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LYZZA : « Je m’identifie aux moustiques parce que personne n’a envie qu’ils soient là »

LYZZA : « Je m’identifie aux moustiques parce que personne n’a envie qu’ils soient là »

L’artiste brésilienne LYZZA voit grand avec la sortie de sa nouvelle mixtape MOSQUITO, découverte le 16 septembre chez Big Dada. Accompagné d’un court métrage éponyme réalisé par Enantios Dromos, LYZZA présentera son projet au public français le 21 octobre à la Station Gare des Mines et au festival Girl’s Don’t Cry le 26 novembre.

Après quatre EP, de nombreux singles et une place de DJ affirmée dans les plus grands festivals européens, LYZZA s’essaye au format album. Productrice, performeuse, chanteuse et maintenant actrice, celle qui ne se voyait pas comme une grande star dans sa chambre d’ados dévoile désormais l’étendue de son discours artistique sur nos écrans et dans nos oreilles. Rencontre.

LYZZA par Pe Ferreira

Manifesto XXI : Tes derniers concerts en France remontent à la Station en 2019 et, plus loin, aux Transmusicales de Rennes en 2018. Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis ? 

LYZZA : Je pense que le premier grand changement, c’est que je me concentre maintenant sur les performances live. Cela m’a pris du temps d’admettre que la manière dont j’ai envie de m’exprimer, c’est via mes propres productions. Je ne fais que du live depuis la fin du COVID. J’ai l’impression que ça me permet d’établir une connexion plus proche avec les gens, je leur parle vraiment, avec de vrais mots !

Je regardais avant notre entrevue une vidéo de ton DJ set au Sonar en 2018. Est-ce que tu pensais déjà arrêter le live à ce moment-là ?

J’ai toujours porté une attention à la manière dont je communiquais avec le public, à comment créer une atmosphère lors d’un show. Je pense que c’est pour ça que j’ai commencé à me sentir loin lors de mes DJ set. J’ai eu l’impression d’être face à un mur. Même si je produisais depuis 2016, et que je n’avais rien sorti depuis 2019, je me suis mise à me demander « pourquoi je ne me sens pas plus proche des gens ? Pourquoi je n’arrive pas à raconter d’histoires ? » C’est parce que je n’utilisais pas ma voix ! Il y a plein de DJ qui sont capables de raconter des histoires avec de la musique produite par d’autres, mais ce n’était pas mon cas. En tant que productrice et chanteuse, le DJing ce n’était pas assez pour pouvoir m’exprimer.

Est-ce que MOSQUITO, le court métrage, est la suite logique de cette évolution ?

C’est quelque chose que j’aime faire ! Je suis très créative et il me semble que la musique et l’image vont très bien ensemble. L’EP MOSQUITO a un concept très clair, c’est donc venu assez naturellement. J’avais envie de développer les thématiques qui y sont abordées de manière visuelle. 

Pourquoi as- tu choisis de travailler avec Enantios Dromos, le réalisateur du film ? 

Enantios Dromos et moi sommes de très bons ami·e·s. Quand iel a déménagé au Royaume-Uni en 2019, j’avais une place qui se libérait dans ma coloc, donc je lui ai proposé de venir habiter avec moi. Iel est arrivé·e avec Pe Ferreira, le photographe de mes covers d’albums. Iels sont aussi brésilien·nes et j’ai senti une bonne connexion avec elleux. Je pense que le Brésil est un pays spécial quand on parle des arts, de la communication, mais aussi de la construction des identités de genre et de race. C’est un pays chargé d’histoire. Ce dénominateur commun, venir du Brésil, nous a beaucoup rapproché·e·s, dans un endroit comme Londres. C’est donc venu naturellement de retourner au Brésil à trois et de travailler sur ce projet de film.

“Je pense que le Brésil est un pays spécial quand on parle des arts, de la communication, mais aussi de la construction des identités de genre et de race.”

LYZZA

Dans la première scène du film MOSQUITO,  on te voit en train de danser plus jeune dans ce qui semble être ta chambre d’ado. Est-ce que la LYZZA ado avait envie de devenir artiste ?

Non, je pense que je n’y avais pas pensé plus jeune. Je sais que j’ai toujours aimé la musique, mais je ne pensais pas en faire mon métier. Ce n’était même pas conscient à ce moment-là, mais je n’avais pas de rôles modèles dans ma famille ou mes ami·e·s. Quand on a déménagé aux Pays-Bas, ma mère a passé un temps à être femme de ménage. Mon beau-père au Brésil travaillait dans l’informatique, ils ne sont pas artistes. Ce n’était donc pas du tout dans mon champ des possibles. 

Je me souviens que mon père biologique avait une platine vinyle, mais il ne l’utilisait jamais. Il y avait aussi des figurines en porcelaine d’un groupe de jazz noir, mais il ne m’en a jamais parlé. C’était juste là, chez moi. 

En déménageant en Europe, je suis arrivée dans une société très occidentale, mon entourage n’était plus le même. Au Brésil, il y a beaucoup de pauvreté, et une grande différence entre les riches et les pauvres, il n’y a pas de classe moyenne. Dans ces conditions, je ne pense pas que tu puisses te projeter en te disant “Je veux faire de l’art”. Ce n’est pas admis par plein de gens, car tu vis dans une société qui est concentrée sur le fait de subvenir à ses besoins vitaux.

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Grandir en Europe m’a ouvert à de nouveaux horizons et j’ai commencé à faire de la musique. J’écoutais de l’indie pop : c’était le genre de musique électronique le plus alternatif à ce moment-là ! Des groupes comme Two Doors Cinema Club, Hyphen Hyphen… J’ai toujours fait des playlists et des mixtapes pour mes potes, je téléchargeais les musiques et mettais sur cassettes en me disant « j’ai tellement bon goût ». Un jour, je suis tombée sur un atelier de DJing qui coûtait 50 euros et je me suis dit pourquoi pas ! C’est à ce moment-là que j’ai eu mon premier ordinateur, j’ai appris à utiliser des CDJ et voilà. Je suis tombée dans la musique assez naturellement. Je ne voulais pas être riche et célèbre, je pense que j’ai quelque chose d’important à exprimer, sur la manière dont je pense le monde. 

Je n’ai pas passé beaucoup de temps à danser devant mon miroir quand j’étais ado, mais je le fais beaucoup maintenant, sur mes chansons !

MOSQUITO : « The Movie »

Il me semble que ta musique parle beaucoup du rejet…

Je ne pense pas que ça soit du rejet, mais plutôt de l’incompréhension. Il me semble que le rejet est un choix très actif, alors que, dans mon cas, je pense que les gens s’interrogent et me trouvent bizarre, n’arrivent pas à me mettre dans une case. Je ne peux pas dire que je me sens rejetée par l’industrie musicale, car je me suis sentie si connectée avec tellement de gens ces dernières années. Mais j’ai remarqué qu’en général, les gens n’arrivent pas très bien à saisir ce que je fais. Pourtant, je ne suis pas si bizarre ! Je produis juste ma musique et les gens me demandent « mais qu’est-ce que c’est que ça? LYZZA ? ». Je ne sais pas, de la techno alternative, mélangée à du reggaeton ? C’est très drôle. Ma musique parle du fait que personne ne sait quoi faire de moi, ni ce que je fais là. (rires) Mais je pense qu’elle touche les gens, même ceux qui ne veulent pas que je sois là. e m’identifie aux moustiques parce que personne n’a envie qu’ils soient là, on ne sait jamais ce qu’ils font là.

À la fin du film, tu donnes une carte de visite MOSQUITO à la personne accoudée à côté de toi au bar. LYZZA, si tu pouvais choisir n’importe qui, qui recruterais-tu dans le MOSQUITO gang ?

Oh mon dieu ! Je ne sais pas… Honnêtement, toutes les personnes qui font partie d’une diaspora, les personnes queer racisé·e·s. La diaspora est une chose importante pour moi, car il me semble que nous avons des vécus communs, qui viennent avec le fait de ne pas vraiment savoir où est ta place, d’où tu viens, etc. Cela fait partie des privilèges dans l’identité, de savoir d’où tu viens. Ce questionnement est aussi celui de la communauté queer, savoir que tu peux être à ta place quelque part. Tout le monde peut rejoindre le Mosquito gang, si tu sens que tu as besoin d’une maison !

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