Deux ans après le premier album, Princess Thailand dévoile And We Shine sur les labels A Tant Rêver Du Roi et Luik Records. Ce nouvel opus pioche dans divers registres qui ont pour point commun leur dimension industrielle. Le groupe toulousain y forge une atmosphère froide, électrique et percutante, contrastée par les mélopées pop, parfois presque incantatoires, de la chanteuse Aniela.
Princess Thailand c’est initialement une formation de cinq musiciens (Aniela, Patrick, Jean, JB, Max) à laquelle s’est ajouté un flûtiste, Nay. Le quintette cultive ses désillusions pour battre le fer et façonner des titres sombres, énergiques, incisifs, qui résonnent comme une détonation dans une factory désaffectée. À l’occasion de la sortie de leur deuxième long format, And We Shine, on s’est entretenu avec ses membres dispersés entre la France, la Belgique et les États-Unis.
Manifesto XXI – Comment se passe votre confinement ? Arrivez-vous à travailler à distance ? Comment ?
Max : JB est bloqué dans le désert à Joshua Tree (Californie), Jean, Patrick et Aniela sont à Toulouse et moi à Bruxelles. En vérité ça ne change pas trop nos habitudes. C’est une situation quasi normale pour Princess Thailand. Nous sommes habitués à travailler à distance pour les périodes hors studio ou tournée. Pour la musique c’est plus compliqué, notre genèse créative venant du bruit et des accidents que l’on rencontre en studio (quand les instruments sont trop forts), on a vraiment besoin de travailler et de composer ensemble.
Pourquoi avoir choisi de vous appeler Princess Thailand ? D’ailleurs, d’où vient cette tendance à accoler ce titre princier (Princesse Näpalm, Princess Nokia, Princess Chelsea) ?
Max : Je ne connais pas les autres groupes donc j’aurais du mal à parler pour eux. Pour nous ça vient d’un moment assez anodin qu’on a vécu ensemble pendant l’enregistrement du premier album. On s’est trouvés devant une pure cristallisation de l’innocence et ça a fait clic assez intuitivement. On aime le contraste entre ce nom, plutôt léger en un sens, et la musique que l’on propose. Si jamais tu as des réponses à cette question de la part des autres groupes ce serait intéressant de comparer, en vrai je suis curieux.
JB : Et on aime les challenges… On s’est demandés si on arriverait à être au-dessus du référencement de l’actuelle Princesse de Thaïlande. On y travaille toujours. (rires)
On y parle de nos peurs, de nos difficultés, de la perte d’identité de manière générale.
Max
Pouvez-vous nous parler des morceaux qui sont sur l’album ?
Max : Cet album est un assez gros virage pour nous. Il s’est fait naturellement sans vraiment qu’on y réfléchisse mais là où on avait l’habitude de composer de grandes plages sonores de 13 minutes, on a fini avec des morceaux de 4 minutes. Le lieu dans lequel nous l’avons créé a son importance aussi je pense. On s’est isolés dans le studio Barberine qui est perdu dans le Quercy Blanc. C’est un lieu très paisible et à la fois plein de vie.
La direction artistique et l’aide de notre éditeur Arthur Ferrari a aussi joué un beau rôle dans tout ce processus. On a essayé sur cet album d’utiliser le noise comme matière première, d’essayer de le tisser en dentelle sur des morceaux au format plus « pop ». L’introduction du clavier a naturellement changé la signature sonore des morceaux aussi et le travail de notre flûtiste Nay, qui s’est amusé à utiliser son instrument comme matière et non plus comme une flûte à part entière. On se retrouve avec des morceaux allant de la no-wave à la techno, en passant par du post-punk, du noise, etc.
Sur les textes et les thèmes abordés, on a fait un gros travail. On voulait garder une grande sincérité, être plus directs tout en restant assez imagés pour que les gens puissent se les approprier. On y parle de nos peurs, de nos difficultés, de la perte d’identité de manière générale mais aussi de manière très personnelle comme sur « Into Her Skin » ou « In This Room » par exemple où Aniela parle parfois avec des mots durs de son expérience de la maternité.
Bercés à base de Joy Division, A Place To Bury Strangers et autres groupes plus obscurs, c’est cette esthétique qui nous fait vibrer, qui nous donne des frissons, dans laquelle on se reconnaît.
Max
L’avez-vous intitulé And We Shine pour contraster avec l’atmosphère sombre qui règne sur les titres ?
Max : And We Shine représente plus une idée générale, un état d’esprit. C’est le reflet de l’ensemble des thématiques abordées dans cet album. C’est aussi une manière de mettre l’accent sur la lumière que l’on y trouve. Une manière de dire que malgré les épreuves, malgré la finalité inévitable vers laquelle se dirige chaque individu. Nous sommes là, nous créons, nous brillons.
On nous parle souvent de cette noirceur dans nos titres. Nous avons du mal à le voir sous cet angle. Ils sont pour nous une véritable catharsis et nous y mettons de l’espoir, de la vie, de la joie mais beaucoup de nostalgie aussi c’est vrai. C’est surement lié à l’esthétique musicale dans laquelle nous gravitons. Bercés à base de Joy Division, A Place To Bury Strangers et autres groupes plus obscurs, c’est cette esthétique qui nous fait vibrer, qui nous donne des frissons, dans laquelle on se reconnaît.
Quelle est la signification de la pochette, que représente-t-elle ?
Jean : Cette pochette (réalisée par Studio 808) a été réfléchie dans la continuité de celle du premier album en y apportant l’évolution musicale et esthétique de ce nouvel opus. Nous avions envie de maintenir cette thématique du visage caché, du minimalisme impactant et froid à fort pouvoir esthétique. Mais cette fois-ci, nous voulions y apporter une fulgurance colorée et jouer avec les codes, peut-être davantage ceux de l’univers électronique que rock.
L’idée était de présenter une photographie (de Lily Raw), brute, argentique et bruitée, et d’y apporter un accident graphique. Ce concept est à mettre en écho avec notre musique et comment nous la créons. De plus, il y a une vraie cohérence entre ce visuel et le titre de l’album And We Shine avec le noir et blanc représentant les épreuves, les étapes, une forme de nostalgie, et cette trace brillante qui symbolise l’espoir, l’éclair, l’après.
Je pense que l’expérience live pour nous est presque sacrée. On a vraiment ce besoin d’être ensemble, au même endroit. Sentir les énergies de chacun et se connecter pour que notre musique fonctionne.
Max
J’ai l’impression que la scène toulousaine est prolifique en ce moment (avant la pandémie). Est-ce qu’on peut parler d’une scène rock (au sens large) typiquement toulousaine ? Vous considérez-vous dedans ?
Max : Il y a beaucoup de projets qui font parler d’eux en ce moment c’est vrai. On pense aux gars de Cathédrale qui ont sorti leur album récemment aussi, Bruit ou encore Slift pour ne citer qu’eux. On peut dire qu’une certaine scène se dégage je pense. Les projets étant tellement différents les uns des autres, je ne suis pas sûr qu’il y ait une véritable signature toulousaine comme celle de Louisville pour le noise par exemple avec des groupes comme Slint, etc.
Cependant, étant à Bruxelles ou à Paris, on remarque aussi que la scène « rock » est assez prolifique en ce moment. Il y a peut-être un renouveau général, une envie de différence dans un monde régi par l’autotune, les charlestons très aigus et les [boîtes à rythmes, ndlr] 808.
Il est difficile en tant que groupe de se considérer dans une scène spécifique, pour nous d’autant plus que les membres du groupe sont un peu partout. Mais si on peut d’une quelconque manière lier encore plus cette scène et avancer ensemble pour que le tout rayonne encore davantage, ce serait avec plaisir.
Un certain nombre d’artistes se sont lancés dans des live-streams et autres vidéos de confinement durant cette période. Pas vous, pourquoi ?
Max : On n’a pas vraiment les moyens techniques à disposition pour proposer un contenu de qualité. JB étant bloqué dans le désert, n’ayant pas le matériel technique d’un home-studio, de caméra, etc. On n’était pas vraiment préparés à tout ça, on peut le dire !
On a aussi été très pris par la sortie de cet album. Nos partenaires nous aident énormément (Primary, A Tant Rêver du Roi, Luik Records) mais il y avait beaucoup de travail.
Enfin, je pense que l’expérience live pour nous est presque sacrée. On a vraiment ce besoin d’être ensemble, au même endroit. Sentir les énergies de chacun et se connecter pour que notre musique fonctionne.
Selon vous, comment pourrait-on redonner un coup de boost au secteur culturel et à l’industrie musicale une fois déconfinés ?
Max : Je pense que ça passe nécessairement par une revalorisation de la performance des artistes (concerts, théâtre et autres performances artistiques). Nous nous en rendons d’autant plus compte en ce moment par leur absence. Il faut refaire vivre la musique en live, dans le respect de la santé de tous, bien évidemment. Cela semble compliqué mais des solutions doivent être rapidement trouvées.
Ce qui est sûr, c’est que nous adorons la scène et notre musique est faite pour y être vécue. Nous avons joué au Zénith de Toulouse quelques jours avant le confinement. C’était une soirée organisée en coproduction par le Zénith, le collectif OZ Occitanie et Clutch Magazine. La soirée a été un grand succès et nous pensons qu’il faut multiplier ce genre d’événements à l’avenir car ils participent grandement à une offre culturelle diversifiée. Pour finir, je dirais que le lien avec le public est ce qui nous booste le plus. Il faut garder ce lien par tous les moyens et arriver à motiver les gens à en faire de même.
Photo de couverture : © Alexandre Ollier