Du dancehall au baile funk jusqu’aux scènes les plus secrètes du gqom sud-africain ou du tarraxo : avec des artistes invité·e·s des quatre coins du monde et un crew de danseur·se·s surmotivé·e·s, le collectif marseillais Maraboutage connaît la recette magique pour envoûter les dancefloors. Rencontre dans l'(afro) futur.
Maraboutage Airlines. Les lettres lumineuses tranchent avec l’épaisse moiteur du club. Record de température pour un mois de décembre à Marseille. Il n’est même pas deux heures du matin que sur scène les danseur·se·s ont envoyé valsé leur ceinture de sécurité. Aux manettes, la Londonienne Tash LC, boss du label Club Yéké, navigue entre afro-jazz, gqom et global bass. Un décollage maîtrisé, pour inaugurer la saison du collectif Maraboutage au Makeda (ex-Poste à Galène) – 6 mois, 6 dates, 6 « destinations ». Welcome on board.
La thématique du voyage était toute trouvée : Maraboutage est une histoire d’itinérance. Né à l’été 2017 d’une série d’apéros dans un bar sur le Vieux Port et de l’envie de deux copains de « proposer quelque chose de nouveau musicalement », le projet marque une escale rue Sainte à (feu) l’U.Percut à l’occasion d’une résidence de soirées « Boogie Boubou » qui ancre Maraboutage dans le paysage festif marseillais. On a des souvenirs encore humides de ce sous-sol enflammé devant le nouveau talent français de la favela trap, Amor Satyr. S’autorisant quelques détours comme cette date à l’Embobineuse en avril 2018 avec le sud-africain Citizen Boy et les collectifs Sidi&co et Gqomunion, l’équipe Maraboutage s’encanaille désormais pour un temps à la Plaine.
L’identité visuelle est soignée et le line-up, toujours dépaysant. Kizomba, baile funk, dancehall : des sons qui font déjà se déhancher les jeunesses urbaines de par le monde, et qui commencent à trouver doucement leur place dans la nuit phocéenne. « Avec une ville aussi multiculturelle, je ne comprends pas pourquoi Marseille a été aussi longtemps marquée d’une empreinte techno, punk, rock. Il n’y a eu aucune scène véritablement émergente dans les trente dernières années. C’est ouf. » Bob vissé sur sa crinière, Geo s’emporte aussi rapidement qu’il peut éclater de rire ou s’enthousiasmer sur la dernière sortie youtube d’un petit producteur brésilien.
Revendiquer l’afrofuturisme
Du hip-hop, le cofondateur du projet Maraboutage a dérivé vers la soul, la ghetto house, la minimal, avant de s’orienter plus radicalement vers l’afrofunk et les sonorités traditionnelles d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Orient. « Fela Kuti, ça a été la plus grosse gifle de ma vie », se souvient-il. L’idée de départ, avec son acolyte et directeur artistique Ben, c’était ainsi « d’ouvrir le spectre » de ce qui s’écoutait sur les pistes de danse marseillaises, puisant « des racines jusqu’à soundcloud : revendiquer l’afrofuturisme ».
Un terme qui évoquera l’esthétique cosmique et psychédélique des années 70 portée par des Sun Ra ou Parliament-Funkadelic, mais que les deux sudistes remettent au goût du jour : « C’est un blend de cultures, un nouveau mouvement musical mondial. Tu vois des communautés blanches occidentales être attirées par les sonorités chaudes du Brésil, de Tanzanie ou d’Ouganda, par leurs influences passées ; en échange, des artistes là-bas seront vachement impressionné·e·s par la culture européenne punk, gothique ou gabber. À la fin, ça crée des musiques home-made assez underground, au départ en dehors de la sphère clubbing. Des remixes de baile à 150 bpm qui font référence à un ancien morceau de bossa, parfois sur un ordinateur pourri avec des enceintes bluetooth. L’afrofutur, c’est tout ce mélange. »
Depuis peu, au gré des rencontres, le duo de DJ s’est entouré d’une véritable « famille » de danseur·se·s et performeur·se·s. Paré·e·s d’habits de lumière toujours plus incroyables sous des noms de scène scintillants, Sun, Scorpio Qveen ou Mars Masala participent de l’ambiance bouillante qui fait désormais la signature des événements Maraboutage. « Je suis arrivé dans le collectif avec ce concept d’amener la danse en soirée, d’offrir cette expérience aux gens de se laisser aller, de se désinhiber, de laisser sur le dancefloor tout ce qu’iels ont accumulé la semaine et de repartir avec de bonnes énergies. Et surtout, avec ce sentiment d’amour propre que j’aime exprimer dans la danse », se livre Henri aka Sun, créateur de contenus le jour et twerkeur fou la nuit.
Pour « Maraboutage Airlines », la team a profité de l’agencement du Makeda pour placer les platines sous la mezzanine, dissimulant ainsi le/la DJ, afin de laisser la scène aux performeur·se·s et au public. Une « fête 360 » qui offre un espace de liberté d’expression qui manque parfois dans les lieux de nuit étriqués du centre-ville.
L’amour et la révolution
« Il s’avère que dans la culture africaine et vaudou, la danse et la musique sont les plus grands moyens utilisés pour permettre aux gens de se libérer, continue Henri. Personnellement, c’est pour ça que j’ai commencé cet art – quand j’allais en soirée et que je voyais des bandes de meufs toutes timides en apparence, d’un coup se mettre à twerker comme si on était dans un clip, c’est magique ! »
Parti d’un délire bon enfant de collection de tickets de marabouts, l’univers « Maraboutage », du choix des sets jusqu’à la comm’, peut interroger : ne flirterait-on pas avec le risque d’une appropriation culturelle ? « Au début on trouvait le nom sympa, un peu comique. Mais c’est sûr que c’était osé, il y avait un côté blague qui n’était pas maîtrisé et qui peut faire mal sans qu’on s’en rende compte. Très rapidement, on y a pensé. Chemises hawaïennes, musique afro, est-ce qu’on ne va pas droit dans le mur ? Maintenant on rebondit, on évolue, on le porte d’une autre façon », concèdent Ben et Geo.
À quoi Henri renchérit : « J’aurais pu avoir ce jugement moi-même, mais en allant aux soirées, j’y ai été charmé par un respect de la culture, et une appréciation et une recherche dans les mixes. J’ai vu leur collection et leurs connaissances musicales. Il y a appropriation quand on voit quelque chose et qu’on se dit “ça a l’air cool j’ai envie de faire ça”. Là en l’occurrence, la démarche est sincère. »
« Love is the message ! », se marrent-ils en tirant sur une cigarette bien longue. Dans une ville rendue difficile par le clientélisme politique et le manque d’investissement public, la famille Maraboutage aspire à se construire comme un mouvement pacificateur et fédérateur, une espèce de « contre-force ». « Avec cette notion de redistribution, d’unification, et de révolution. Changer la manière de penser complètement », ajoute Henri, d’un calme qui teinte toutes ses phrases d’une étrange sagesse. Redistribution d’amour mais aussi d’argent, car il en faut bien, entre tous les membres du collectif, les artistes et collaborateur·rice·s, ou à des fins caritatives, comme lors de la soirée de soutien qu’ils ont organisée pour l’association SOS Méditerranée en juin dernier.
Après Londres, c’est à Lisbonne qu’on s’envole ce samedi 25 janvier pour la deuxième « Maraboutage Airlines » avec les redoutables DJ Lycox et DJ NinOo de l’écurie portugaise Principe, précédés de la jeune étoile locale Mystique. Atmosphère kuduro et tarraxinha sensuelle au programme. On poursuivra le périple dans les mois à venir jusqu’à Milan avec la maison Balera Favela le 15 février, ou encore la tueuse MC Yallah tout droit venue de Kampala en avril.
Date à noter pour nos ami·e·s parisien·ne·s : le crew honorera la capitale aux côtés du collectif anglais Hipsters Don’t Dance, sur l’invitation du magazine Pan African Music à la Java le 21 février. Avant qu’on les retrouve à domicile, à l’incontournable Bon Air Festival en mai prochain. Puis de nouveaux projets de résidence, de label et autres teufs sauvages estivales à venir… Objectif 2020 ?
Mettre Marseille sur cette putain de map !
Suivre Maraboutage : Facebook – Instagram – Soundcloud