait d’être capable de se défendre et de défendre les autres ! » Alors, vive le punk.

© BLK VAPOR

Relecture et édition : Sarah Diep et Apolline Bazin

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