« On s’appelle Kids Return, on est meilleurs potes et on fait des chansons qu’on essaye de produire le mieux possible » avaient déclaré Clément et Adrien il y a plus d’un an de ça, pour se présenter. Depuis, ils ont accouché de Forever Melodies, un premier album qui prend racine chez les grands compositeurs de cinéma – de Joe Hisaishi à Air – et qui conte le parcours de ces deux amis qui grandissent.
Un an et des poussières après notre première rencontre, les Kids Return m’ont rouvert les portes de leur studio. Pendant qu’Adrien débarque traînant derrière lui sa valise – c’est qu’il rentre de Lille où il réalisait son premier film –, Clément déballe avec émerveillement un de leurs vinyles fraîchement reçus. Forever Melodies, leur premier album, est né. Sur la pochette en carton, on voit les silhouettes des deux amis, illustrées par leur ami Apollo Thomas, marcher vers un soleil couchant. Une image qui évoque des fins de films nostalgiques et qui marque pourtant le début de leur aventure.
L’essence des chansons de Forever Melodies, comme le nom du disque l’indique, repose dans des mélodies gorgées de mélancolie. Sur des orchestrations d’alliages électro-acoustiques, la voix d’Adrien dépose ses airs romantiques et raconte le passage de deux enfants à l’âge adulte. Ce premier album force le respect par sa maîtrise de la mélodie pop et sa créativité dans les hommages qu’il rend. À travers les dix morceaux, les Kids Return égrènent les références et font revivre, tout en conservant cette fraîcheur qui fait leur identité, les pontes de l’histoire de la pop music. L’écoute s’apprécie comme une plongée dans les bacs à trésors des disquaires les plus pointus. Pour mieux comprendre les Kids Return, il faut comprendre leurs influences. French Touch, cinéma, vie de tournée, Arctic Monkeys… On a discuté avec Adrien et Clément de ces choses qui les inspirent.
Manifesto XXI – Je sais que Random Access Memories des Daft Punk a marqué une certaine étape pour toi, Clément. Tu pourrais nous en dire plus ?
Clément : Avant Random Access Memories, je ne connaissais pas grand-chose d’autre que le rock. Quand c’est sorti [en 2013], je devais avoir 15 ans et j’ai pris une claque. Je me suis dit « ok, donc ça, c’est possible ». Cet album nous a permis de nous ouvrir à d’autres façons de faire de la musique, d’écrire des chansons, de produire… Il y avait des boîtes à rythmes, des batteries, des guitares, des synthés… Nous on ne connaissait que la combinaison guitare-basse-batterie.
Adrien : C’est intéressant de voir à quel point la French Touch et des groupes comme les Daft Punk ou Air nous ont ouvert des portes. À travers les Daft, on a découvert la funk. À travers Air, on a découvert Burt Bacharach, des compositeurs italiens des années 70, des choses plus pointues. Et à travers ces dernières, d’autres choses encore. On ouvrait toutes les portes, pour découvrir quelles étaient les influences de ceux qui nous inspiraient. Et la French Touch, ça n’est que ça, de la référence ! C’est comment, à notre manière française, on s’approprie les disques anglo-saxons de l’époque.
Clément : On a énormément écouté Air, surtout avant de créer le groupe. On ne savait pas trop où on voulait aller et on a eu besoin d’un point de repère. C’est un duo, ils font de la musique de film, ça nous a inspirés.
Il y a un an, vous me disiez « Kids Return, c’est un hymne à la mélodie, que l’on perd trop aujourd’hui ». Qu’est-ce que vous entendiez par là ?
Clément : Je ne sais pas si le sens de la mélodie se perd, mais j’ai la sensation qu’il est moins placé au premier rang. À la sortie d’un album, on va d’abord parler de production. C’est l’industrie de la musique telle qu’elle est aujourd’hui qui veut ça. Ça vient aussi du rap où le texte et les kicks sont mis en avant, pas la mélodie. Nous, on fait l’inverse : pas de kick, beaucoup de mélodie. On assiste à ce phénomène dans la musique de film aussi. Les BO sont ultra produites et quand il faut susciter une émotion, on va chercher quelque chose de très connu, un vieux morceau. C’est plus rare de demander aux compositeur·ices de créer des mélodies, des thèmes. Et c’est pour ça que notre album porte ce nom. On s’est dit : si les autres ne le font pas, nous on va y aller à fond. Mais il reste beaucoup de choses très mélodiques qu’on adore. En France, par exemple, La Femme, Papooz, Oracle Sisters, qui sont des pros de la mélodie, Ryder The Eagle ou November Ultra. Même si en réalité, on ne s’inspire pas tant de musiques françaises et c’est peut-être pour ça que notre musique est un peu différente de ce qui se fait ici. On est intrigués par la façon dont les musiques sont composées et produites à l’étranger.
Adrien : C’est difficile de s’inspirer de choses françaises et actuelles, parce qu’on a trop peu de recul pour pouvoir l’assimiler, l’adapter. On va plutôt chercher dans de vieux albums.
Clément : Par contre, il y a beaucoup de groupes français qui s’exportent à l’international, comme L’Impératrice ou Polo & Pan. Avant, ce qui venait de France, c’était le rock, la French, de l’électro-acoustique… Maintenant c’est de la funk, de l’électro, justement les enfants de Random Access Memories, en quelque sorte. Avec cet album, les Daft ont offert un rayonnement mondial à la musique française. C’est ce qui a permis à L’Impératrice de s’exporter et c’est grâce à tout ça qu’on peut débarquer ensuite, avec notre style un peu différent et faire des dates à l’étranger. C’est une chaîne, chacun·e met en lumière celui d’après et on ne peut qu’espérer être les prochains à ouvrir la route à d’autres.
À l’instar du groupe Air, vous vous êtes mis à composer pour des films. À quel point ça diffère de la composition d’un album ?
Adrien : Pour une bande originale, tu travailles pour quelqu’un, alors que pour un disque tu ne travailles pour personne. Tu dois dealer avec ces gens, qui veulent ta musique sur leur film, ce qui implique une grande confiance de leur part.
Clément : On nous demande des choses qu’on n’aurait certainement pas faites instinctivement et c’est stimulant, ça nous fait prendre des chemins qu’on n’aurait pas empruntés autrement.
Adrien : Mais ça s’est fait en deux temps. D’abord on a cherché les thèmes, un par personnage. Ensuite on doit produire toutes les déclinaisons et c’est là que ça se rapproche de la création d’un album. Quand on compose à la campagne, si on n’a rien, c’est comme ça, on verra demain. Mais quand on a trouvé le morceau et qu’on est en studio, on doit enregistrer. On n’a plus le temps de réfléchir ou d’essayer, il y a un timing à respecter.
Clément : Le premier thème qu’on a trouvé, on l’avait composé sans se mettre la pression, au tout début, sans réfléchir. Ils en ont demandé dix autres, ils ont besoin d’avoir un panel pour pouvoir choisir. Et après de longues discussions, c’est le tout premier qui a été retenu. Alors peut-être que oui, c’est vraiment comme ça qu’on fonctionne : quand ça vient.
Même dans votre projet musical, l’image occupe une grande place. D’ailleurs, vous surnommez Tara-Jay, qui s’occupe notamment de vos clips, « le troisième membre du groupe ».
Clément : Aujourd’hui, on est obligé de faire de l’image. Mais on tenait à le faire avec quelqu’un qui a un regard allié et intelligent.
Adrien : Quelqu’un qui va dans le même sens que nous.
Clément : C’est très précieux, parce que c’est le meilleur moyen de montrer nos morceaux aux gens. On l’appelle le troisième membre du groupe parce qu’il vient souvent avec nous en tournée, il écoute tous nos morceaux et peut nous donner un avis sincère. Et nous, on l’écoute. Il y a aussi Apollo, qui fait nos pochettes, Roman qui nous suit en tournée et qui filme, Lucas, qui a fait le clip d’« Orange Mountain » avec Tara-Jay… Nos amis sont très présents dans le groupe. Et c’est drôle parce que dans tous les groupes, il y a toujours ce mec de l’ombre, qui est très important. Pour ce qui est de la direction qu’on a pris dans les clips ou pour les pochettes, on voulait faire ça comme on fait de la musique : de façon très organique. Donc c’est nous, nos émotions et une super 16. Ce qui est à la fois génial et très contraignant avec une super 16, c’est qu’on ne peut pas faire quarante-cinq prises, pour des soucis de budget. Comme il y a plus de risque, qu’on peut vite aller à l’accident, l’émotion vient tout de suite. Puis ça fait référence aux films qui nous ont inspirés.
Adrien : Les clips sont à l’image de notre amitié. Ce qu’on fait, on ne pourrait pas le faire l’un sans l’autre. Ensemble, il y a une connexion qui peut nous emmener quelque part. Quand l’un tombe, l’autre est là pour le relever, c’est une question de balance, d’équilibre. C’est ce qu’on raconte dans les clips.
Vous avez tourné en France et à l’international, réalisé des clips, vous êtes en promotion tout le temps… Vous disiez que la perte de notion du temps qu’offrait le confinement vous avait beaucoup inspirés. Comment ça se passe pour vous, maintenant que vous n’avez plus une minute ?
Adrien : On n’a pas arrêté de composer pendant ces voyages. On avait toujours un clavier, une guitare, et entre les concerts, sur la route, on composait. De façon très légère, pour s’amuser et se détendre. Mais ce sont souvent dans des moments comme ça qu’apparaissent les plus belles choses.
Clément : Peut-être qu’Adrien ne sera pas d’accord, parce qu’il rentre d’un tournage, mais je trouve, dans la façon dont fonctionne la musique, un équilibre parfait entre les moments de composition et la tournée. Ce sont des phases binaires.
Adrien : Réaliser un film c’est très éprouvant intellectuellement, mais en soi, c’est un rythme de vie sain. Je me levais à 8h30, je rentrais me coucher à 19 heures : ça ressemble à la vie de n’importe quelle personne qui travaille. Une tournée c’est beaucoup plus éreintant, physiquement. En revanche, c’est bien plus léger. En concert, on est détendu, on ne pense à rien.
Clément : Les concerts, c’est ma meilleure thérapie. On est connectés avec Adrien, avec les musiciens, et il n’y a plus rien d’autre qui existe.
La question du live était très importante pour vous. La dernière fois qu’on s’est vu·es, vous vous demandiez comment jouer sur scène ces morceaux que vous aviez composés sans penser un jour faire des concerts.
Clément : Pour la musique qu’on fait, c’était la moindre des choses de se mettre la pression pour le live. Quand je vais voir un concert et que la prestation me déçoit par rapport à ce que j’ai entendu sur l’album, c’est complètement rédhibitoire pour moi. L’album est plus soft que ce qu’on propose en concert. Pour le live, on voulait des sons plus rock, plus free. Alors on s’est tournés vers des musiciens qui viennent du jazz, qui ont une grande capacité d’improvisation. Il y a parfois eu des conversations, parce que notre batteur par exemple s’éloignait beaucoup de notre musique, mais on travaille sur une base d’échange. Ils viennent vers nous, on va vers eux, tout en restant fidèles aux morceaux. On tenait à ce que le live offre autre chose que l’album, que ce soit un peu différent, on a beaucoup travaillé les transitions.
En parlant de transitions, Arctic Monkeys, qui est une de vos premières références communes, a déçu quelques fans avec leur concert à Rock en Seine. Il a été jugé trop froid et chirurgical. Et sur leurs nouveaux morceaux (« There’d Better Be a Mirrorball » et « I Ain’t Quite Where I Think I Am »), il leur a aussi été reproché de, justement, perdre leur sens de la mélodie.
Clément : C’est mon groupe préféré, alors pendant le concert j’étais comme un fou. Mais je me suis aussi fait cette réflexion aussi, a posteriori. Alors que Tame Impala, par exemple, j’adore sans être un fan absolu, mais leur live est juste fantastique.
Adrien : C’est le septième album du groupe. Les tubes, ils les ont déjà faits. Alors je ne comprends rien à ce que le chanteur raconte dans les morceaux à cause de son accent, mais la production est impeccable. La mélodie serpente, elle n’est pas évidente et ce ne sont certainement pas des morceaux pop, mais je les aime bien parce qu’ils sont originaux. C’est un vrai choix, s’ils voulaient faire des chansons pop et catchy, ils pourraient le faire.
Clément : Ce qui est beau, c’est qu’après toutes ces années de carrière, Alex Turner [le chanteur] continue à faire ce qu’il a envie. En live ils sont généreux, ils font tous les tubes parce qu’ils ne sont pas bêtes, ils savent que les fans les attendent. Par contre à côté, ils sortent les disques qu’ils ont envie de sortir. On peut seulement lui en vouloir de moins aimer ce qu’il fait. Il garde cette sincérité qu’il a toujours eue. En réalité, Suck It and See était bien surprenant dans son genre, Humbug était plus obscur, puis il a eu envie de faire un album plus pop, il a sorti AM et ça a été monstrueux. Ensuite, il est reparti dans ses trucs. C’est très respectable et très inspirant en tant que musicien. Et l’orchestration est monstrueuse. Par contre, c’est vrai que je l’ai écouté cinq fois, pas cinq cents.
Pour finir, quelle étape de votre vie va marquer Forever Melodies ?
Adrien : Cet album, c’est la définition même de la transition. Entre l’enfance/adolescence et la vie adulte. Quand je regarde trois ans en arrière, tout est différent. Et c’est ce que cet album raconte. Ces changements de sensations : sensations de vie, d’amour, d’amitié, de famille. Je n’étais vraiment pas le même.
Clément : Je suis content, parce que je le vois, posé là [il regarde le vinyle posé sur l’étagère aux côtés de la BO du film Kids Return qui a engendré le groupe], et je me dis que ça a vraiment du sens. On s’est demandé, en composant l’album, si ça ressemblait trop à telle chose, si c’était trop comme ci ou comme ça… Mais c’était tellement sincère que je sais que je l’aimerai toute ma vie.
Adrien : Tout devrait être aussi sincère, en particulier un premier geste artistique comme un premier album.
Clément : Quand je vois tout ce qu’on a fait cette année grâce à ce disque, quand je défile les photos sur mon téléphone, je manque de pleurer. Je nous revois dans l’appartement d’Adrien pendant le confinement et je me rends compte à quel point la sincérité d’une amitié peut mener loin. On n’est pas arrivés, on n’est arrivés nulle part. Mais faire une Cigale, c’était mon rêve. Pour ce premier album, il fallait quelque chose qui nous ressemble absolument, que ce soit au niveau des textes, de la prod, de l’image ou des visuels. Cet album, c’est comme une playlist de notre vie.
Les Kids Return seront à la Cigale à Paris le 14 mars 2023.
Relecture et édition : Sarah Diep