Lecture en cours
Pride Radicale, l’urgence de re-politiser les identités LGBTQIA+

Pride Radicale, l’urgence de re-politiser les identités LGBTQIA+

Le dimanche 19 juin à Paris aura lieu la deuxième édition de la Marche des Fiertés Radicale ou Pride Radicale. Considérant que la marche « officielle » de l’Inter-LGBT dépolitise les enjeux LGBTQIA+, 19 collectifs sont rasssemblés pour une marche « antiraciste et anti-impérialiste pour les droits des personnes migrantes ». 

En 2018, Manifesto XXI relayait déjà les voix critiques qui s’élevaient contre la marche des Fiertés organisée par l’Inter-LGBT. Des associations et collectifs (liste complète ici) dénonçaient alors le pinkwashing des grandes entreprises et la dépolitisation des luttes qui se fait par l’intégration d’une seule partie des LGBTQIA+ (souvent blanche, bourgeoise, urbaine et masculine) au détriment des nombreuses autres communautés (migrant·e·s, travailleureuses du sexe, personnes racisées…) qui subissent la violence et la précarité. Une nouvelle initiative indépendante avait eu lieu en 2019 avec l’organisation de la première Pride des Banlieues, archivée dans le documentaire La première marche. L’objectif de cette Pride était de visibliser les personnes LGBTQIA+ vivant dans les banlieues afin de souligner la spécificité des expériences queers dans ces quartiers qui se situent, le plus souvent, à l’intersection de problématiques économiques, raciales et politiques particulières. Une nouvelle édition s’est tenue le 4 juin dernier

Autre initiative, la Pride Radicale, qui souhaite dénoncer la récupération capitaliste de la Marche des Fiertés. Sa première édition en juin 2021 a réuni plus de 30 000 personnes, selon les organisateurices. Alors qu’une cagnotte a été lancée pour soutenir sa deuxième édition, nous avons rencontré Alycia, membre du collectif la MIF (Militant·e·s pour l’Interdiction des Frontières), afin de discuter de l’émergence de la Pride Radicale, du bilan de la première édition mais aussi des enjeux LGBTQIA+ dans le contexte politique actuel.

Manifesto XXI – Comment définissez-vous la Pride Radicale et quel est son objectif ? 

Alycia: La Pride Radicale est une marche des fiertés antiraciste, anticapitaliste et anti-impérialiste qui est à l’initiative de personnes queers particulièrement marginalisées, celles·ceux subissant des dynamiques oppressives au sein même des communautés. Malheureusement, les systèmes d’oppression ne s’arrêtent pas aux portes de la communauté LGBTQIA+. L’idée est de s’opposer radicalement aux valeurs néolibérales excluantes et donc de ne pas participer à la dépolitisation et au pinkwashing de la Marche des Fiertés. Nous refusons l’instrumentalisation de nos luttes à d’autres fins et nous voulons fixer nos propres agenda et s’autonomiser.

Comment a émergé l’idée d’organiser une Pride alternative, en rupture avec la marche mainstream organisée par l’Inter-LGBT?

En 2020, l’Inter-LGBT a annulé sa Pride en raison des restrictions liées au Covid-19. Par conséquent, cela a laissé la place à d’autres initiatives qui voulaient quand même organiser une marche. Une parade politique a été montée assez rapidement par plusieurs personnes et collectifs (appel à retrouver ici). C’était une Pride sans char donc vraiment différente de celle organisée habituellement par l’Inter-LGBT mais qui avait déjà réuni près de 3 000 manifestant·e·s. En 2021, les orgnisateur·ices de cette marche politique qui avait rencontré un grand succès, ont contacté pas mal d’orgas LGBT ou alliés. On a participé à des réunions avec un panel très large qui allait de collectifs ultraminoritaires à l’Inter-LGBT par exemple. Dans ces réunions, il y a eu des désaccords qui ont été exprimés et beaucoup ont demandé à l’Inter-LGBT de se positionner sur leur ligne politique : le pinkwashing que permettait leur Pride, la présence de partis politiques et des lignes homonationalistes (ndlr : utilisation des discours d’ouverture aux LGBT+ par l’Occident pour justifier des politiques impérialistes vis-à-vis de pays catégorisés comme moins tolérants sur le sujet) défendues par certains collectifs qui sont membres…

En 2018, La République en Marche était venue faire l’ouverture de la Marche des Fiertés, et la même année où iels votaient la loi « Asile et Immigration » qui a durci la législation contre les personnes migrantes. La mairie de Paris était aussi présente alors qu’elle coupe l’eau aux personnes précaires et travaille avec les flics qui harcèlent les travailleur·euses du sexe. Nous, on ne pense pas que la police et les entreprises qui viennent nous tabasser, nous exploiter toute l’année peuvent venir le jour de la Pride pour dire « on est tous alliés », « on défend vos droits ».  Très concrètement, dans les entreprises qui participent, il y a par exemple Air France via son asso LGBT Personn’ailes. Sauf que c’est directement Air France qui permet l’expulsion des personnes étrangères par la France. En tant que personnes minorisées, nous n’avons pas envie de défiler à côté de personnes qui sont directement responsables, ou en tout cas qui ne s’opposent pas, à ces traitements qui touchent vraiment nos communautés. Quand on parle d’expulsion, on parle de question de vie ou de mort. 

Nous étions donc pour une Pride où tout cela n’avait pas sa place mais ces désaccords n’ont pas forcément été entendus ni pris en compte. Finalement, l’Inter-LGBT a lancé sa propre date entre deux réunions, sans qu’on ait conclu ces discussions. Du coup, certains collectifs ont décidé de monter une Pride alternative qui est devenue la Pride Radicale.

Notre engagement politique, c’est littéralement une question de vie ou de mort. Et l’urgence, c’est aussi de survivre face à la matérialité des appareils de l’État. C’est une violence extrême et qui, pourtant, est invisible.

Alycia, membre du collectif la MIF
Jan Malaise @parislovetrash

Cette année, la Pride Radicale a lieu durant le 2ème tour des élections législatives, date à priori déterminante pour le prochain mandat. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis du système électoral ?

On ne refuse pas la présence de partis politiques juste pour dire qu’on est radicaux. Nos rapports aux élections sont divers au sein de l’organisation, en fonction de nos parcours respectifs. On n’est pas contre le vote, on est pour le libre arbitre des gens. L’année dernière, on nous a reproché que la Pride soit organisée un jour de vote alors que nous avions communiqué en amont pour dire aux gens qui souhaitaient voter d’y aller avant la marche ou de faire des procurations. Certaines personnes de l’orga l’ont d’ailleurs fait. 

Il est aussi important de dire que nous n’avons pas toustes le droit de vote, même au sein de l’orga de la Pride Radicale, car ce droit de vote est conditionné par la nationalité. Et parmi les gens qui ont le droit de vote, certain·e·s décident de s’abstenir, ce qu’il faut respecter et reconnaître comme acte politique. Chacun·e est libre de faire ce qu’iel veut mais le consensus est que l’engagement politique ne peut pas se limiter à se saisir des urnes et à s’investir dans des partis politiques. C’est illusoire de se reposer sur les représentant·e·s politiques pour nous sauver et cela peut même être dangereux. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

Au-delà du système de vote, quelles relations entretenez-vous avec l’appareil d’Etat ? 

On part du constat que l’administration, la police ne sont pas là pour nous protéger mais plutôt pour nous contrôler : contrôler nos corps, nos vies. L’Etat est souvent un grand mot flou mais en réalité c’est très concret : les frontières et la police mutilent et tuent. Les préfectures refusent les demandes de titres de séjours et privent les personnes de leurs droits. Les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH) refusent le statut d’invalidité et donc les aides qui y sont associées. Le système psychiatrique maltraite et ségrégue les personnes. La santé est difficile d’accès en raison des suppressions des lits d’hopitaux et les personnes étrangères ont du mal à accéder à une couverture sociale en raison de la restriction de l’aide médicale d’Etat accordée aux sans papiers. De manière générale, les services aux guichets de l’Etat sont toujours des lieux de discirmiations en tant que personne LGBTQIA+, handi, racisée, séropo, travailleureuses du sexe, grosse, migrante… 

Ça, c’est la réalité aujourd’hui donc qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Ce rapport de force se pense au présent et la Pride Radicale essaye de le mener par sa marche. Notre engagement politique, c’est littéralement une question de vie ou de mort. Et l’urgence, c’est aussi de survivre face à la matérialité des appareils de l’État. C’est une violence extrême et qui, pourtant, est invisible. Elle ne se nomme pas comme telle et n’est pas pensée comme telle. C’est aussi ça le sens de l’engagement pour nous : créer des réseaux de solidarité entre nos collectifs qui ont des périmètres ou des modes d’action divers. Je pense que c’est aussi comme ça qu’on peut établir un rapport de force : en se solidarisant les un·e·s les autres et en ayant une démarche d’urgence et de survie qui est très nécessaire et très concrète.

Vous êtes aussi un collectif anti-carcéral, la connexion n’est pas forcément évidente avec les enjeux LGBTQIA+. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

La police et la justice ne nous protègent pas du système cis-hétéro patriarcal, de la domination blanche. Ce sont des organisations qui maintiennent un ordre en place. Et cet ordre repose sur l’oppression des minorités. Donc on voit bien les discriminations qui sont présentes dans ce système : les pauvres, les personnes racisées sont plus susceptibles d’être emprisonnées car tout cela est basé sur un système répressif et punitif dans lequel l’Etat met des moyens démesurés. Il y a de l’argent pour la surveillance et pour l’emprisonnement. Cet argent est placé au détriment de mesures qui seraient vraiment au service de nos communautés. Des mesures d’accompagnement, d’accès aux droits des logements… C’est aussi pour ça qu’on revendique cette année l’arrêt des comparutions immédiates, l’arrêt des gardes à vue pour les personnes mineures, l’abolition des centres de rétention administrative. Pour les personnes LGBTQIA+, il n’y a pas si longtemps, on pouvait être emprisonné en France parce qu’on était gay. Aujourd’hui, même si on parle de droit qui n’est pas un outil neutre, la France ne respecte pas les conventions internationales sur l’emprisonnement des personnes trans. Ou bien les personnes trans sont dans des endroits spécifiques (il y en a qu’un seul en France), ou bien elles sont à l’isolement soit disant pour leur protection. 

On est là pour lutter ensemble, c’est illusoire de penser qu’on peut viser l’émancipation de toutes les personnes LGBTQIA+ sans prendre en compte la diversité des systèmes de domination et de nos réalités.

Alycia, membre du collectif la MIF

Quel bilan dressez-vous de la première édition ? 

Je pense que l’année dernière était un moment fort car malgré le stress et les tentatives de déstabilisation, on a vraiment beaucoup parlé de l’initiative. Malheureusement nos ennemis ne sont pas que la droite et l’extrême droite. On a été beaucoup critiqué, beaucoup diffamé. Mais peu importe parce que malgré cela, 30 000 personnes ont participé à cette marche. Je pense que c’est la preuve qu’il y a une réelle volonté de nos communautés de repolitiser ces moments-là et de ne pas laisser les autres parler à notre place et déformer nos réalités. 

Jan Malaise @parislovetrash

Dans cette perspective, comment envisagez-vous cette deuxième marche ?

La marche 2022 s’inscrit dans le même esprit. L’objectif est l’émancipation de toutes les personnes minorisées qui subissent les systèmes de domination. Il s’agit de ne pas laisser sacrifier certaines de nos communautés au prétexte de diviser la lutte. On est là pour lutter ensemble, c’est illusoire de penser qu’on peut viser l’émancipation de toutes les personnes LGBTQIA+ sans prendre en compte la diversité des systèmes de domination et de nos réalités. Par exemple, si on oublie les questions migratoires, on laisse littéralement des adelphes crever. On est dans un contexte de conflits internationaux, de renforcement des frontières qui sont meurtrières et on soutient toutes les personnes migrantes. On revendique la régularisation de toustes les sans-papiers, l’accès à la santé et aux droits communs pour toustes et l’ouverture de voies migratoires sûres pour qu’il y n’ait plus de morts en arrivant en Europe. 

Voir Aussi

On est aussi anti-impérialistes parce qu’il y a une gestion néocoloniale des territoires d’Outre-mer. Cela s’est vraiment vu dans la gestion de la crise sanitaire. Dans ces territoires, il y a une répression qui est assez extraordinaire par rapport à ce qui se passe en métropole. Les forces armées ont été déployées en 48h pour réprimer les manifestants, là où l’État a mis plusieurs semaines à amener de l’oxygène pour les gens qui étaient en réanimation. C’est aussi ça qu’on a envie de dénoncer. 

On voit que des personnes viennent de loin, hors de Paris, parce qu’elles savent qu’il y aura des choses mises en place au niveau de l’accessibilité, même si encore une fois, ce n’est jamais parfait. 

Alycia, membre du collectif la MIF

Vous revendiquez et tentez d’organiser une marche inclusive, qu’est-ce que cela implique concrètement pour vous ?

De manière plus globale, l’enjeu est celui de l’accessibilité de nos espaces militants et cela déborde tout à fait du cadre de la marche. L’idée, c’est de rendre la Pride Radicale la plus accessible possible. On essaye de le faire avec nos moyens humains et nos moyens financiers qui sont très limités. Paris n’est pas la ville la plus accessible du monde non plus donc on sait que notre marche ne pourra jamais être 100% accessible. Penser l’inclusivité et l’accessibilité de la marche pour les personnes à mobilité réduite par exemple, c’est trouver des parcours sans pavés, sans dénivelés, il faut que la marche soit assez lente, le parcours pas trop long, proche de la station de métro accessible, louer des fauteuils roulants… Mais l’accessibilité est aussi pensée au niveau des discours qui s’y tiennent. C’est pour ça qu’il y a des interprètes en langue des signes française qui sont présents le jour de l’événement. On a traduit les prises de paroles et l’appel dans plusieurs langues, et ce sera également le cas cette année. On ne peut jamais être exhaustif et complètement inclusif mais on essaye que cela fasse partie de notre réflexion et de notre démarche. On voit que des personnes viennent de loin, hors de Paris, parce qu’elles savent qu’il y aura des choses mises en place au niveau de l’accessibilité, même si encore une fois, ce n’est jamais parfait. 

L’année dernière, vous avez été critiqué sur le choix de séparer les cortèges : groupe antiraciste en tête, devant, le cortège lesbien, handi… Que répondez-vous à ces critiques et comment expliquez-vous ce choix?

Je pense que l’on peut améliorer notre communication parce qu’il y a des choses qui ont été mal comprises, notamment sur le cortège calme. Il a pu être confondu avec un cortège handi et, du coup, des personnes ont pu sentir l’injonction de rester là alors que ça ne leur semblait pas forcément pertinent. Je pense qu’il faut qu’on parle de ces problèmes, qui relèvent de notre responsabilité. Par contre, sur la question de faire des cortèges par communautés notamment la nécessité d’un cortège calme, d’un cortège lesbien, l’idée c’est de visibiliser des problématiques spécifiques, des revendications spécifiques, des enjeux spécifiques. Ce sont aussi des personnes qui sont invisibilisées dans d’autres espaces, y compris les espaces militants. Si le cortège antiraciste était devant, c’est que l’antiracisme n’est pas ou peu pris en compte dans d’autres événements qui sont plus connus et qui ont plus de visibilité.

La Pride Radicale a été créée deux ans après la première Pride des banlieues. Comment vous situez-vous par rapport à leurs problématiques au sein de la Pride Radicale ? Quel sens donnez-vous au besoin de créer d’autres espaces de revendication endehors de celui de l’Inter-LGBT ?

Là où je pense que nos deux Marches sont différentes, c’est que la Pride des banlieues, comme son nom l’indique, porte des revendications qui sont spécifiques aux problématiques des habitants des quartiers populaires. Après, effectivement, nous, on se retrouve largement dans ces revendications parce qu’elles ne font pas l’impasse sur les questions de classe et de race au sens sociologique du terme. Pour nous, c’est un événement politique qui fait écho à plein de choses qui nous semblent importantes. Iels portent quelque chose que nous on ne porte pas : sortir de la centralité parisienne des mouvements militants et investir d’autres espaces géographiques, en particulier ceux où on habite aussi. En fait, ceux où nos communautés vivent aussi, et ça, on a un peu tendance à l’oublier dans les événements à Paris.

Ces démarches se complètent et se parlent entre elles. Plusieurs des associations ou collectifs d’organisation de la Pride radicale sont également impliqués dans la Pride des banlieues. Nos objectifs se rejoignent sur beaucoup de points. On peut vraiment se réjouir que des initiatives comme celles-ci, au pluriel, existent. C’est la preuve qu’on est nombreux et nombreuses en tant que personnes LGBTQIA+ à ne plus vouloir que nos revendications et nos réalités soient silenciées ou déformées par d’autres. C’est aussi pour cela qu’il est important de créer des espaces de revendications en-dehors de ceux de l’Inter-LGBT : rappeler qu’on existe, qu’on a des choses à dire et des revendications à porter.


L’événement Facebook – Suivre la Pride Radicale

Image à la Une : © Chang Martin

Voir les commentaires (0)

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.