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Nyokô Bokbaë, Le Boy’s band du futur

Nyokô Bokbaë, Le Boy’s band du futur

C’est l’un des derniers projets du bouillant label Boukan Records, et Nyokô Bokbaë va bientôt déchaîner les foules. Toujours sapés comme jamais et big smile sur le visage, William, Mag et Dourane ont discuté avec nous d’identités, d’influences mixtes et du futur de la musique française.

C’est Bamao Yendé, aka William, fondateur de la Fédération du Boukan, qui embarque Mag le premier dans la musique. Ensuite vient un groupe avec d’autres garçons, dix personnes en tout, dont Dourane. Une première expérience qui permet à chacun d’apprendre, et au trio d’émerger. Les trois personnalités bien distinctes fusionnent dans Nyokô Bokbaë, qui signifie « ensemble » en wolof , avec un petit twist moderne à la fin — bae, before anyone else. Nyokô fait le tour des soirées depuis un an, se débrouille pour enregistrer et faire des choses à leur image. Un EP devrait débouler à la rentrée. Juste avant leur concert à Loud & Proud, on a voulu comprendre d’où venait l’énergie singulière de ce trio qui fait danser l’underground.

Manifesto XXI – Comment a commencé Boukan Records ? Ça a l’air d’être une grande famille.

William : J’ai commencé avec un premier collectif qui s’appelait YGRK KLUB. On faisait des soirées dans des open air, dans des squats. 

Dourane : C’était chaud. La fête de la musique à Bercy je m’en rappellerai toute ma vie ! (rires)

William : Après on a fait une formation plus réduite parce qu’à la base il y avait plusieurs arts dans YGRK KLUB. J’ai continué avec Moku John et Fatal Walima. On a grandi avec des mecs de Paris, de banlieue, du 9-4. 

Vous avez quoi comme formations, musique ou pas du tout ?

William : Un peu la rue. Un peu le conservatoire aussi… (rires) Je ne suis pas allé jusqu’au bout, c’était trop horrible. Après, on a beaucoup grandi de potes en potes avec des sensei qui t’apprennent des trucs, des tips que toi-même tu apprends à d’autres gens.

Mag : Moi je suis grave un littéraire dans l’âme, j’étais en L. Je kiffe trop la littérature française, j’ai lâché maintenant mais j’en ai mordu du Chateaubriand, du romantisme… (rires) Les Mémoires d’Outre-Tombe, exceptionnel !

Dourane : Ça se retrouve dans son écriture d’ailleurs.

Comment vous composez ?

William : Moi je fais les beats, et puis eux ils chantent.

Dourane : Parfois on est ensemble quand il produit, et nous on écrit par-dessus. On travaille plutôt ensemble.

Mag : Oui on se fait des grosses sessions. A l’ancienne William vivait à Commerce, c’était notre QG sûr. Moi je vivais là-bas quasiment. On y était tout le temps alors que c’était Rive Gauche ! C’était chanmé, on a grave produit. 

« Chien de chien » ça vient de quoi ?

Dourane : C’est une musique pour les potos. C’est vraiment un truc plein de références.

Pour nous c’était important que notre premier son soit pour les potes parce que c’est eux qui nous ont inspirés, c’est eux qui nous soutenus. 

Mag : Le 37 c’est chez un pote par exemple.

Dourane : Au 23 rue Chateau-Landon y avait un squat où je faisais de la couture. Dans le même axe il y a le Xème qui est un bar de potos. « Chien de chien » c’était une époque où on était beaucoup tous ensemble, et de quelqu’un était taquin, très taquin, on disait « Oh le chien » ! C’était gratuit, mais c’était trop drôle.

Mag : Quand on dit « Chien » ça rigole encore plus ! C’était un appel à la rigolade. 

Dourane : Ça formait à l’autodérision, quand quelqu’un n’était pas bien on était ensemble, et c’est formateur, notamment pour être plus à l’aise avec le fait que tu peux ne pas plaire à tout le monde ou que tu es toujours observé par exemple. En vrai la vie n’est pas tendre. C’était à une époque qui date un peu, on a grandi entre temps, on grandit ensemble. Là on ne fait plus la même chose, toujours la même veine mais on s’exprime différemment.

Mag : Quand j’ai commencé à faire de la musique avec les garçons, j’ai vraiment trouvé un épanouissement. A la base je dessine, et de pouvoir s’exprimer par des mots et partager tes histoires avec des potes ou des gens que tu ne connais pas, je trouve que c’est exceptionnel. On faisait le tour tout à l’heure, tous nos sons c’est du love.

Dourane : On a très hâte de sortir ces sons et de faire toutes ces dates parce que pour le moment les gens ne peuvent pas nous écouter.

© Antoine Grenez

En musique, de quel côté vous regardez en ce moment ?

William : En ce moment j’écoute pas mal de sons nigérians. J’écoute aussi Santi, Le Kwaido, Amaa Rae… C’est une vibe afro-beats mais RnB. Il n’y a pas forcément les instruments tradis. En ce moment je me dope à ça. 

Dourane : On écoute du Lafawndah mais aussi des artistes français connus, ou belges.

Mag : Les Belges sont très très chauds ! Hamza, aussi on kiffe ça. Avec sa petite voix, il dit des trucs trop tranchants. Aya c’est grave com’ mais elle a grave parlé aux femmes. Elle a pris sa position indirectement, parce qu’il n’y avait jamais eu quelqu’un comme ça.

Dourane : Il y a eu les Sheryfa Luna quand on était au collège ou au lycée. C’était des vrai sons de gos qui disent d’où elles viennent. Et puis il y avait un peu un vide de ça, je sais qu’Aya ça parle à toutes mes pinkos avec qui j’ai grandi à Stalingrad. Ça fait grave plaisir que ce soit un truc qui soit sorti des établissements scolaires de quartier ou ZEP. 

Mag : Je suis tombé sur la vidéo de son live à We love green sur Arte, frère j’avais des frissons. Les gens ils connaissaient tellement les paroles qu’elle chantait presque pas, elle était affolée. Ça se voit qu’elle n’était pas prête pour un tel succès.

Dourane : C’est cool, les choses bougent. 

D’ailleurs est-ce vous vous sentez OVNIS ou vous sentez que vous faites partie d’un mouvement plus large d’artistes ?

Dourane : Je pense qu’on est nouveaux pour les gens du milieu de la musique. C’est significatif d’un moment, d’une génération. Je pense qu’on va à la confluence de nos influences avec beaucoup moins de complexes que les générations précédentes. Ma mère est chanteuse de jazz et je sais que c’est très codé, très masculin… Je sais que nous les jeunes on se débrouille plutôt bien pour faire un truc qui nous ressemble. Je pense que la musique et les mentalités évoluent. Après on est à Paris, c’est quand même bien particulier. Ce qu’on fait on ne pourrait pas le faire ailleurs. Je vois de plus en plus de choses qui me touchent.

La question est sur les formes d’esthétique et aussi sur les gens qui font ce renouvellement. Aya Nakamura, c’est un phénomène parce que c’est la première femme noire qui crée cet engouement populaire.

Dourane : La France est bien particulière dans son rapport aux arts. Il y a très vite une critique, c’est bien/ c’est pas bien. Dans beaucoup d’autres cultures, la musique dansée ou chantée c’est là pour réunir et c’est partagé par tous. Ici il y a quelque chose de très élitiste. Toi tu peux faire de la musique, toi non. J’espère que c’est un truc qui va changer. Il y a vraiment ce truc de légitimité alors que l’action parle plus d’elle-même. 

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© Bettina Pittaluga

Les artistes qui font le plus bouger les arts aujourd’hui sont des enfants de deuxième voire troisième vague d’immigration. 

Dourane : On a organisé un festival, Identifié.e.s ?, avec mon collectif Chkoun is it ? et Filles de Blédards, et pour nous les arts, ça permet de tout dire mais de manière qui nous met moins en danger.

Forcément quand on vient d’une troisième vague d’immigration, on a plein de questionnements.

On naît avec mille et une questions, et aujourd’hui on peut en faire quelque chose. On peut se dire que les questions qu’on nous pose et leurs réponses sont importantes, qu’on devrait nous-mêmes se poser des questions entre nous, et apporter ça au paysage culturel français parce qu’on en fait complètement partie. 

Donc vous êtes optimistes sur le futur ?

Dourane : Grave optimiste, moi je pense que la musique va sauver le monde. Grave optimiste parce qu’on rencontre de plus en plus de gens avec lesquels on n’a pas forcément les mêmes questionnements, mais les mêmes désirs de trouver des réponses, d’explorer nos identités, nos héritages. On le fait tous de manière plus ou moins actée. Il y a des gens qui font des thèses. Nous on traîne ensemble, on discute beaucoup et on fait de la musique. Et on a des potes qui font de la video, du stylisme, du make-up, de la photo…

Ce qui est nouveau peut-être dans ce qui se passe actuellement, c’est que ça passe vraiment par l’image et la mode ?

Dourane : C’est difficile de faire de la musique sans faire d’image aujourd’hui. C’est une pression qui me gênait un peu. Comment tu t’habilles, c’est le premier truc par lequel tu t’exprimes. Je sais par exemple que je mets des robes et des boucles d’oreilles parce que ça me va bien, mais aussi que c’est un vrai positionnement dans la rue. Comme William qui adore le rose, qui met pleins de strass et tout ce qui brille, qui met des petites chemises brodées et des colliers Hello Kitty, c’est un positionnement aussi ! Il se fait des couleurs, et il a des lunettes roses. Mag pareil il met des crop-tops et les gens sont un peu perdus, ils pensent que les deux sont gays. (rires)

William : Allez, arrête, laisse-là les gens. (rires)

Dourane : Et je trouve ça chanmé parce que je sais que depuis que j’ai trois ans on me dit que je suis gay, mais eux non, ils vivent leur truc tranquille. On s’éloigne un peu des représentations classiques, on est un peu tous homme et femme. C’est là qu’on voit vraiment que l’habit ne fait pas le moine. C’est bien que les gens confrontent leurs certitudes aux réalités. Je pense que c’est ce dans quoi on s’inscrit, et je pense que les gens ne sont pas forcément prêts pour trois petits gars comme nous. 

Mag : Trois petites lionnes. (rires)

Dourane : Anglais, français, wolof qu’est-ce qu’il y a ? Nous on aime le UK garage mais on aime aussi l’afrobeat attention.

Mag : On aime le RnB, on adore Erykah (Badu, ndlr).

Un dernier truc à raconter, un souhait pour la suite ?

Dourane : Non, on a confiance, la vie nous amènera ce qu’il faut.

Mag : C’est 100% fun, 200% fire, 200% love. Surtout le 200% love c’est important. Faya si tu veux, fun ce serait bien.

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