La productrice et DJ, Maud Geffray, moitié de Scratch Massive, dévoilait le 20 mai dernier son second album Ad Astra sur Pan European Recording offrant un véritable voyage sensoriel. Elle présentera pour la première fois son nouveau live à Paris le 17 juin au Périph’.
Alors que Maud Geffray nous avait laissé·es dans la noirceur glaciale de la Laponie avec Polaar en 2017, elle nous tend aujourd’hui la main pour nous élever direction les étoiles avec son nouvel album Ad Astra. Un disque plus coloré, jusque dans sa pochette, tirant les espaces et les sonorités vers quelque chose de plus grandiose. Un cheminement dans lequel les espoirs éclosent, l’électro s’entrelace à la synthpop sur des notes trance, guidé par une voix hantée qu’on rencontre sur presque toutes les pistes. Rencontre avec la productrice.
Manifesto XXI – Ton album s’appelle Ad Astra qui vient de la locution latine « Ad astra per aspera » qui signifie « Vers les étoiles au travers des difficultés ». Pourquoi avoir choisi cet intitulé ?
Maud Geffray : Je cherchais quelque chose de stellaire parce que j’avais déjà la photo de la pochette, qu’on avait prise à Saint-Nazaire avec Alexia Cayre, qui avait déjà fait les photos pour Polaar et 1994. On avait cet édifice, La Soucoupe, qui est un bâtiment un peu étrange, posé comme ça dans la ville et finalement c’est comme une continuité qui s’élève sur quelque chose de « stellaire ». Je cherchais à évoquer un peu ça quand je suis tombée sur ce terme « ad astra per aspera ». Il fait écho aux deux « A » de Polaar, mais ça correspondait aussi à un moment de ma vie. C’est quelque chose que j’avais envie de raconter, que de toute façon, on peut atteindre des choses plus belles et trouver la lumière même si on part de loin.
C’est marrant aussi parce que Rebeka Warrior dans le texte qu’elle a écrit pour l’album, elle le dit « On va toutes les deux vers la lumière ». Il y a quelque chose comme ça, toujours partir du fond et maintenir un cap vers les étoiles. Après j’ai vu qu’il y avait le film de James Gray qui s’appelait pareil, mais très honnêtement, ce n’était pas du tout un hommage (rires) et j’ai même vu que Elon Musk voulait lancer des écoles hors-éducation américaine qui s’appelleront « Ad Astra », donc mince ! Mais c’était trop tard (rires).
C’est comment Saint-Nazaire ?
La ville a plein de trucs étranges de constructions, où tu sens que les mecs se sont fait plaisir. C’est une ville qui a été détruite à 90% pendant la guerre, il reste un petit quartier indemne mais tout le reste c’est vraiment de la reconstruction à l’arrache. Donc il y a plein de bâtiments un peu moches, que les gens se réapproprient avec des couleurs, parce que c’est très béton. C’est une ville très bizarre, et pourtant qui a un peu le vent en poupe étonnamment aujourd’hui ! Moi j’hallucine parce que j’ai passé mon enfance et mon adolescence là-bas et c’était vraiment Saint-Nazaire la ville des nazes tu vois. C’est comme ça qu’on l’appelait parce qu’à côté il y a La Baule, la ville des bourges et nous c’était vraiment la ville des prolos.
Depuis le covid cette ville commence à avoir le vent en poupe parce que les gens se sont jetés sur les petites maisons au bord de la mer. Iels déboulent tous·tes, donc les gens de Saint-Nazaire peuvent revendre leur baraque assez cher. Je crois que c’est la troisième ville de France qui a pris le plus en prix de vente. Donc je dirais que c’est une ville qui en même temps est peu encline à amener des gens à la base il y a quelques années et puis maintenant ça se retourne, comme plein de villes, comme Pantin… Il y a un petit côté boboïsation.
Pourquoi est-ce que tu dédies une si grosse place à Saint-Nazaire dans l’album ?
C’est un peu un hasard. La photo c’est Alexia qui voulait faire la pochette là-bas parce qu’il y a des choses à raconter, entre l’océan et le brutalisme. Et s’est ajoutée Rebeka, qui vient aussi de Saint-Nazaire, et qui a écrit un texte sur notre histoire un petit peu commune et de nos insomnies. Donc, forcément les réalisateurs du clip ont voulu tourner dans cette ville. Mais avec Rebeka on en rigole en mode « on veut notre statue à Saint-Nazaire », donc on s’est tapé un trip là-dessus. Ça nous fait marrer de rendre hommage à cette ville parce qu’elle et moi on sait à quel point on en a un peu chié à traîner dans cette ville un peu naze durant des années.
Pour revenir à l’album, ça t’évoque quoi les étoiles ?
Le terme « Ad Astra », c’est cette idée d’élévation, il y a un truc qui rejoint l’onirisme… C’est-à-dire qu’il y a vraiment, comme cette architecture un peu brutaliste, qui a un pied dans la dureté, mais a une envie de rêve. La tête dans les étoiles un peu.
C’est quoi tes rêves ?
Ils s’améliorent j’ai l’impression, c’est mieux qu’avant. Disons que j’ai l’impression d’en sortir, je faisais beaucoup de cauchemars avant et là j’en ai moins. Je suis plus en osmose avec mes rêves. Je pense que c’est lié à mon mode de vie (rires). C’était peut-être un peu plus dark avant, donc ce qui ressurgit dans les rêves est forcément moins dark.
Tu t’es plus posée ?
Je dirais que j’ai calmé pas mal de choses qui font que c’était plus compliqué avant d’être sereine et d’avoir des rêves qui avaient un effet miroir positif. Les rêves, ça reflète beaucoup de choses, la tête et les états d’esprit. Là j’ai l’impression d’avoir atteint des moments un peu plus heureux, un peu plus sereins. Je ne sais pas. C’est sûr qu’avec Polaar c’était une période plus rêche, mais c’est très beau aussi. Faut essayer d’ouvrir les choses… Les chakras (rires).
Il y a un truc d’ego qui est hyper fort dans la musique. On n’est pas obligé de tout glamoriser non plus. La musique peut supporter des choses un peu plus importantes aussi.
Maud Geffray
Jusqu’à présent, tu t’étais inspirée d’images que ce soit pour 1994 ou pour Polaar. Pour celui-ci sur quoi t’es-tu basée ?
Oui, justement je me suis dit un peu « la page blanche », j’avais envie d’être chez moi. Le hasard a fait que c’est tombé pendant le covid et donc j’ai profité d’avoir un home studio chez moi pour commencer à composer, me baigner dans un truc. J’ai proposé à Lucien Krampf, qui fait de la prod pour d’autres comme Oklou, ascendant vierge, des choses plus pop aussi comme un groupe qui s’appelle Rallye, de bosser avec moi sur l’album donc on l’a ensuite terminé en studio. C’était une autre démarche. Plus proche de comment je compose avec Scratch Massive, même si j’étais seule au début. J’avais envie de ça, donc ça tombait plutôt bien. Me recentrer sur la compo, le micro et mes petits synthés. Mais il me semblait important de terminer à deux, pour avoir quelqu’un pour les derniers conseils, les sonorités, l’homogénéité de la chose… C’était bien de l’avoir à bord. Dans la prod il y a tout un aspect technique que je ne voulais pas assumer seule, c’est trop.
L’album semble plus intime ? Et il y a toujours quelque chose de très fantomatique.
C’est un peu comme un chemin. Le premier morceau c’est une invitation assez douce, on rentre vraiment dans une histoire, il y a ces petites sonorités un peu fantomatiques, qui sont sur plusieurs morceaux, quelque chose un peu intime se dessine et s’ouvre jusqu’à arriver à la fin, qui est un retour seul·e dans le noir. Ça parle un peu de mort, de gens que j’ai pu perdre, des choses comme ça qui résonnent et en même temps cet espoir sur la vie qui prend le dessus avec des tracks plus lumineux avant de retomber avec le dernier morceau où c’est vraiment un retour dans l’insomnie. Entre tout ça il y a des notes d’espoir.
Tu as sorti pour le moment deux clips, où tu mets en avant des personnes qui sont généralement invisibilisées : un couple queer rural et une ouvrière. C’était une volonté de mettre en lumière ces personnes ? Ça change des clips qu’on peut voir d’habitude.
Il y a un moment tu te dis : est-ce que je vais faire du lipsync ? Il y a un truc d’ego qui est hyper fort dans la musique. On n’est pas obligé de tout glamoriser non plus. La musique peut supporter des choses un peu plus importantes aussi. L’aspect documentaire qu’on a dans les deux clips on l’a vraiment voulu avec les réalisatrices. Avec Roxanne Gaucherand qui a fait « Break », tout de suite son pitch j’étais à fond dedans. Elle s’est investie aussi, dans ce lieu qui était la ferme de la productrice. Il y avait quelque chose de l’ordre du vécu, donc le résultat est forcément parlant. Pour Anaïs Tohé Commaret, qui a réalisé « Way Out » on s’était mis d’accord que l’aspect documentaire devait rester un certain temps, avant que ça parte un peu dans la magie. Le but était d’avoir des plans forts, assez fixes, sur cette fille et ces gens, pour montrer l’aspect très répétitif et enfermant de son quotidien, jusqu’à ce qu’on ait l’aquarium. La sensation qu’elle, elle est malade de son quotidien, elle en « vomit », c’est très imagé. Le track s’appelant « Way out » on voulait évoquer l’échappatoire, mais d’une autre façon. Le track évoque le manque, et on peut mettre plein de choses derrière.
J’ai remarqué que les personnages centraux étaient tous·tes aussi des personnes jeunes.
C’est une période charnière, c’est vraiment des moments hyper importants dans la construction, l’identité, c’est questionnant et en même temps c’est hyper riche. Fatalement ça revient souvent sur le tapis. C’est des moments où il y a plein de possibilités ouvertes. Les deux personnages à la campagne sont en pleine recherche. Des moments où la sensibilité est exacerbée.
Est-ce que ça t’arrive d’être nostalgique de ta jeunesse ?
Non pas trop. Je pense que c’est des moments qui m’ont beaucoup marquée, pour pleins de raisons positives ou négatives, comme aussi des choses très fortes, toutes les possibilités de s’échapper de ma ville natale avec les raves, les études, et puis en même temps c’est peut être aussi des choses qui m’ont habité, j’ai perdu mon frère jumeau à ce moment-là. Il y a plein de choses qui se sont dessinées pour moi sur cette période, des possibilités, des chemins, des moments qui n’étaient pas forcément évidents et puis des trajets de vie. J’ai l’impression qu’il se passe beaucoup de choses en général à cette période pour les gens, donc ce sont des moments que j’ai envie de raconter pour chacun·e.
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Image mise en avant : © Alexia Cayre