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On n’a pas fini de danser sur des musiques traditionnelles au festival Oh Plateau !

On n’a pas fini de danser sur des musiques traditionnelles au festival Oh Plateau !

Pour sa quatrième édition, le line-up du festival ardéchois Oh Plateau ! offre une place de choix aux musiques inspirées de traditions sonores régionales. On a voulu comprendre la place de ces sonorités dans nos scènes actuelles en discutant avec un des artistes du festival, Vincent Privat.

Du 29 au 31 juillet se tiendra Oh Plateau !, un festival perdu entre les montagnes ardéchoises. Pour cette quatrième édition, le festival se déploie dans des lieux hors normes du territoire, comme un château néogothique ou une grange tri-centenaire, pour y installer une diversité de projets souvent émergents, toujours qualitatifs. On retrouve l’emo-pop de Godzilla Overkill, le marseillais Antonin Appaix ou encore l’australienne Annie Burnell, mais aussi une ribambelle de DJ, et notamment Lugal Lambada, Léa Baldazza ou Mila Necchella.

On note que certaines soirées du festival sont gratuites ou à prix libre, et qu’outre leur audace en termes de lieux, c’est la carte blanche donnée à Dizonord qui a retenu notre attention. Dizonord, c’est un disquaire nord-parisien récemment installé à Marseille, connu pour son kink pour le digging sous toutes ses formes : on vous parlait l’été dernier de leur exposition de flyer de raves. Déjà présent sur la dernière édition du festival, on retrouve cette année son co-fondateur avec un set de musiques d’inspiration traditionnelles dont il a le secret.

Car la vibe musique trad’ est bien présente sur cette édition du festival : Oh Plateau ! reçoit pour une semaine de résidence le trio polyphonique Jardino, qui pioche dans des répertoires de chants anciens. Alors non, on n’a pas fini de danser sur les musiques traditionnelles régionales de France : loin d’être confinée aux bals d’antan, la musique néo-trad fait partie de nos scènes actuelles. Il y a quelques années, le festival Visions accueillait sous son dôme des membres du collectif La Nòvia et du label Standard In-Fi, qui expérimentent et renouvellent le genre. Dans un autre registre, le morceau La Teknoz de De Grandi a déjà commencé à dégommer les dancefloors estivaux à grands coups de cornemuse et de biniou breton. On a donc voulu comprendre d’où venait le côté hypnotique de ces beats anciens, et interroger la place de ces sonorités dans nos scènes actuelles en discutant avec Vincent Privat.

Manifesto XXI – Que nous proposes-tu pour pour cette nouvelle édition de Oh Plateau ?

Vincent Privat : C’est ce que je compte faire pour Oh Plateau !, mais c’est ma pratique, je propose des sets vinyles uniquement, festifs et dansants, autour de musiques traditionnelles et anciennes françaises. Je joue essentiellement des musiques issues de ce qu’on appelle le revival trad des années 70. Les protagonistes de ce mouvement avaient un regard sur leur propre culture et questionnaient leur identité, souvent dans un esprit contestataire. Revenait souvent la question d’une France globalisée face à la mondialisation, et l’envie de comprendre ses racines. Ils utilisaient ce patrimoine avec un message d’ouverture. Beaucoup de groupes faisaient d’ailleurs intervenir des percussionnistes d’autres pays, mais la volonté était de comprendre qui on est, d’où on vient et pourquoi notre culture a été mise de côté.

Le folklore ne devrait pas être quelque chose de péjoratif, même si aujourd’hui c’est une expression qui est souvent dénigrante. La question, c’est plutôt pourquoi on dénigre des cultures traditionnelles.

Vincent Privat

C’est important pour toi de parler de musique traditionnelle plutôt que de musique folklorique ?

C’est un sujet épineux. Premièrement, ce ne sont pas des musiques traditionnelles que je joue, mais des musiques d’inspiration traditionnelle : on a que très peu d’enregistrements de musiques traditionnelles, en contexte traditionnel. Les rythmes et chansons qu’on connaît aujourd’hui sont issus des recherches de musiciens qui rejouent un patrimoine commun. Pour ma part, je ne parle pas de musique folklorique, mais le terme ne me dérange pas. Le folklore ne devrait pas être quelque chose de péjoratif, même si aujourd’hui c’est une expression qui est souvent dénigrante. La question, c’est plutôt pourquoi on dénigre des cultures traditionnelles.

C’était justement ma question suivante…

Ces musiques, et ce qui les entoure, sont dénigrées depuis longtemps, au même titre que les dialectes et langues traditionnel·les, comme le breton, l’occitan, ou le flamand, qu’on a voulu effacer pour imposer le français. Cette diversité de cultures qui représentait la France a été asphyxiée. En musique, dans les années 70, on s’est réapproprié ce patrimoine avec une approche contestataire — mais pas uniquement. A cette époque, certain·es se sont inspirés de musiques traditionnelles ou anciennes, comme celles du Moyen Âge ou de la Renaissance, en créant des groupes plutôt pop-rock. Elles et eux participaient aussi à diffuser des sonorités traditionnelles, et donc à la conservation de ce patrimoine.

Je considère que c’est un patrimoine important, et que ces musiques méritent leur place sur le dancefloor.

Vincent Privat

Quelle est ta volonté proposant ces sets ?

Je trouve ça intéressant de remettre ces musiques dans un contexte de danse : à la base, elles sont vouées à être dansées. Je considère que c’est un patrimoine important, et que ces musiques méritent leur place sur le dancefloor. C’est un point de vue plutôt social. Il y a aussi une envie de conserver ce patrimoine-là, c’est ma manière de le transmettre:  je suis né dans le sud de la France et je suis très attaché à la culture occitane. Ça permet également de faire une proposition très différente, d’offrir une variété sonore à des line-up de festival. Et je pense que c’est assez ludique pour les gens, ça reste dans la tête, c’est entraînant et ça fait écho à plein de choses qu’on a oublié.

L’anthropologue Jérémie Piot réfléchit à cette question de disparition des cultures populaires : il part du constat que le monde occidental a abandonné ces pratiques populaires afin d’occuper une position dominante sur d’autres pays et d’autres cultures. En abolissant ces cultures populaires, il explique qu’on a aussi perdu notre rapport au sacré, à la magie, à la spiritualité et fait le choix d’une à une société très rationnelle… Qu’en penses-tu ?

Je ne suis pas contre cette approche, mais je ne suis pas spécialiste de la question au sens ethnographique ou sociologique. Mon approche est patrimoniale, je souhaite transmettre et conserver quelque chose d’une manière différente, festive et artistique. D’ailleurs, je propose une forme de vulgarisation : je mélange des musiques bretonnes et occitanes, des musiques d’inspiration médiévales à d’autres époques. Ce n’est pas une approche historique de la question, même si dans les années 70 on mélangeait parfois les répertoires. Je me suis beaucoup documenté sur ces questions, mais ma place est celle d’un DJ et non d’un chercheur.

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Tu précises que ton approche est festive : faire un set de deux heures de musiques d’inspiration traditionnelles, c’est aussi une façon d’interroger de notre rapport à la fête ?

Ça n’est pas vraiment formulé, mais ça soulève plein de questions oui. Des DJ sont parfois surpris·es que je fasse danser les gens avec mes sets : ça questionne la pratique du djing et de la fête. On propose à des jeunes gens de 20 à 30 ans de faire la fête sur des musiques qui ont été créées il y a très longtemps, basées sur des éléments centenaires. Ça pose la question très large de la transe dans les musiques traditionnelles, quelque chose qui existait et qu’on a totalement perdu.

Ce sont des morceaux avec énormément de basses, qui prennent aux tripes, certaines personnes sont étonnées qu’il y ait ce genre de sonorités dans les musiques traditionnelles, et on me demande régulièrement si je retravaille les morceaux — pas du tout. Les morceaux avec le plus de basses ont souvent été réalisés uniquement avec des instruments traditionnels, sans batterie moderne. Les rythmes de percussions des musiques traditionnelles sont très différents de ceux des musiques occidentales, et sont particulièrement immergeant.

© Andréa Courtial

Mais je souhaite que ma pratique reste festive, sans trop la politiser. Bien sûr, ça pose des questions sur la globalisation, sur la centralisation… Ces questions reviennent souvent, dans le revival trad’ des années 70 par exemple, il y a eu tout un mouvement qui s’appelait Volèm viure al país, c’est de l’occitan et ça signifie « on veut vivre au pays ». Les gens voulaient pouvoir vivre, travailler et manger chez eux, sans que leurs enfants soient obligés de faire des études à Paris, ou de travailler dans les administrations de grandes villes. C’était au centre des revendications, et bien sûr que ces musiques questionnent tout ça indirectement. Mais le public est libre de l’interpréter comme il le souhaite, c’est un patrimoine qui nous appartient à tous·tes, chacun·e est libre d’y voir ce qu’il ou elle veut. En revanche, il ne faut surtout pas le lier quelque chose d’identitaire : ça n’est pas parce qu’on a une identité forte et qu’on la défend qu’on est fermé aux autres. Il y a très peu de fachos dans les milieux traditionnels, au contraire ces musiques étaient produites par des gens très impliqués et ouverts d’esprits, qui sont les premiers défenseurs de notre culture, parce que ce sont eux qui la pratiquent.


La programmation et la billetterie de Oh Plateau ! se trouve ici.
Image à la une : © Léa Djeziri

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