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Klein Zage : l’écriture comme réconfort

Klein Zage : l’écriture comme réconfort

Klein Zage sortait fin octobre son premier LP Feed The Dog sur le label Rhythm Section, une introspection poétique et consciente sur les choses de la vie.

Si Sage Redman est originaire de Seattle, berceau de la musique grunge, ses déménagements successifs à Londres, Berlin et New York et les changements de décors façonnent son processus musical et son style d’écriture. Ses deux précédents projets, Womanhood (2019) et Tip Me Baby One More Time (2020), mêlent des sons inspirés de la scène house et techno des années 80 et 90 à des commentaires sociaux parlés sur les thèmes de la féminité et de la vie urbaine. Avec Feed The Dog, Sage explore un nouveau terrain, redéfinit son image en tant qu’artiste et s’affranchit des limites du genre. Ce que l’on pourrait considérer comme un nouveau départ rejoint en réalité la musique qu’elle a toujours faite, mais qui n’était jusqu’alors jamais parvenue à nous. À l’intersection de l’alt-pop, du trip-hop et du shoegaze, cette collection de morceaux dévoile la profondeur lyrique de l’artiste, autant que sa sensibilité émotionnelle.

© Drew Reilly


Manifesto XXI – Dans le communiqué de presse, on peut lire que l’album est « à la fois du réalisme d’observation, un appel au secours et une lettre d’amour à Londres ». Qu’as-tu voulu exprimer dans ce disque ?

Klein Zage : Avec cet album, je voulais exprimer un sentiment profond de réconfort. Il y a de la nostalgie, de la mélancolie, mais dans l’ensemble, il s’agit d’acceptation et de satisfaction à un moment précis de la vie. 

Il y a quelque chose de très beau dans le fait d’avoir d’autres choses dans sa vie pour recontextualiser son ego et élargir sa définition de soi.

Klein Zage

Comment se sont déroulées la création et la composition de cet album ?

Certaines de ces chansons sont restées en studio pendant de nombreuses années, constamment réécrites, réarrangées, dotées d’une nouvelle vie ; d’autres ont été composées en une traite et étaient bien plus brutes lorsqu’elles sont arrivées.

Ton style musical a évolué depuis tes précédents projets, ton processus a-t-il également évolué ? En quoi ce nouvel album est-il différent de ce que tu as fait auparavant ?

Même si j’ai sorti des musiques très différentes sous le nom de Klein Zage auparavant, c’est le type de musique que je fais depuis le plus longtemps. Les musiques club que j’ai pu sortir auparavant étaient des écarts assez amusants par rapport à mon style d’écriture habituel. La sortie de ce disque donne l’impression de boucler la boucle, de revenir à mes racines et aux influences qui m’ont traversée quand j’étais enfant et jeune adulte, et ça m’a semblé vraiment naturel. 

L’écriture a toujours été pour moi une forme de réconfort et un moyen de traiter ou d’observer intentionnellement les choses qui se déroulent dans ma vie.

Klein Zage

Ta posture d’artiste semble également avoir évolué, peux-tu m’en parler ?

Je n’en suis pas certaine ! Cet album a définitivement une note plus sérieuse que les EPs Womanhood et Tip Me Baby One More Time, pour lesquels j’avais usé de sarcasmes et fait preuve d’un peu plus d’humour dans la production et les paroles. Feed The Dog est globalement beaucoup plus émotionnel et sincère. J’ai également pensé qu’il était approprié de me centrer sur la pochette de l’album et la vidéo pour incarner les thèmes de l’album.

Il peut être difficile de montrer autant d’honnêteté dans des textes, comment te sens-tu lorsque tu poses des mots sur des émotions ? Et en réécoutant aujourd’hui ces chansons ?

Je ressens une véritable sensation de catharsis, comme une libération de choses que je porte quotidiennement en moi, parfois sans le savoir. L’écriture a toujours été pour moi une forme de réconfort et un moyen de traiter ou d’observer intentionnellement les choses qui se déroulent dans ma vie. Ces chansons résument vraiment un moment particulier pour moi, une période de ma vie où je ressentais beaucoup de choses en même temps. Les réécouter me transporte, c’est le moins que l’on puisse dire ! 

© Drew Reilly


Partages-tu autant de sentiments dans la vie avec tes proches ?

J’aimerais me considérer comme une personne émotionnellement intelligente, mais je suis introvertie et j’ai parfois du mal à exprimer mes sentiments avec éloquence dans une conversation, à défendre mes intérêts. Peut-être donc qu’il m’est toujours apparu plus facile de le faire en musique.

Prendre soin de ceux que tu aimes, chérir les trivialités de la vie semble avoir beaucoup d’importance pour toi.

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Il y a quelque chose de très beau dans le fait d’avoir d’autres choses dans sa vie pour recontextualiser son ego et élargir sa définition de soi. Je me suis toujours sentie comme quelqu’un qui jouait deux rôles à la fois. Le tiraillement entre le rôle d’aidant et celui d’artiste en moi a souvent cédé la place à l’ambition personnelle. Le confort et le bonheur d’être heureuse dans un rôle humble – que ce soit celui d’épouse, de mère, de sœur, etc. – m’ont fait réfléchir aux attentes de notre société concernant la carrière et l’ambition, et aux stigmates souvent associés à la poursuite d’une activité créative, à l’idée que si l’on s’engage dans un domaine artistique, il faut se recentrer sur soi-même et être égoïste. 

Le thème de la famille semble occuper une place importante dans ta vie. Qui considères-tu comme ta famille aujourd’hui ?

Ma famille est petite. C’est mon mari et partenaire créatif Joe, même si nous nous sommes récemment séparés. C’est mon chien Steves et mon chat Bobby Bacala. C’est ma sœur, qui est aussi ma meilleure amie. Il y a aussi des ami·es que je considère comme ma famille, et iels se reconnaîtront.

La vidéo de « Bored, With You » est sortie en même temps que l’album. Quelle a été la direction artistique derrière ce clip ?

Le clip était une ode à Kozel’s, un restaurant dans le nord de l’État de New York. Il m’a servi de deuxième maison ces deux dernières années, depuis que j’ai quitté la ville, et il représente vraiment tout ce que j’admire dans une entreprise familiale. D’un point de vue esthétique, c’est aussi un espace incroyable, parfaitement daté, avec un énorme bar en acajou, des portraits de famille aux murs et une bonne dose d’accessoires des Red Sox. J’adore Twin Peaks et une grande partie des images que le réalisateur Murdo Barker Mill et moi-même avons utilisées pour la vidéo faisaient référence à la beauté catatonique d’un espace d’accueil vide et à un cadre étrange, boisé, au milieu de nulle part. Depuis la sortie de Tip Me Baby One More Time, j’ai toujours voulu tourner une vidéo dans un restaurant vide et ce clip en était la parfaite occasion. Ça fait aussi écho aux thèmes de l’album – le sentiment de confort solennel dans un lieu chaleureux, un lieu qui célèbre la famille, où les familles viennent depuis des générations pour se réunir et partager un repas. 


La photo de la pochette du disque semble avoir été prise au même endroit que celui où la vidéo a été tournée. Peux-tu me raconter son histoire ? 

Oui, c’est bien ça ! Kozel’s est vraiment devenu le point d’ancrage visuel de l’album. La photo devait mettre en évidence des thèmes similaires à ceux de la vidéo. Je porte un peu une tenue spéciale « déjeuner d’affaires », mais assise seule dans un endroit où tant de gens se sont réunis avant moi. Je trouvais important, d’un point de vue visuel, de m’asseoir à une table pour quatre, et non pas seule au bar.


Relecture et édition : Pier-Paolo Gault

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