Le festival Musique Magique déferle sur Marseille avec 8 événements mettant la musique de niche à l’honneur. Lives expérimentaux, dj sets grande vitesse et concerts bubblegum rythmeront ces deux semaines, du 4 au 20 mai. Interview avec son fondateur, l’artiste Sasha.
Une vague de mignonnerie expérimentale s’apprête à déferler sur Marseille. Du 4 au 20 mai, Musique Magique propose des lives, des dj sets, une exposition et un atelier DIY, au fil de 8 événements dans différents lieux de Marseille. Initié par Sasha, qu’on connaissait déjà comme membre du collectif de fête PailletteS et moitié du couple d’artistes Dasha et Sasha, le festival met à l’honneur des artistes « de niche », des bedroom nerds à l’énergie sincère, souvent rapide, toujours joyeuse.
Après une inauguration au SOMA avec le live machine IDM du représentant local Poborsk et le b2b d’Anna Superlasziv & Zeroday [exploit], Coco Velten accueillera une longue fin de journée noise expérimentale avec le live du duo marseillais Agelena Armour. On touchera probablement le climax de la sorcellerie le jeudi 11 mai au Molotov, avec un line up explosif : la première date dans le sud de Cheval de Trait, le prometteur duo gabber-folklorique breton, accompagné de Nadou le rdv ou encore DJ Raxxas, « jeune espoir de la musique qui fait galoper » comme nous le décrit le fondateur du festival. La course poursuite se prolongera dans l’antre du mythique Meta, avec une nuit à grande vitesse réunissant Dr Dr4kken, le boss du label Safe Cloud Records, aux côtés de Turbo Torši (le projet solo de la moitié de Baja Frequencia) et de la jeune queen Bettinananass. La redescente se fera également en bonne compagnie, avec les lives pop bubblegum de Kevin Colin et Slurpflrup à la Brasserie communale, puis un all stars avec les copaines aux 9 Salopards. Sans oublier l’atelier de fabrication de synthétiseur mené par Ritual Electronics, et l’exposition de peintures, sculptures et sérigraphies de Dasha, XXX OXO et Margot Canhoto à l’atelier La Grenade.
À quelques jours du coup d’envoi, on a papoté avec Sasha, qui nous a raconté les origines et la vision de Musique Magique.
Ça vient d’un instinct de survie, du besoin de se créer des espaces « safest as possible », en offrant de la douceur, de la générosité, pour nous aider à survivre jusqu’au prochain weekend !
Manifesto XXI – Pourquoi avoir eu envie de réunir deux semaines de « musique magique » sur Marseille ?
Sasha : C’était un vieux rêve d’organiser un festival, je dirais même une fantaisie, parce que ça n’a pas vraiment de sens. Un festival, c’est avant tout plein de rencontres, autant entre les artistes qu’avec le public. Des artistes qui jouent sur une certaine soirée vont quand même se sentir impliqué·es en se rendant à d’autres événements du festival. Ça crée beaucoup d’échanges, ce qui est à peu près le sens de la vie je crois.
Il y avait aussi quelque chose d’un peu plus politique dans l’idée de ce festival, dans le rapport à l’égalité entre les artistes. J’avais envie qu’iels soient tous·tes logé·es à la même enseigne, au moins sur le papier. Il y a peut-être des créneaux un peu plus chic que d’autres, mais tout le monde apparaît par ordre alphabétique sur une même affiche, sans qu’on sache d’emblée qui joue à quel endroit ou à quelle heure. Et iels sont tous·tes payé·es pareil. C’est aussi ce que permet le festival : si l’économie d’un des événements marche moins bien, on arrive à équilibrer grâce aux autres pour que tout le monde ait le même cachet.
C’est quoi de la « musique magique » pour toi ?
Pour moi ça évoque l’aspect « drogue » de la musique, qui te met dans un état second. J’écoute certain·es artistes à la maison et je pleure, d’autres me font rire, d’autres me réveillent, m’endorment… Ce sont les mêmes effets secondaires des drogues dures que la musique peut provoquer, des émotions, des madeleines de Proust. Le potentiel pouvoir magique vient avant tout du contexte : si tu mets le bon son, les bon·nes gens, au bon endroit, il se passe un truc de l’ordre du magique. Tu peux écouter Francky Vincent sur la plage avec ta meilleure amie, si ça te rappelle des souvenirs, ça sera magique.
Le line up est éclectique, brassant beaucoup de genres différents, et les formats d’événements aussi : l’idée c’était de pouvoir parler à des publics différents ? Qu’est-ce qui lie tout ça ?
Alors, je n’ai pas du tout envie d’avoir plein de publics différents : j’ai envie d’un public de gauche, curieux et sympa, pas de hooligans de droite ni de vieilles familles cathos ! (rires) Je voulais qu’il y ait des formats différents oui, pas tant pour que ça parle à différents publics, mais plutôt à une seule et même personne : si elle vient à deux ou trois événements en ayant confiance, en acceptant se laisser emporter, elle pourra vivre des expériences différentes – certaines chill, d’autres plus intenses voire agressives. Je crois que le public doit jouer le jeu de venir en se laissant aller. J’ai construit le festival en pensant à des moods : par exemple, à Coco Velten, ce sera chill et mignon, pour rêver un peu, boire des coups. À d’autres endroits comme au Meta, les gens vont danser toute la nuit. J’ai essayé de créer des atmosphères spécifiques pour chaque moment.
Il n’y a pas grand-chose qui lie tout ça mais c’est cohérent. En fait, je me suis justement demandé : c’est quoi la cohérence ? Je crois que c’est quand on met des choses différentes ensemble et que c’est quand même agréable. On vit dans une époque où plus rien n’a vraiment de sens : manger des sushis en Espagne, on pourrait se dire que ce n’est pas cohérent, mais a priori si on aime les sushis, c’est plutôt agréable. Alors c’est cohérent.
Tu évolues dans une scène marseillaise dynamique que tu as eu envie de mettre à l’honneur, mais tu as aussi invité des artistes de plus loin : raconte-nous d’où sont venus tes coups de cœur ? Comment as-tu construit ce line up ?
Depuis le tout début du projet, c’était important pour moi de mettre en avant la scène locale, déjà parce que ça m’évite de payer des billets de train, en toute transparence ! (rires) Je connais à peu près tous·tes les artistes personnellement, ce sont des gens avec qui j’ai un bon feeling, que j’ai rencontré·es à la plage, en after, en festival. Il y a d’autres artistes de la scène locale que j’aime aussi mais qui sont plus connu·es ou qui tournent bien actuellement. Moi j’avais envie de mettre en avant la musique de niche, des artistes plus discret·es et moins expert·es en communication, qu’on voit rarement jouer mais qui méritent clairement de figurer à l’affiche d’un festival. Ce sont des personnes généreuses musicalement, qui sont intègres et qui font ça pour la passion, un peu geeks, qui font de la musique dans leur chambre, de manière pas toujours professionnelle même si ça devrait l’être !
Les artistes qui viennent d’ailleurs sont aussi des coups de cœur, par exemple j’ai découvert Cheval de Trait cinq jours avant de finaliser l’affiche du festival. On m’a montré une vidéo de leur live à Paris, je me suis dit « oui c’est magique » et je leur ai proposé de jouer. Il y a aussi beaucoup d’artistes proches de toute la grande famille de Dimension Bonus, qui est un mouvement artistique que je définirais également d’intègre et généreux, une forme de poésie contemporaine qui se donne des airs naïfs mais qui est en fait très sincère.
L’événement distille effectivement une joie de vivre presque candide, autant dans le titre, les visuels que les descriptions, ou le choix des artistes invité·es. C’était important pour toi d’amener cette énergie positive ?
Ce n’est pas très conscient ! J’aime naturellement les bébés chats, les smoothies et les yaourts glacés, les choses douces et agréables, je ne fais pas exprès. Beaucoup des artistes invité·es sont assez mignon·nes – il y a juste Agelena Armour qui est plus dark, le seul mouton noir du festival ! Ce n’est pas totalement par hasard : en tant qu’artiste mais aussi en tant qu’humain, je pense que j’appartiens à ce mouvement artistique. Gajeb (du groupe Slurpflrup), Kevin Colin, Nadou le rdv, Bettinananass, ce sont des… « woke » : des gens éveillé·es, attentionné·es, qui veillent à ce que tout aille bien pour tout le monde même quand iels sont juste client·es d’une soirée, et qui ont la même énergie en tant qu’artistes, sans être complètement naïf·ves pour autant. Ça doit venir d’un instinct de survie, du besoin de se créer des espaces, pas « safe » parce que je crois que ça n’existe pas, mais « safest as possible », en offrant de la douceur, de la générosité, pour nous aider à survivre jusqu’au prochain weekend !
Tu as monté ce festival tout seul, c’est un gros défi pour un jeune artiste. Comment tu t’es organisé pour y arriver ?
D’abord, j’ai tout mon temps ! Je suis au chômage, donc je mets absolument toutes mes journées là-dedans parce que ça me fait super kiffer, je ne compte pas mes heures. Je suis le seul bénévole du festival. Sinon, ce sont tous ces lieux qui me font confiance et qui ont accepté de me donner carte blanche. Je pense que c’est grâce à mes bagages avec PailletteS, Abribus, Soirée Pizza… Tous les deals que j’ai eus avec des salles de concert de Marseille se sont toujours bien passés, donc quand je suis revenu vers elleux avec ce projet, j’ai été accueilli avec des grands sourires. Je les remercie beaucoup ! C’est le sang. Finalement, pareil que les artistes, tous les lieux sont logés à la même enseigne dans le festival.
Il y aura aussi une exposition, un peu dans la continuité des soirées PailletteS qui mêlaient musique, fête et arts visuels ?
À la base je suis dans l’art, j’ai été diplômé des beaux-arts avant de m’égarer dans la techno. Je trouve ça important, et aussi magique. Pendant le festival il y aura une exposition de trois jeunes artistes résident·es à La Grenade, qui ont carte blanche. Pourquoi des arts visuels dans un festival de musique ? La question, ça devrait être plutôt : pourquoi il y en a si peu ? L’an prochain, j’aimerais bien qu’il y ait plutôt quatre ou cinq expos. Je trouve ça totalement logique qu’on regarde des pièces artistiques tout en écoutant de la musique. Ce sont deux moyens d’expression, avec des langages différents mais qui disent les mêmes choses. C’est dans la continuité de ce qu’on faisait avec PailletteS oui, même si ça relevait plus de la scéno que d’une vraie expo. Là je voulais encore plus de générosité, que t’en aies pour les yeux, les oreilles, pour la bouche aussi parce qu’il y aura à boire ! L’objectif l’an prochain, c’est de recommencer avec toujours plus de lieux.
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Relecture : Apolline Bazin