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Kelly Lee Owens. « Silence is Violence »

Kelly Lee Owens. « Silence is Violence »

Manifesto XXI - Kelly Lee Owens

Après un premier album éponyme en 2017, Kelly Lee Owens élève encore un peu plus les esprits et les consciences avec, Inner Song, son second album. Elle sera en concert au Trabendo le 20 mars 2021.

Si son premier album était l’accomplissement du savoir-faire de l’artiste galloise, Kelly Lee Owens, celle-ci monte d’un cran pour nous présenter Inner Song. Album introspectif, mais qui résonne profondément de vérités émotionnelles collectives. Affrontant de lourdes peines, l’artiste a gravé sur ce disque les épreuves et cicatrices de ces quatre dernières années, donnant naissance à un exutoire psychique personnel, mais commun. Kelly Lee Owens nous berce et nous captive, livrant dix pistes sincères et chargées d’émotions. Nous l’avons rencontrée avant l’été, pour discuter de son nouvel album, mais aussi de ses engagements.

Manifesto XXI - Kelly Lee Owens
© Kim Hiorthøy

Manifesto XXI – Comment te sens-tu à deux mois de la sortie de ton second album ?

Kelly Lee Owens : Il y a eu du retard avec la sortie à cause de ce qui se passe dans le monde actuellement, donc une part de moi est excitée à l’idée de pouvoir enfin me connecter avec les gens. Je suis évidemment un peu nerveuse à l’idée de savoir ce que les gens vont en penser, parce qu’on ne sait jamais comment ils vont réagir, mais je suis assez confiante pour me dire que les personnes qui en ont le plus besoin le trouveront.

Dans le communiqué de presse, il est précisé que tu as abandonné ton perfectionnisme pour cet album. Comment tu t’y es prise pour faire ça ?

Je dirais que j’ai abandonné mon perfectionnisme seulement au début de la conception. C’était pour avoir cette liberté de laisser couler les idées dans leur intégralité, et les honorer, avant de les perfectionner et de les enregistrer. J’ai laissé couler de manière plus fluide et complète, avant de vraiment rentrer et de sculpter la production. En fait sur le premier album, je n’arrêtais pas de me dire que je devais trouver le kick parfait, alors que pour Inner Song j’étais plus comme : « Non Kelly, on peut faire ça plus tard. ». J’ai appris à mieux comprendre mon processus de production et de ne surtout pas intervenir. Je pense que pour beaucoup d’entre nous on a tendance à faire les choses comme on nous les a apprises et finalement on se pose involontairement des barrières à notre propre progrès, mais la vie est une question de changements et d’adaptabilité. J’essaie d’apprendre cela personnellement depuis 3 ou 4 ans et je pense que cette transparence se reflète en quelque sorte dans cet album.

Donc cet album a été comme une thérapie qui t’a aidée à évoluer ?

Oui et pour être honnête c’est toujours le cas. Je faisais un remix l’autre jour pour quelqu’un, je n’avais pas remis les pieds dans un studio depuis très longtemps et c’était comme de la méditation pour moi parce que je me sentais tellement présente ! Je vis vraiment le moment et c’est l’état le plus relaxant que je puisse connaître, car je suis très concentrée. Mais oui l’album a été une vraie thérapie. Il m’a permis de connecter et transmettre toutes les choses que j’ai vécues ces dernières années : tout le chagrin, toute la douleur, toute la perte… C’est comme un ressourcement pour mon âme et mon esprit en tant qu’être humain. De mettre ça dans quelque chose de créatif est essentiel pour moi, mais aussi pour tout le monde. Trouver le moyen de pouvoir s’exprimer quotidiennement est vraiment important, je pense. C’est l’écrivaine érotique, Anaïs Nin, qui a dit : « La créativité qui ne s’exprime pas devient folie », et je pense que c’est vrai.

On peut travailler dans un bureau, mais il faut toujours trouver un moyen de pouvoir exprimer notre âme.

Je trouve ta musique très onirique et hypnotique aussi. Est-ce que c’est ce que tu cherches à faire ? Mettre les gens dans un état de transe ?

Oui d’une certaine façon (rire), parce que la musique est un portail pour moi. Donc quand je crée ma musique je vais toujours dans un endroit, je rentre dans une sorte d’espace. C’est un peu comme si on allait quelque part, dans un endroit très viscéral. It’s a place you can be, a place to be. En fait, c’est le titre d’une de mes chansons préférées de Nick Drake « Place to be » et il y a ces paroles : « Just hand me down, give me a place to be ». Je pense que pour moi la musique est un endroit où je peux être moi-même, peu importe l’endroit où je me trouve.

Je crois que j’essaye de créer pour chaque chanson un espace sûr où l’on pourra finalement explorer nos propres émotions sans danger.

Il me semble avoir lu dans une interview que tu n’aimais pas la musique électronique il y a quelques années. Comment en es-tu arrivée là ?

Oui bonne question (rire)… Je pense que c’est arrivé progressivement, c’est-à-dire que je travaillais à Rough Trade East à Londres et ils avaient installé un schneidersLaden — qui est la marque d’une société de synthétiseurs basée à Berlin — et c’était une nouvelle fois, quelque chose de très physique, de comprendre comment créer un beat… Ce n’était pas juste un ordinateur purement et simplement, je me suis aperçue que c’était une collaboration entre l’humain et les machines. Je pense que c’est tout ce qui fait la beauté de la technologie et si on l’utilise de cette manière il ne peut en ressortir qu’une force positive. Donc oui c’est de pouvoir relier cet amour pour la nature et mon humanité à quelque chose de plus urbain, qui peut sembler plus dur que peut être le monde de la musique électronique. 

Dans ton premier album, tu avais ce titre « Arthur » dédié à l’artiste Arthur Russel. A qui est dédié « Jeannette » ?

Jeannette, c’est le prénom de ma grand-mère qui est décédée l’an dernier. Elle a été la source d’une très grande inspiration dans ma vie, elle était la matriarche de la famille et c’est quelqu’un avec qui j’ai passé énormément de temps, c’était un peu comme ma deuxième mère. Elle était ma plus grande fan. Elle était venue du Pays de Galles me voir jouer pour mon premier concert à Londres et je me souviens qu’elle était montée sur scène à la fin – c’était d’ailleurs « Arthur » que je jouais – et elle s’était mise à danser. Donc quand elle est décédée, ça a été très difficile pour moi, je voulais donc lui dédier quelque chose. La première chose que j’ai faite c’était d’appeler ce track « Jeanette », car c’est un titre très édifiant. Elle croyait aux énergies et elle était toujours brillante et joyeuse, à la recherche du bien dans toutes les choses qui l’entouraient, donc je trouvais qu’il lui ressemblait bien. L’autre chose que j’ai faite a été de faire graver son nom sur chaque vinyle. J’ai l’impression qu’elle continue de vivre comme ça, à travers moi et ma musique.

Dans « L.I.N.E. » tu chantes « Love is not enough for me to stay ». C’est ta vision de l’amour aujourd’hui ?

Je crois en l’amour, je pense que l’amour c’est quelque chose de merveilleux, mais en fait ce qu’est-ce que c’est vraiment l’amour ? C’est avant tout un respect mutuel et un soutien permanent. Le fait d’être amoureux peut être formidable, mais si à côté de ça, la situation dans laquelle je me trouve n’est pas saine pour moi, alors l’amour n’est pas suffisant pour rester. Je pense que c’est un message important parce qu’il existe trop de messages flous, surtout dans la pop, où il y a beaucoup de chansons, souvent écrites par des hommes blancs, pour des femmes, qui véhiculent des paroles lourdes au sujet de rester dans une relation toxique et malgré cela « Je serai toujours là pour toi, peu importe ce qui arrive ». Je pense que tout ça c’est des conneries. Être dans une situation qui est nocive pour la santé mentale et physique, bien sûr qu’il faut aller de l’avant et passer à autre chose. Il faut savoir observer les actions de quelqu’un… Quelqu’un peut dire qu’il vous aime, mais « aimer » est un mot actif et pas passif, donc ce n’est pas suffisant d’être amoureux et donc de rester.

Je voulais que le message dans cet album soit fort pour les femmes, mais aussi les hommes, qui ont besoin d’entendre ce genre de choses. 

Ton album a l’air très personnel, mais au final les expériences que tu as vécues peuvent raisonner chez beaucoup de personnes…

Oui, généralement une expérience personnelle est souvent collective, sauf quand il s’agit d’ethnicité. Mais tout ce qui touche aux émotions qu’on éprouve, en réalité, on est beaucoup à ressentir la même chose en même temps et souvent on se sent très seul et isolé, donc c’est important pour moi de partager les choses que j’ai vécues et si cela peut aider une personne à se sentir moins seule ou de comprendre mieux sa situation, alors c’est magnifique. Cet album a été thérapeutique et c’est super, mais avant ça, la raison pour laquelle je l’ai fait c’était dans le but d’aider les gens et d’une certaine façon pouvoir les toucher.

On retrouve l’artiste gallois, John Cale, sur ton album. En quoi c’était important qu’il figure dessus ?

Quand j’ai fait cette musique « Corner of my sky », je ressentais une énergie qui s’en dégageait et je sentais qu’elle était reliée d’une certaine manière à ma patrie, le Pays de Galles, un peu comme un hommage au pays dans lequel j’ai grandi. Donc c’était très important pour moi que cette chanson soit chantée en Gallois, car c’est une langue morte et plus généralement les Gallois ont énormément souffert d’oppression. À une époque, on n’avait plus le droit de ni de parler ni de chanter dans notre propre langue. Il y a eu beaucoup de racisme de la part des Anglais envers les Gallois, car ils étaient vus comme des citoyens de classe inférieure au Royaume-Uni. C’est une histoire qui remonte, mais il existe encore des racines, qui s’expriment de façon plus innocentes. C’est pour cette raison que c’était important d’inclure cette langue dans le disque, donc j’ai demandé à John s’il pouvait raconter une histoire sur cette musique afin qu’on puisse se connecter aux Gallois à sa manière, avec sa propre poésie. Quand j’ai terminé ce track, j’ai vraiment ressenti quelque chose. Cela avait tellement de sens de faire ça et je suis très reconnaissante envers John. J’ai un peu l’impression qu’il passe le bâton aux jeunes artistes et particulièrement aux artistes gallois, car il n’y en a pas beaucoup qui franchissent les frontières du Pays de Galles et je pense que c’est quelque chose qui doit changer. 

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Tu sembles être quelqu’un de très engagé, déjà dans « Melt » tu dénonces le réchauffement climatique et j’ai pu aussi voir sur les réseaux sociaux que tu avais été très réactive au mouvement Black Lives Matter. Est-ce que tu penses selon toi que les artistes devraient plus parler de ces sujets sur ce type de plateforme ?

Je pense personnellement que oui et peut-être que les gens peuvent avoir un problème avec ça, mais honnêtement, je pense qu’on arrive à un moment où le silence devient de la violence. Je pense que c’est important d’expliquer de quel côté tu te situes et si tu es une personnalité publique raison de plus pour le faire. Après bien sûr que ce qui compte c’est vraiment ce que tu fais concrètement dans tes actions et bien sûr que certaines personnes ne vont pas le montrer publiquement. Le plus important c’est qu’est-ce qu’on fait quotidiennement pour faire avancer les choses, comme faire des dons, signer des pétitions, avoir des conversations avec des personnes proches de nous, car c’est vraiment là qu’on peut faire changer les choses. Après je ne poste pas sur les réseaux sociaux pour avoir l’air d’être une bonne personne, je n’ai pas besoin que les personnes noires me remercient, ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici. Je fais ça pour mes amis blancs qui finalement me remercient de poster un lien de donation ou une pétition ou simplement un article à ce sujet, et la plupart me disent qu’ils ne savaient pas quoi faire et qu’ils se sentaient, en fait, juste paralysés.

En tant que personne blanche, c’est là que le travail est pour moi, en aidant, en m’éduquant moi-même et les personnes autour de moi, c’est de ça qu’il s’agit.

C’est quelque chose sur le long terme, comme dans l’industrie de la musique, il s’agit de comprendre les racines de celle-ci et finalement la plupart d’entre elles ont été créées à l’origine par des personnes noires et il faut honorer cela. Maintenant l’industrie doit refléter ça en ayant des contrats équitables, donner l’argent aux bonnes personnes… Je travaille aussi avec des artistes noirs, Lanéya Billingsley (alias billie0cean) qui a fait mes visuels, Coby Sey qui a fait le remix incroyable de « Melt »… Il faut continuer d’avoir ces plateformes, de donner des opportunités, de faire des collaborations pour élargir les choses. C’est en faisant tout ça que je pense qu’on peut aider et c’est vraiment important de le faire.  

J’ai l’impression que de plus en plus d’artistes prennent la parole.

Oui et c’est vraiment encourageant ! Je pense que les gens cherchent à construire quelque chose de stable sur le long terme, de modifier en profondeur plutôt que de chercher un bonheur éphémère sur le court terme, comme le capitalisme a pu nous l’apprendre. Il s’agit d’abattre les structures qui soutiennent ces fondations archaïques qui sont bénéfiques seulement pour quelques-un·e·s. Maintenant on en a terminé avec ça.

Un dernier mot ?

Je vais peut-être sembler égoïste de me citer moi-même, mais il y a cette chanson « Evolution » qui dit juste « Be the revolution » et je pense que c’est plus important que jamais aujourd’hui.

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