Mona San dévoile aujourd’hui ~p+n|d•r~, son premier album. Ce premier projet interroge la possibilité de créer un tout cohérent à partir d’éléments sonores épars et désorganisés. Pour construire, Mona San dissèque les rythmiques et décompose les mélodies, les renvoyant ainsi à leur état primitif de notes dans un espace sonore indéfini.
En 2015, Brodinski dévoile son premier album intitulé Brava, l’occasion pour le DJ et producteur français de réveiller et de bousculer la scène French Touch. Brodinski esquisse une nouvelle musique dancefloor caractérisée par le produit de la rencontre des sonorités hip-hop et techno. Si ces deux genres musicaux réunissent des publics différents, sont nourris par des imaginaires distincts et donnent lieu à des rites variés, ils se rejoignent cependant dans un caractère commun en ce qu’ils sont tous les deux des espaces de rébellion ou de contestation des pratiques sociales traditionnellement établies. Le dialogue engagé par Brodinski entre des rappeurs américains et des productions hip-hop industrielles léchées reste une tentative isolée qui ne trouve pas de réponse à l’époque, du moins pas en France.
Cette flamme allumée par Brodinski est aujourd’hui ravivée par Mona San, un jeune producteur français qui sort ce jour son premier album intitulé ~p+n|d•r~. Comme la reprise d’une fouille d’un site archéologique, Mona San anime à nouveau l’espoir de voir émerger une musique hybride d’un type nouveau. À la manière du trip-hop, qui, en les mélangeant, rend méconnaissables l’electronica et le hip-hop dont il est issu, le producteur organise la rencontre de nappes synthétiques réverbérées avec une rythmique percutante, cruelle et sombre, comme le titre « Innerbl◊◊m » en témoigne. Mais Mona San n’est pas un entremetteur, il est un metteur en scène qui orchestre une collision des genres. Tout comme Brodinski, la musique qu’il produit questionne ce décloisonnement. L’absence de structure, constitutive de sa musique, est alors à interpréter comme le geste d’une pensée en mouvement qui ne saurait être contenue dans la rigidité d’une forme. ~p+n|d•r~ dessine le paysage d’un genre inconnu qui ne s’affirme pas encore, qui questionne son identité.
Cette collision des genres se révèle réellement dans la confrontation du motif de la construction avec celui de la déconstruction. Le titre « ambr watr » en est un exemple. La construction du morceau dépend de la manière dont il est déconstruit. Le producteur refuse toute forme de continuité, les mélodies au synthétiseur sont empêchées par une rythmique arythmique qui casse la linéarité initialement établie. La musique est alors motivée par une décomposition méthodique. Lorsqu’il nous laisse reconnaître une rythmique hip-hop c’est pour mieux la renvoyer à son état primitif de désorganisation, de hasard sonore. L’occasion pour l’artiste de nous rappeler que la forme n’est rien de plus qu’une organisation de l’informe. On comprend alors pourquoi le titre « Rollin » est une exception dans l’album : Mona San ne cherche pas à produire un titre trap hybride comme Brodinski a pu le faire. Ce qui l’intéresse en revanche est de comprendre comment cette perfection, cette organisation rythmique rigoureuse, coincée dans une forme, est rendue possible en partant de l’informe.
Que Mona San revendique une inspiration pour le cinéma de science-fiction n’est pas une chose surprenante puisque le genre pousse la fiction dans ce qu’elle a de plus fictionnelle en fixant les récits dans un espace-temps futuristique, extra-terrestre, bref un cadre spatio-temporel dont on ne peut faire l’expérience concrète. Si sa musique ne répond pas à l’attente de la forme, elle ne répond pas non plus à l’attente de la temporalité. Les mélodies lancinantes évoquent quelque chose d’une mélancolie alors que les rythmiques lacérantes et divaguantes aux sonorités distordues évoquent une musique futuristique dans la même veine que « &&&&& ».
Il n’est finalement pas question de donner des réponses quant à ce que la musique sera, ni davantage de lui reconnaître une identité aux contours lisses, mais d’engager une réflexion. Pour un premier album, le travail de Mona San impressionne parce qu’il assume justement de ne pas savoir. Sa musique est hautement actuelle parce qu’elle assume aussi de puiser son inspiration dans ce que le paysage musical actuel a de plus varié, aussi bien en termes de genre qu’en termes de sonorité, c’est ce qui en fait la complexité et la richesse.