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Marouane Bakhti : un auteur arrive au monde

Marouane Bakhti : un auteur arrive au monde

Marouane Bakhti manifesto 21
Pour leur premier ouvrage, les Nouvelles Éditions du Réveil publient Comment sortir du monde de Marouane Bakhti. Un roman d’une sensibilité et d’une plume poétique rares qui explorent le désir gay, le métissage, la famille et les errements d’un jeune homme en devenir et qui, pendant longtemps, semblait ne pouvoir être entendu que par la nature et les animaux. Jusqu’à aujourd’hui.

Il y a de ces écritures dont les premières phrases suffisent pour sentir que l’on a affaire à quelque chose d’un peu « hors du monde » comme lorsque l’on découvre Mathieu Riboulet (Le corps des anges), Abdellah Taïa (Celui qui est digne d’être aimé) ou, plus récemment, Juliette Rousseau (La vie têtue). Quand la langue d’un·e auteurice nous accueille et nous aspire avec autant de force qu’elle nous résiste, parce qu’elle exige notre participation active, parce qu’elle déclenche en nous un tourbillon d’émotions qui nous fait explorer une partie de nous-même, des autres et du monde. Le degré avancé d’écoute et de sensibilité de ces auteurices  pour les méandres de la vie nous fait toucher du doigt le vrai et le beau. 

Marouane Bakhti manifesto 21
© Jan Abellan

Marouane Bakhti fait une entrée éblouissante parmi cette catégorie rare d’écrivain·es. À la fois lyrique et troublant, Bakhti écrit comme un murmure et nous partage une intimité pudique. Il donne à voir un récit tout en fuite, en recherche et en doute dont la tension réside entre la colère bouillonnante du personnage et sa retenue intérieure à la fois contrainte et stratégique. Entrer dans le monde de Bakhti, c’est faire la rencontre directe avec une plume bouleversante et poignante dont la délicatesse sonne comme une main tendue où le·la lecteurice peut se nicher. D’ailleurs, on notera l’absence de point d’interrogation à la fin du très beau titre Comment sortir du monde. Est-ce parce qu’il s’agit en partie d’un récit d’émancipation, d’un guide pour s’imposer dans le monde lorsqu’on en est exclu·e ? Et n’existe-t-il vraiment qu’un seul monde pour l’auteur ? Duquel parle-t-il ?  Le monde intérieur de la psyché humaine ? Celui de la nature environnante ? Le monde de la blanchité coloniale avec lequel le personnage se débat comme un chewing-gum collé à sa chaussure ? Le monde des vivant·es ou celui de ses ancêtres ? Peut-être tous à la fois. Ces mondes dialoguent et deviennent, en alternance, des lieux de refuge, de désir, de violence, d’exploration, de deuil… mais tous façonnent le devenir au monde du personnage. Ce voyage intérieur est haletant alors que, ironiquement, nous connaissons déjà la fin de l’interrogation existentielle qui traverse le narrateur pendant la majeure partie du récit : que vais-je faire de ma vie ? Le livre en est la réponse : écrire, évidemment.

Plutôt que d’anticiper déjà, comme les journalistes ont la manie de faire, sur ce qu’un deuxième roman pourrait accomplir, contentons-nous de savourer l’extrait suivant. Il donne à voir l’étendue de la beauté du livre dont on pourra s’émouvoir encore pendant un moment :

Dans Paris, l’odeur des parcs la nuit. Je ne sais pas si les hommes que je croise veulent mon désir, ma mort ou le fond de mes poches Je vois des têtes de monstres en creux sur leur visage. 

Mais ce que je veux c’est l’humus et les feuilles.
Les feuilles brunes qui pourrissent et font dans l’air revenir les souvenirs.
C’est l’humide des arbres qui s’acharne à tenir dans l’obscurité et démange le reste de mes souvenirs et l’énigme de ma présence.
De gros cratères noirs apparaissent dans le ciel de feuillages et on ne voit pas les étoiles.
Oui, c’est bien Paris.

Comment sortir du monde ?
Comment ne plus les entendre, ne plus les voir ? 

Ces écrans qui virtualisent mes pensées, comment m’en débarrasser ?
Me déconnecter des injonctions intérieures comme des réseaux d’informations putrides où se roulent dans la boue les mecs trop musclés et les fascistes acharnés.

Comment sortir du monde ?
Comment pardonner et ordonner sa vie et avancer vers le soleil ?

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Le brouillard, je marche au-dedans et je voudrais qu’il s’estompe.


Marouane Bakhti, Comment sortir du monde, Les Nouvelles Éditions du Réveil, 135 pages, 18€.

Relecture et édition : Anne-Charlotte Michaut et Apolline Bazin

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