Après des années passées à travailler pour des grandes maisons de prêt-à-porter, de Chloé à Bottega Veneta, en passant par Dries Van Noten, Christelle Kocher décidait en 2015 de créer sa propre marque. Avec un goût prononcé pour l’art de la rue et une curiosité pour la youth-culture, la créatrice souhaitait ancrer Koché dans son époque et l’imprégner d’une énergie communicative. Sur le catwalk – souvent ouvert au public – les mannequins sourient, s’éclatent et surtout, font vivre le vêtement à travers des personnalités fortes. Les muses de Koché sont, à l’image de la marque, des vecteurs de joie. Directrice artistique de la Maison Lemarié depuis 2010, Christelle a à cœur d’incorporer un peu des savoir-faire si précieux et uniques à la France à Koché, par le biais d’embellissements et de pièces sophistiquées. En réunissant le monde du sportswear avec celui du luxe, elle réussit à proposer des silhouettes innovantes, pleines de liberté et de mouvement. On a pu s’entretenir avec la créatrice et son collaborateur Julien Lacroix.
Christelle, tu as créé Koché en 2015 mais tu travaillais déjà depuis 2010 à la tête de la Maison Lemarié. À quel point as-tu été influencée par ton expérience chez Maison Lemarié dans la création de ta marque ?
Christelle : Il y a eu une certaine influence mais mon travail chez Maison Lemarié a toujours été accessoire. J’ai travaillé pendant treize ans en tant que styliste dans des grandes maisons de mode. Après, en parallèle de mon poste de styliste chez Bottega Veneta, j’ai commencé à collaborer avec la Maison Lemarié. C’est sûr que ça a eu une influence. L’artisanat et l’excellence de la couture française a été quelque chose que j’ai voulu intégrer à Koché. Je pense que je me suis surtout servie de ce que j’ai appris, ce que j’ai perfectionné durant toutes mes années de styliste chez Chloé ou Dries Van Noten où ce savoir-faire était déjà présent. C’est un peu un mix de tout ça que j’apporte à Koché avec ma passion pour la street-culture, la youth-culture et une certaine façon décomplexée de mélanger les codes.
Quand tu es sortie de la Saint Martins en 2002, tu avais déjà l’envie de créer ta propre marque ?
Christelle : L’envie était déjà là mais pour moi, tout est une question de timing. Je voulais me constituer une expérience, un réseau, acquérir certaines compétences et lancer ma marque quand j’estimais que j’étais prête. Surtout je voulais être capable de la lancer de manière indépendante. En 2015, toutes ces conditions étaient réunies et ça a été un moment où je sentais que j’avais quelque chose de très personnel à proposer. J’avais aussi une vision globale sur le business, la production, la communication. C’est important d’avoir une vision à 360 degrés du projet que l’on veut lancer.
© Frédérique Massabuau & Mehdi Meddaci
Lorsque tu es rentrée chez Maison Lemarié, tu as ressenti un vrai défi de la dépoussiérer et ancrer les savoir-faire historiques dans une contemporanéité ?
Christelle : C’était tout le challenge de ma mission. J’ai été approchée par Virginie Viard, le bras droit de Karl Lagerfeld. Elle connaissait ma passion pour la couture et le flou. Mon degré de technicité aussi. Elle m’a confié la mission de donner un nouvel élan à cette maison d’art qui est très intéressante car à l’intérieur il y a trois ateliers – un atelier de couture, un atelier de fleuriste et un atelier de plumassier. Le groupe Chanel m’a donné carte blanche. À mon arrivée il y avait 18 personnes, aujourd’hui on est 80. Ça a été très important pour moi d’avoir les mains libres, de pouvoir monter le projet comme je voulais. J’avais à cœur de mélanger les différents parcours, les différentes personnalités. Avant, l’entreprise était très franco-française avec des gens issus des mêmes écoles et maintenant les employés viennent de partout dans le monde avec des parcours atypiques. Ce changement a amené beaucoup de richesse. On travaille évidemment avec Chanel mais on collabore aussi avec Koché. J’insiste pour que les collaborations se fassent non seulement avec des grandes maisons de luxe mais aussi des petites marques comme la mienne ou Pigalle qui font que la maison reste vivante et ancrée dans son époque. J’ai amené une façon d’industrialiser ces savoir-faire. Il y a une partie qui est très artisanale mais on fait aussi des séries de 300 pièces. On s’adapte en fonction du projet, que ce soit une pièce pour la haute couture qui nécessite 2000 heures de travail ou un embellissement partiel qui sera facile à industrialiser. C’est important que les vêtements puissent être portés.
C’est le plus important finalement ?
Christelle : Il y a les deux pendants dans ce genre de maisons. On doit répondre à une demande du prêt-a-porter et s’assurer que le travail que l’on fait est industrialisable, mais aussi, au moment de la haute couture, on doit montrer nos savoir-faire à la manière d’une exposition. Avec Chanel, on a des budgets illimités sur des shows avec des pièces qu’on ne pourra peut-être jamais refaire. C’est une vitrine de l’excellence française. Ce qu’ils font dans ces maisons est unique au monde.
Revenons-en à ta propre marque. Ce qui m’a frappée chez Koché, que ce soit sur les défilés ou les campagnes, c’est ce débordement de joie, de couleurs, de vie. Tu avais une envie d’apporter un peu plus d’humanisme à la mode ?
Christelle : C’était essentiel dans mon projet de départ. Créer Koché c’était aussi une manière de réunir différents mondes et briser des barrières. En tout cas, je voulais essayer d’interroger le système répétitif de la mode, faire les choses différemment. Evidemment, j’avais la volonté d’apporter beaucoup de joie, de plaisir et d’énergie. J’ai canalisé mes relations avec la culture underground et la jeunesse avec une certaine linéarité. Je maîtrise entièrement les codes de l’institution, la couture.
Je fais partie du calendrier officiel de la mode depuis le début mais en même temps, je travaille avec Julien à rendre nos défilés très spontanés. On a mélangé les invités aux passants, on a laissé les défilés ouverts. On veut qu’ils soient visibles par des étudiants, des curieux… Amener une certaine spontanéité dans le public mais aussi dans le casting. Je mélange des mannequins professionnelles avec un street-casting de personnalités qui font Paris et d’autres filles que j’ai rencontré à New York ou Tokyo.
© Frédérique Massabuau & Mehdi Meddaci
Gypsy Sport a aussi organisé son défilé dans la rue en septembre dernier. Pourquoi penses-tu que ça a pris autant de temps pour que les défilés descendent dans la rue ?
Christelle : Je pense que ça dépend des périodes dans la mode. Il y a eu des époques où il y avait une certaine excitation comme avec Jean-Paul Gaultier dans les années 1980. Lui, il faisait des défilés ouverts rue Saint-Denis avec une vraie joie. Tout s’est un peu professionnalisé avec l’arrivée des gros groupes. Je pense qu’en étant une marque jeune, c’est important d’avoir un projet qui répond à sa génération et propose une nouvelle façon de voir la mode.
Marissa Seraphin, Regina Demina, Delphine Rafferty. Les muses de Koché sont des filles qui t’entourent, artistes, ou baignant dans un milieu créatif. C’est important pour toi que la marque soit incarnée par des femmes qui ne sont pas mannequins de profession ?
Christelle : Ce sont des personnalités qui sont fortes mais auxquelles on peut s’identifier. Certaines personnalités sont sur-utilisées pour représenter l’idée de la femme française alors que mes modèles ont quelque chose de très accessible, de très joyeux.
Aujourd’hui on a besoin de ressentir quelque chose d’authentique. Ce ne sont pas des « filles de », elles font des choses, elles sont inspirantes et uniques.
Julien : Tout est une question de mélange de personnalité et une certaine manière d’expérimenter sa jeunesse. Elles ont une manière très curieuse, aventureuse, passionnée dans le rapport qu’elles ont avec la ville. Leur curiosité rejoint, j’imagine, l’imaginaire de Christelle sur plein de sujets : l’art, la musique, la nuit. Elles racontent tout ça, malgré elles parfois. C’est très agréable de les fréquenter parce que ce sont des miroirs réfléchissants de la création de Christelle.
Cette diversité de casting est visible notamment dans les vidéos de collections réalisées par Helena Klotz. Comment s’est faite la collaboration avec elle ?
Christelle : Helena, je la connais depuis très longtemps mais à l’origine, c’est Julien qui travaillait avec son frère sur un projet de théâtre. Son frère avait fait l’illustration sonore d’un spectacle. De fil en aiguille, j’ai rencontré sa sœur et elle était en train de préparer son premier long-métrage l’Age Atomique. Elle cherchait l’identité vestimentaire de son personnage principal et on avait échangé dessus. On s’est super bien entendues.
Je pense que dans son travail, il y a plein de choses en commun avec le mien. Elle a une vision très féminine et poétique mais aussi une façon de filmer la jeunesse et des corps qui est assez proche de ma façon d’observer cette génération. Le projet était d’illustrer la marque de façon visuelle, avec une narration et une transmission d’émotion. Helena a su capter un moment et je suis vraiment contente du résultat. On a testé une nouvelle caméra avec des effets spéciaux et des lumières particulières. Il s’est passé quelque chose d’assez magique.
C’était important de filmer la diversité dans le couple, loin des clichés des duos hétérosexuels ?
Christelle : Dans l’univers de la marque, il y a toujours eu cette notion de « genderless », d’unisex, et j’ai trouvé ça assez contemporain d’avoir des couples de toutes orientations sexuelles. Ce sont des histoires qui correspondent à la réalité d’aujourd’hui. C’était très beau et poétique.
On vit, en ce moment, un avènement du no-gender, cet effacement des codes du genre. Comment te places-tu face à ce mouvement ?
Christelle : Je ne me sens pas dans une mouvance, je constate et je vois que c’est représentatif d’une partie de la jeunesse d’aujourd’hui. Ce mouvement est présent et je le trouve assez juste et générationnel, cependant, il y aussi des filles de plus en plus féminines, qui s’assument et revendiquent une certaine force. Pareil pour les garçons qui s’assument dans des côtés plus féminins. On a la chance d’évoluer dans un monde où on peut s’exprimer de façon très personnelle.
C’est une évidence que Koché célèbre la féminité au pluriel. Tu ne dessines pas pour un corps mais pour une multitude de personnalités.
Christelle : Ce qui est important dans une marque c’est de ne rien imposer. Depuis le début, j’essaye d’être le plus ouverte possible, sur des différents courants, des façons de penser, des corps différents, des personnalités éclectiques.
Je suis davantage touchée par une marque qui sait rester ouverte qu’un label qui pense avoir la science infuse sur la manière d’appréhender une silhouette ou un corps. Je pense avoir une différente façon d’approcher la mode.
Un autre élément inhérent à Koché, c’est le mix entre l’univers du sportswear et celui du luxe. Qu’est-ce qui t’attire dans cette opposition ?
Christelle : J’essaye de réunir mes deux passions. Autant mes exigences et mon savoir-faire sur le vêtement, qui est de l’ordre d’une historienne de mode. Je dessine et conçois toute la collection, je coupe les vêtements. L’autre aspect, c’est comment amener de la modernité, de la liberté, du confort et de l’énergie. Dans l’univers du sportswear et du streetwear, dans les matières qu’ils utilisent, dans les techniques, il y a vraiment cette notion de liberté. J’essaye d’emmener ça dans des constructions sophistiquées, étudiées et très pointues, tout en injectant énormément de créativité dans ma façon de mélanger ces deux mondes.
D’où t’es venue l’idée de collaborer avec le Paris Saint-Germain lors de ta dernière collection ?
Christelle : J’avais commencé à travailler sur l’univers du football. Le foot est vraiment le sport le plus populaire en Europe et a le don de mélanger différentes générations et classes sociales. Ce sport a de fortes valeurs aussi. Les maillots de foot ont quelque chose de très graphique avec un mélange de couleurs souvent surprenant. Je m’en suis beaucoup inspirée pour ma dernière collection et il me semblait évident de faire appel au PSG qui incarne toutes ces valeurs et qui, en même temps, est une marque internationale aujourd’hui et qui a toujours fait beaucoup de ponts créatifs qui vont au-delà du sport. Je pense qu’on a beaucoup de valeurs en commun et on est parvenu à créer des liens assez forts.
Pour ce projet on a pris des maillots de foot et tout le vestiaire d’entrainement avec les matières techniques qui les accompagnent. On a tout re-brodé avec des cristaux Swarovski, on les a embellis, mélangés à de la dentelle française, on leur a donné un élément de magie et on les a aussi intégrés dans des coupes très sophistiquées. Je ne me suis pas contentée de faire du styling.
Koché a défilé à New York en janvier dernier et à Tokyo en 2016. La notion de voyage semble importante dans le processus créatif de Koché.
Julien : Au-delà de la question touristique et climatique ou le fait de se ressourcer, c’est important de créer des clashes de culture, de changer d’univers. La mode c’est quand-même une certaine répétition de cadres. C’est plaisant de voir autre chose. Nos voyages avaient vraiment une perspective « mode », comprendre la ville, se l’approprier d’une certaine manière et placer Koché dans un univers avec ses codes et sa culture tout en jouant avec. À Tokyo et à New York, ça a très bien marché en terme de chimie. Les Japonais que l’on a rencontrés ont tout de suite compris ce que Christelle essayait de créer, presque même avant les Européens et certainement avant la France. C’est aussi pour cela que l’on a été invité très tôt à Tokyo. C’était étonnant de voir à quel point ça se mariait bien avec la jeunesse Tokyoïte, dans une rue emblématique d’Harajuku.
Les retours sont positifs aussi parce que les défilés proposés se déroulent dans des endroits ouverts dans lesquels on créé quelque chose de totalement imaginaire. Même à l’étranger, on essaye d’investir des lieux qui ont une histoire et représentent un symbole fort pour ses habitants. On n’arrive jamais avec une recette, pas de super décors, de super idée ou de super show. C’est un anti-spectaculaire en quelque sorte. On se pose souvent la question suivante : qu’est-ce qu’on ressentirait à ce défilé si on était spectateur ? Christelle tient à ce qu’il y ait une émotion qui se partage.
On utilise davantage les effets du réel que les effets du spectacle.
C’est intéressant de se demander quelle place tient le défilé aujourd’hui, à une époque où les réseaux sociaux rendent les images instantanément accessibles à tous et périssables plus vite.
Christelle : Avec Julien, on essaye de penser à l’expérience, d’utiliser des lieux non-conventionnels dans un contexte de défilé de mode. Aussi, on réfléchit à la musique différemment, à la circulation, à l’émotion bien sûr. C’est important de voir comment s’articule le défilé autour de ma collection et quelle histoire il raconte, quel message fort on essaye de faire passer.
Julien : Ce qu’il y a avec les défilés, c’est qu’ils s’annulent les uns les autres. Ils s’enchaînent à une période donnée, souvent dans les mêmes types de configuration. On ne cherche pas forcément à se démarquer de ce que font les autres, on veut simplement laisser la possibilité au gens de retenir l’expérience, au-delà de la collection. On tente de fabriquer un souvenir. Quel lieu représente au mieux la collection, la marque et la ville dans laquelle il est ? C’est notre défi à chaque fois.
Vous avez décidé de montrer la collection Printemps/Eté 2018 à l’église Saint-Merry, ce choix avait une symbolique forte pour vous ?
Julien : Oui, tout à fait. C’est une église très particulière par rapport à l’ensemble des églises parisiennes. Elle est très engagée sur certains sujets que les autres paroisses sont très frileuses à aborder, notamment la question du mariage homosexuel et celle des autres cultes. Ils créent des ponts entre des religions et des cultures, ils sont aussi très férus d’art. Il y a des concerts punk, le festival Sonic Protest. Ce sont des soirées où les gens boivent de la bière en s’allongeant par terre… C’est tout un autre rapport aux murs et à la charge historique d’une église. Puis, elle est au milieu des Halles et on a vu beaucoup de sans-abris y dormir, simplement parce qu’ils le pouvaient. Ils n’ont jamais été jetés dehors. Toutes ces initiatives d’accueil nous ont beaucoup plu, en plus de son extrême beauté, son côté majestueux.
Christelle : On avait toujours fait des défilés où les gens étaient debout, sans hiérarchie. Ça avait du sens d’asseoir les gens dans ce lieu. Ça n’aurait pas été logique d’enlever les bancs qui ont toute leur place dans l’église. On aime utiliser les lieux pour ce qu’ils sont et ne surtout pas les dénaturer. Par contre, on n’a pas mis de places numérotées avec un « first row », il y a eu une grande circulation.
On finit avec une petite actu. Christelle, tu as été choisie pour présider le jury Accessoires du festival d’Hyères, comment appréhendes-tu cette expérience et que vas-tu rechercher en termes de nouvelles créations ?
Christelle : Je suis honorée de faire partie du festival, c’est une vraie responsabilité. Je m’y suis souvent rendue et c’est toujours un lieu qui m’a inspirée. Je suis très touchée qu’on m’ait proposé la présidence du jury Accessoires. De très belles histoires se sont écrites grâce au festival. Ce que je vais rechercher c’est un point de vue personnel. J’ai fait une première pré-sélection de dix créateurs avec comme mots-clés la singularité, la force de proposition et la créativité, plus que l’exécution.
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