Il fallait bien le sous-sol le plus dégling’ de la ville pour accueillir dignement la première soirée parisienne des PailletteS. Le flamboyant collectif marseillais monte à la capitale pour six heures de « happening » au Klub samedi 16 mars, et ça va foutre le oaï.
En à peine deux ans, leurs « soirées PailletteS » sont devenues une institution de la night marseillaise. Rendez-vous mensuel libertaire aux allures de carnaval, l’art y rencontre la rave dans une débauche de cotillons, les performances défilant dans un décor de kermesse sur un line-up post-internet qui tabasse à en perdre des neurones. On y retrouve tout l’underground local : P6r6r6k (aujourd’hui TTristana, ndlr), la figure de la « southfrap » Bogoss-Lacoste (aka Yung Soft) ou encore RanXetrov, pilier des teufs queers perpétuellement sold-out Mouillette ; mais aussi des live osés qui mixent reggaeton et gabber sud-américain.
Né en 2016 de la rencontre de cinq étudiant·e·s d’écoles d’art (Pierrick, Gaëtan, Léa, Dasha et Sasha), le jeune collectif s’inscrit, aux côtés du Meta ou du Laboratoire des Possibles, à l’avant-garde d’une scène alternative phocéenne qui n’a pas sommeil. Du repaire antifa Le Molotov à la sono expé de l’Embobineuse, propulsé·e·s par un passage au festival Le Bon Air (déjà incontournable en seulement trois éditions) au printemps dernier, les PailletteS lâchent régulièrement la casquette d’orga pour enfiler leurs costumes de « happening » lors de shows enflammés qui remettent en question toute notion de limite. Sous leurs atours impossibles, le collectif réaffirme un art de la fête populaire et bienveillant où chacun·e a sa place.
Manifesto XXI – Comment est né le collectif ?
PailletteS : On s’est rencontré·e·s aux Beaux-Arts, de Perpignan puis de Marseille. On aimait beaucoup sortir et à l’époque on trouvait qu’il manquait un type de soirées, c’était toujours la même chose. Alors on s’est dit qu’on allait inviter des ami·e·s artistes à intervenir et à montrer leurs travaux pendant des soirées, pour rendre la nuit plus intéressante.
On a commencé aux 9 Salopards, un ancien bar punk tenu par des ami·e·s. On a uniquement annoncé nos événements sur Facebook, on n’a jamais collé d’affiches ni de flyers, rien. Puis ça a pris assez rapidement. Maintenant on a un peu « normé » notre façon de fonctionner : on a des « soirées PailletteS » mensuelles à Marseille, pour lesquelles on booke des DJ et des musicien·ne·s, et un·e artiste pour la scénographie. C’est avec ça qu’on s’est installé·e·s dans le paysage.
Cette envie de réinventer la fête découle de votre parcours aux Beaux-Arts ?
Certain·e·s dans le collectif ont des pratiques artistiques qui ont un rapport avec ce qu’on fait : Pierrick (P6r6r6k) avait même imposé sa pratique de DJ aux Beaux-Arts, il a mixé pour son diplôme. Dasha & Sasha produisent des installations très complexes, qui rappellent les scénographies de nos soirées. Ils ont un projet musical en plus. Mais Léa a un travail plastique complètement différent, et moi Gaëtan, aussi.
Ce qui est sûr, c’est que les étudiant·e·s des Beaux-Arts font beaucoup la fête et c’est ce qui nous a donné envie de continuer après. On y a surtout appris le do it yourself. Parce que c’est vraiment l’école de la débrouille. On est nombreux·ses à être boursier·e·s, en général on doit tout produire soi-même.
C’est de notre parcours mais aussi du manque de moyens qu’est né ce décor un peu kitsch, avec des cotillons et des paillettes, qui ne coûtent rien en magasin de fête.
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Avec une volonté d’aller à contre-courant de l’esthétique techno hyper dark des sous-sols de béton ?
Je ne pense pas que ça ait été volontaire. C’est juste que ça nous amuse, ce côté fou. En réalité, on a des personnalités très différentes au sein du collectif et il y en a, dont moi, qui adorons aussi les soirées techno hyper dark dans des lieux en béton !
On avait surtout vraiment envie de retrouver le sens de la fête, où le public est autant partie prenante que le/la DJ. Qu’il n’y ait pas d’un côté les musicien·ne·s et les performeur·se·s sur scène, et de l’autre les gens qui regardent dans l’ombre. Ce sont des détails, mais ça change tout : par exemple, on insiste pour que la salle soit autant éclairée que les artistes. La scéno est super importante, parce que ça rend la soirée complètement immersive. Que ce soit dans le coin fumeur ou sur une banquette, on est en permanence dans l’ambiance. Souvent, on donne des éléments aux gens, à manger, à boire, je ne sais quoi. Il y a un maillage qui se fait entre le décor, la lumière, etc. qui fait que la soirée est vraiment soudée.
Il n’y a pas de frontière entre la scène, le public, l’intérieur, l’extérieur.
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Récemment on s’interrogeait sur la pertinence et la difficulté de montrer de l’art contemporain en milieu festif. Comment avez-vous abordé cette question-là ?
On y a été confronté·e·s très tôt. Au début, les artistes qu’on invitait montraient vraiment leur boulot : il y avait des accrochages de tableaux, de pièces, des installations. Et on s’est vite rendu compte que les gens en soirée, quand bien même iels ne seraient pas saoul·e·s et défoncé·e·s, ne sont pas réceptif·ve·s. La plupart du temps, c’est dangereux pour les pièces, elles sont détruites. D’où l’idée de la scénographie. On préfère demander aux artistes, à partir de l’esprit de leur travail plastique, de réaliser une scénographie propice à une fête, en pensant bien que ça va être endommagé, que les gens ne vont pas regarder un élément mais que ce sera une ambiance.
De toute façon, l’art des galeries ne nous intéresse pas. Ni idéologiquement ni politiquement. Si le but est de faire de belles expos pour vendre des pièces à des collectionneurs, on n’a pas du tout envie d’avoir affaire avec ce milieu. On en a marre, globalement, des codes, des discours.
Une exposition d’art contemporain qui a pour sujet « le queer », qui y va ? Celles et ceux qui s’intéressent au queer, des gens de l’art et des bobos, déjà acquis·es à la cause. Les autres n’iront pas. Par contre iels viendront à nos soirées.
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Il y a des univers d’artistes que vous aimez particulièrement ?
C’est souvent des histoires d’amitiés, de rencontres, de contacts, on lance rarement des appels à projet. On ne peut pas définir d’univers global, on aime que pour chaque soirée l’esthétique soit complètement renouvelée. Il y a eu par exemple les drapeaux d’Alice Griveau, les fontaines du collectif 100%, la muqueuse de voiles de Manon Chaton, ou encore le travail des membres du collectif, Dasha & Sasha avec leur humour et leur culture, et moi-même, Gaëtan Gorän, avec mes scintillements marins.
En plus de vos soirées, vous avez développé un concept de « happening » ?
Exactement. Pour « PailletteS fait son happening », on est tous·tes les cinq sur scène et on s’occupe de la scénographie. C’est le format qu’on a développé quand on est invité·e·s en tant que collectif dans d’autres villes ou festivals. Selon les contraintes des lieux et le temps qu’on a, on adapte. Au Klub, on aura six heures à tenir donc on va se répartir les mixes et les perfs. Pendant ce temps, les autres peuvent aller dans les loges ou créer des éléments de décor dans l’espace. Le happening n’est jamais le même, on l’enrichit de nouveaux éléments toujours plus complexes. Sachant qu’ensuite, qu’il dure une minute ou plusieurs heures, on garde tout, ce qui demande de tout déployer dans un temps record.
Vous revendiquez l’idée d’une « fête libre », est-ce vraiment possible ? Les rapports de domination qui existent dans la société semblent se reproduire dans la nuit, avec des distinctions économiques, sociales, de race ou de sexe, des soirées queers et d’autres où on se fait toujours recaler. Comment changer ça sans avoir de discours militant ?
Je comprends ce que tu veux dire, mais bizarrement ça se passe beaucoup plus naturellement que ce qu’on pourrait imaginer. La contrainte économique, le fait d’avoir les moyens pour entrer en soirée, effectivement c’est énorme. Pendant la première année, nos soirées étaient à 1 ou 2 euros, juste pour payer la nourriture et les boissons des artistes. La deuxième année, on a dû passer à 5 euros parce qu’on a commencé à inviter des DJ de l’étranger, ce qui voulait dire leur payer des billets d’avion, des hôtels. Mais c’est encore correct, même pour Marseille.
En revanche, l’idée qu’il y ait une discrimination en fonction du sexe ou des origines à l’entrée, c’est quelque chose auquel on n’a jamais été confronté·e·s.
Le seul mot d’ordre qu’on donne à la sécurité, c’est : tout le monde a le droit d’entrer. Tout le monde !
PailletteS
À l’intérieur, on a toujours dit aux gens qu’iels peuvent faire ce dont iels ont envie. Il y en a qui se mettent torse nu, même des filles topless, et jamais on n’a eu de retours comme quoi iels avaient eu une remarque déplacée ou qu’il s’était passé quelque chose. Alors que dans plein de lieux, c’est interdit, genre au Cabaret Aléatoire on va te demander de remettre ton t-shirt. J’y ai même vu un couple s’embrasser – hétéro cis blanc, tout ce qu’il y a de plus ordinaire – et quelqu’un de la sécurité est venu leur dire « si vous voulez faire ça, il faut aller dans une chambre d’hôtel ».
Mais non ?!
J’ai vu cette scène de mes yeux. Dans nos soirées, il y a des meufs qui s’embrassent, des mecs qui s’embrassent, des trans qui s’embrassent, et jamais il n’y a eu une seule remarque homophobe ou sexiste. Jamais jamais jamais. Je pense que les gens qui sont intolérants dans leur vie quotidienne, s’ils font l’effort de sortir dans ces soirées, ils font aussi l’effort de ne rien dire. Dans ce genre de cadre, ils sont aussi beaucoup plus curieux de tester certains trucs.
Vous ne revendiquez à aucun endroit l’étiquette queer, c’est une façon d’ouvrir le propos à un public plus large ?
Oui. Ça évite aussi le côté curiosité, qu’on vienne parce que c’est une « soirée queer », pour voir à quoi ça ressemble. Là il n’y a rien à « voir », c’est juste une fête où tout le monde peut venir. Il n’y a pas de zone de non-mixité. Simplement, il faut que tout le monde se respecte. Personne ne peut dire à quelqu’un d’autre qu’iel n’a pas le droit de faire quelque chose.
À l’inverse, en ce moment de plus en plus d’artistes mettent en avant leur appartenance à certaines communautés, ce qui permet notamment de créer des safe spaces…
Nous, on veut que le safe space soit la soirée entière. Enfin, on a déjà fréquenté et on fréquente encore ce genre de lieux, et on comprend la tranquillité que ça amène. Mais on trouve ça terrible qu’il y ait un espace qui soit « safe ». Ça sous-entend que le reste ne l’est pas !
Mais la société n’est pas safe !
C’est pour ça que nos soirées doivent l’être ! Parce qu’une soirée, ce n’est pas la société : c’est un moment, un espace clos. Tout doit être intégralement secure. Pour l’instant, tout va bien. Peut-être que ça vient aussi du fait que nous, en tant qu’organisateur·rice·s, on impose un climat. En général, on a un look pas possible, alors ceux dans le public qui seraient un peu frileux ne se sentent pas légitimes pour faire des remarques.
Vous pensez que le monde de la nuit peut servir à passer des messages ?
On en est convaincu·e·s. Certain·e·s n’y croient pas, et pensent qu’il faut se battre sur le terrain politique. Mais beaucoup de gens, de notre génération ou pas, ne s’intéressent pas à ce champ de la « politique » stricto sensu.
On aura beau faire plein de confs sur l’acceptation du genre, ces gens-là n’y mettront jamais les pieds donc ils s’en foutent. Mais ils mettront les pieds dans nos soirées, où ils verront des personnes différentes. À force de les côtoyer la nuit, ils finissent par les accepter la journée.
PailletteS
C’est bien joli de faire des discours, de développer ses idées, et bien sûr c’est nécessaire, mais il n’y a pas de mixité sociale si on ne se mélange pas. Parfois il faut forcer. Ça m’arrive, avec mon style bizarre, qu’on me dise dans la rue « tu n’as pas le droit de passer dans ce quartier ». Pas de chance pour toi mon vieux, je vais repasser, demain, et toutes les fois où ce sera sur ma route. Peut-être je vais me faire tabasser un jour, mais ça marche assez bien. Il ne faut jamais s’écraser. Il y a des gens avec qui tu ne peux pas parler. Il faut juste qu’ils s’habituent.
Aujourd’hui, comment se porte la scène alternative marseillaise ?
Je n’aime pas qu’on dise qu’il se passe moins de trucs à Marseille. C’était peut-être vrai il y a trois ans, mais maintenant on sort tous les weekends, du jeudi au dimanche voire jusqu’au lundi. Il y a d’autres soirées alternatives comme le Meta ou Twerkistan, mais aussi des événements plus mainstream au vieux port comme au One Again. On trouve toujours. Bien sûr, du fait qu’il y en a moins, le réseau et le bouche-à-oreille se font plus vite.
Comme on ne vient pas tous·tes de Marseille [au sein du collectif, Léa est la seule Marseillaise, Dasha est originaire de Moscou, les autres de Perpignan], on n’a pas un attachement identitaire à la ville, mais on lui est hyper reconnaissant·e·s parce qu’elle nous a offert une opportunité que la plupart des villes ne nous auraient pas offerte. Tout peut se monter ici ! Il y a une dynamique, ce n’est pas saturé. Même si tout le monde se plaint du manque d’investissement des pouvoirs publics, l’absence d’aide nous oblige justement à prendre des initiatives et à se bouger à fond. Arriver là où on en est, en deux ans, ça nous semble rapide. Après, partout où on pourra aller, on ira. Mais les « soirées PailletteS » qu’on a instaurées tous les mois (et qui seront peut-être bimensuelles à partir de l’année prochaine) resteront toujours à Marseille. Ça, on n’exportera jamais.
PailletteS fait son happening
Samedi 16 mars 0h-6h
Le Klub, 14 rue Saint-Denis 75001 Paris
Event
Soirée PailletteS w/ Kuthi Jinani, Krolik, Honxo & Mago, La Conjuration
Vendredi 22 mars 22h-2h
Le Makeda (ex-Poste à Galène), 103 rue Ferrari 13006 Marseille
Event
Cover © photo Robin Plus / artwork Alex Cendret