Après Intuition, Vol.1 en mai dernier, l’artiste pluridisciplinaire NSDOS vient de dévoiler récemment la deuxième partie de son oeuvre, Intuition, Vol.2. D’une curiosité kaléidoscopique et passionné par des domaines aussi variés que la danse, la nature ou l’entrainement des forces spéciales, c’est avant tout le rapport à la technologie et à l’expérimentation qui guident son travail. Au-delà du résultat artistique, NSDOS est éminemment fasciné par le processus. Pour ce projet en particulier, il s’est exilé en Alaska où il a sondé la nature à l’aide d’un outil à mi-chemin entre la sculpture sonore et la station météo bricolée. Ses captations l’on aidé à collecter des datas, qu’il a ensuite transformées en matière sonore, puis en album.
Quel rapport entretiens-tu avec la technologie dans ton travail ?
J’ai grandi avec ça, mon père est ingénieur, donc l’informatique et la technologie avaient une place assez centrale dans ma famille. J’ai eu internet très tôt, beaucoup joué aux jeux vidéos avec mon père… Depuis tout petit j’ai compris que c’était un outil de divertissement, éducatif, et j’ai eu également des logiciels de musique tôt entre les mains.
Quand j’étais plus jeune, je voulais être infographiste et travailler sur les effets spéciaux, donc l’ordinateur était là aussi un outil. Quand j’ai fait des études de danse, j’ai rencontré des mecs qui travaillent sur le rapport entre danse et nouvelles technologies. Donc il y avait cette idée d’utiliser la machine pour assister des projets, que ce soit pour spatialiser du son, capter du mouvement… C’est un outil très intéressant pour moi, sachant qu’en plus je travaille seul. C’est rapidement devenu un outil ludique.
Ton parcours est très éclectique, est-ce que tu te vois plus comme un créatif de manière générale plutôt qu’un musicien en particulier ?
Je me sens comme un artiste tout simplement, qui vit avec son temps, après je ne suis pas manuel, donc je pense que l’outil informatique permet justement de combler certaines lacunes. Un artiste centré sur la problématique homme/machine. Avec les machines on peut faire des choses très pragmatiques, mais aussi de la poésie.
Ce qui m’intéresse c’est de faire de la poésie avec des machines. Enfin plus exactement, de faire de la poésie avec des machines, des objets, des outils, ou même des philosophies qui ne sont pas censés être des outils de création artistique.
Je me suis très vite intéressé par exemple à tout ce qui était entrainement des forces spéciales, alors qu’à la base ce n’est pas quelque chose de spécialement poétique. Moi ça m’a interpellé autour de la notion d’entrainement, de fraternité, de voyage, d’observation… qui sont finalement des choses qu’on peut retrouver dans l’art en général. J’aime trouver des parallèles.
Quelle est la genèse de ce nouvel opus ?
L’idée déjà c’était de partir en Alaska pour construire un outil. J’étais très inspiré par les stations météorologiques, dans le sens où esthétiquement ça me parlait, et puis pour ce que ça pouvait produire en matière de data. Il y avait aussi une analogie avec les totems amérindiens. Avec un ami on en a discuté et il m’a dit qu’il fallait que je pousse ce délire-là, réussir à créer une machine qui puisse me permettre de faire de la musique dans la nature, que mon propos soit bouclé, parce que je commençais à construire des petits programmes qui me permettaient de capter le mouvement et faire du son avec etc… Du coup avec un autre pote ingénieur, on a décidé d’augmenter mes outils et de faire en sorte qu’ils puissent être dans la nature, que je puisse raconter une histoire et faire une sculpture sonore.
Concrètement, quel a été le process pour amasser la matière, construire les morceaux ?
Tous les soirs on travaillait sur des outils, on modifiait et créait des machines, des capteurs… Puis la journée on cherchait certains spots pertinents où tester nos outils. Cet album c’est beaucoup d’expérimentation pure. La musique est une couche, une information, le stem que j’ai fait avec tous mes ordinateurs c’en est une autre, et après ce que j’ai vécu en termes d’expérience humaine c’est encore une autre couche. C’est une sorte de triangle qui se combine.
Ce que j’ai voulu exprimer avec ce projet-là, c’est face à un contexte apocalyptique, de problèmes politiques, de guerre, comment nous on peut être prêts à fonctionner en diaspora, avoir un équipement très mobile, pour pouvoir être fonctionnels et faire de la musique où on veut.
Le paramètre expérimental est très prégnant dans ton projet, est-ce que finalement ce n’est pas plus le processus que le résultat musical qui t’intéresse ?
Le résultat c’est toujours un rapport aux autres, pas à toi-même. Ce qui m’intéresse c’est de faire.
Le résultat c’est un album, parce qu’on est dans une société où tu dois desservir quelque chose pour continuer à vivre. Le process c’est mon code de vie. Si je meurs, ce qu’on va le plus retenir c’est comment j’ai travaillé, pas ce que j’ai fait. Le processus il est toujours intéressant, parce que c’est ce qui te fait évoluer, te transformer, changer de point de vue.
Quand on voit ton nom sur une affiche de concert, impossible de savoir à quoi s’attendre ?
Oui, l’effet de surprise évite de tomber dans une routine. J’ai pas envie que les gens puissent s’attendre à ce que je fais. Je ne pense pas que mâcher le travail au public soit forcément bien, mais l’égarer est toujours intéressant.
Qu’est-ce qui te stimule comme direction live à creuser en ce moment ?
Là je recommence à travailler avec la danse, après j’ai plusieurs centres de recherches. Un qui concerne la collection de data basée sur le mouvement des micro-organismes. Un autre sur le body operating system, inspiré du systema, un art martial russe qui était enseigné aux services secrets et aux forces spéciales, avec une philosophie d’apprentissage autour de la négociation.
Qu’est ce qui est le plus problématique pour toi dans l’industrie de la musique telle qu’elle se présente aujourd’hui ?
Que ça ne tient pas forcément que de la musique. Aujourd’hui on te vend des artistes pour ce qu’ils sont et représentent politiquement, avec parfois des contenus musicaux très médiocres. J’ai du mal avec cette idée d’écouter de la musique en raison de la personne qui la fait plutôt qu’en raison de la musique elle-même.
La musique tend à devenir de plus en plus incarnée.
Qu’est-ce qui t’inspire ces temps-ci ?
Des aspects de la science, de la stratégie militaire, du hacking, de la mode… Je suis très attaché au voyage aussi, la curiosité d’aller se déplacer vers quelque chose. Internet est très utile, mais c’est une première approche, ensuite il faut y aller pour se rendre compte des choses. C’est le contact humain qui me nourrit le plus.