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Josza Anjembe : « Avec Baltringue, l’idée était d’explorer la question de l’homophobie intériorisée »

Josza Anjembe : « Avec Baltringue, l’idée était d’explorer la question de l’homophobie intériorisée »

Un enfermement mental aussi toxique que le milieu carcéral : Baltringue, deuxième court-métrage de la réalisatrice Josza Anjembe en compétition officielle pour le César du meilleur film de court métrage 2021, nous plonge dans l’intériorisation de l’amour empêché. De sa finesse scénaristique à sa cinématographie impeccable, Baltringue est un film brûlant qui assoit définitivement le talent de sa réalisatrice et de son équipe. Interview.

Baltringue est une fiction subtile et douce, aussi douce que peut l’être un récit lorsqu’on y raconte la violence de l’amour en prison. Issa (Alassane Diong) vit ses derniers jours de peine lorsqu’il rencontre Gaëtan (Yoann Zimmer), un nouveau détenu épris de poésie. Les barreaux sont multiples pour Issa, qui est vite déchiré par une homosexualité conflictuelle et l’univers viriliste que constitue la prison.

Avec ce deuxième court-métrage, Josza Anjembe choisit de nous parler, dans cette métaphore douloureuse, de l’homophobie. Autour d’Issa, personne n’accepte une sexualité qui ne serait pas hétéronormée. Ni les détenus, ni sa mère qui semble ne pas vouloir reprendre contact. Du Bleu Blanc Rouge de mes cheveux (son premier film couronné de prix festivaliers) à Baltringue, on sent chez Josza Anjembe l’urgence de parler d’un monde intime constamment soumis aux violences étatiques, sociétales et institutionnelles. 

Manifesto XXI – Comment en es-tu arrivée à écrire le scénario de Baltringue ? Peux-tu aussi nous en dire plus sur le choix du titre, qui constitue un élément fort de ton récit ?

Josza Anjembe : Avec Baltringue, l’idée était d’explorer la question de l’homophobie intériorisée et de tout ce qui pouvait conduire l’individu à s’empêcher de vivre une relation homosexuelle. Ça a été un petit peu mon cas : pendant peut-être un an ou deux je me suis retrouvée dans des dynamiques où je m’empêchais de vivre des relations affectives et je me suis beaucoup questionnée à ce sujet. Au départ, c’était vraiment une envie de parler de l’enfermement mental, qui conduit à une forme de mutilation psychique. Je n’avais pas la force d’écrire sur des femmes, et l’exercice d’écriture fictionnelle m’a confortée dans le choix de mettre de la distance entre mon histoire et mon film.

En ce qui concerne le titre, Baltringue… je me suis questionnée sur comment on se définit en tant que LGBT. Qui dit « pédé », qui dit « gouine », qui dit « goudou » ? Tous ces termes que les minorités se réapproprient et qui n’ont pas le même impact quand ielles le prononcent. J’ai cherché des mots qui pouvaient à la fois désigner quelqu’un et en même constituer une insulte. Le terme « baltringue » m’est venu parce que, plus jeune, c’était l’insulte qui dominait, on ne parlait pas trop de « pédés ». Tous les hommes cis un peu efféminés, dans mon environnement, on les appelait les baltringues. Je voulais aussi explorer le renversement du stigmate.

Baltringue, Josza Anjembe, Yukunkun Productions 2020

Raconter une histoire de désir et d’amour entre deux hommes était donc une réaction à l’impossibilité d’écrire sur les relations lesbiennes ?

J’ai très envie de raconter des histoires d’amour entre femmes, mais au moment où je voulais les écrire c’était trop proche de moi. Je ne pouvais pas à la fois lutter contre mes démons et écrire dessus. Il fallait passer une étape dans ma vie intime, et le fait d’écrire sur des hommes me permettait de mettre de la distance entre moi et les personnages et de vraiment raconter une histoire autre que la mienne. Je n’ai pas été en prison, je ne suis pas un homme et donc je ne connais pas les relations homosexuelles entre hommes… c’était l’occasion pour moi de rester proche de la fiction et de l’exercice d’écriture du cinéma.

Tu parles du milieu carcéral comme d’une métaphore de l’enfermement mental. Comment s’est passé le tournage, les recherches inhérentes à l’écriture d’un scénario qui prend place dans un lieu qui nous est au départ inconnu ?

J’ai appréhendé le milieu carcéral avec des entretiens. J’ai assisté à plusieurs réunions de sensibilisation à la question carcérale organisées par le Genepi (une association anti-carcérale et féministe, ndlr), et ai aussi mené des ateliers d’éducation à l’image en détention. J’avais rencontré quelques détenus qui m’avaient raconté comment se passait la détention.

Je voulais absolument m’écarter du film de prison, en me concentrant sur un film qui parle d’une histoire d’amour. Je souhaitais que l’arène de leur histoire soit la prison, tout en m’assurant que cette arène soit crédible.

Josza Anjembe

Ces rencontres m’ont permis d’appréhender la vie quotidienne en détention, chose qu’on ne peut pas imaginer quand on est « dehors ». La violence de l’État, mais aussi celle d’autres détenus. Pendant un an et demi j’ai pu observer, et éviter les erreurs comme tourner une scène dans un réfectoire alors que ça n’existe pas dans les prisons françaises, et que chaque établissement pénitentiaire a ses propres règles. Le but était vraiment d’être au plus proche de l’humanité, ou du moins de ce qu’il en reste dans un établissement pénitentiaire.

Comment as-tu appréhendé l’image, le casting, la bande originale de Baltringue

J’ai rencontré Aurélien Marra, qui a signé l’image du film, assez tard. Il m’a touchée parce qu’il était à l’écoute alors que j’étais pleine de doutes. Je n’avais aucune certitude parce que c’était mon deuxième film, et que tout était différent : les enjeux étaient plus portés sur l’esthétique que sur mon premier court. J’avais une vraie envie de m’interroger sur la mise en scène de ce que j’allais raconter, sur les analogies (la menuiserie en est une par exemple), d’y mettre de la poésie. Avec ma scripte Louise Albon et Aurélien, on a beaucoup travaillé là-dessus en amont du tournage, pour que je leur donne ce que j’avais appris sur le milieu carcéral.

Ce qui m’avait beaucoup marquée, c’était l’absence de silence en prison. Il y a toujours un bruit, quelqu’un qui crie, les surveillants… Je n’y ai jamais vu de couleurs chaudes. En vérité on a tourné dans la prison qu’on a trouvée ; d’habitude pour ce qui est des décors, on a le choix, on visite des maisons, on choisit les rues… Et on a eu de la chance puisque mon producteur Nelson Ghrénassia avait rencontré le chef d’établissement de la prison de Reims qui est un grand cinéphile et qui avait déjà accueilli un tournage par le passé. On a tourné dans la prison avec tous les détenus, donc il fallait vite prendre la mesure des choses, à savoir que c’était le lieu de vie d’une centaine de personnes. Il a fallu s’habituer aux entrées, aux sorties, aux promenades, et ne pas déranger le travail de la détention. Si la prison était un travail esthétique fort, on s’est aussi adapté·es à ce qu’on trouvait sur le terrain. Les contraintes mènent parfois à de belles choses.

Baltringue, Josza Anjembe, Yukunkun Productions 2020

Pour le casting, j’ai fait appel à Judith Chalier. Je savais que je voulais quelqu’un de raffiné, et elle m’a présenté les photos d’Alassane Diong. Contrairement à mon premier court, j’ai décidé de ne pas donner la réplique en casting classique et de le rencontrer dans un bar. On a discuté de tout et de rien, jamais de cinéma. Je suis tombée sous le charme. Pour tous les autres acteurs c’était la même chose. Il fallait quand même que le couple formé par Alassane Diong et Yoann Zimmer soit crédible, donc on a travaillé une scène ensemble et c’était évident.

Pour la bande originale, j’étais dans l’optique de faire appel à des femmes et des personnes queers pour ce film. J’ai rencontré Kaipy et Kelly Carpaye en jouant au foot, et je leur ai proposé de venir voir le film en salle de montage. Elles ont adoré, et je leur ai donné carte blanche pour la bande-son en leur donnant deux mots-clefs : empêchement et amour.

C’est ce genre de collaboration qui m’intéresse dans le cinéma, de pouvoir dire « je veux collaborer avec telle ou telle personne » parce qu’on a une sensibilité politique commune.

Josza Anjembe

Le cinéma français manque cruellement d’une représentation des personnes queers et racisées par des personnes queers et racisées. Est-il toujours aussi difficile d’avoir accès aux financements nécessaires aujourd’hui, d’après toi ? Par rapport au cinéma anglo-saxon, vois-tu le cinéma français comme « à la traîne » sur ces questions ? 

C’est sûr qu’on est à la traîne. Celui ou celle qui ne le voit pas ou qui ne veut pas l’entendre, c’est que c’est un choix. Les queers de manière générale, racisé·es en plus, sont très peu représenté·es dans le cinéma français. C’est un constat, et je ne suis pas la seule à le faire. D’après moi, le cinéma ou l’art en général ne peuvent pas tout sauver : on peut rêver, susciter des envies, mais il y a des volontés politiques qui existent. De manière systémique, on est très en retard en France. Il y a toujours une homophobie systémique, un racisme systémique…

Pour la question des financements, je ne peux pas trop te dire puisque je n’ai réalisé que deux courts-métrages. J’ai la chance d’avoir un producteur qui va les chercher. Mais je comprends tous·tes celles·ceux qui refusent de passer par le financement institutionnel, parce que nos institutions sont empreintes de toutes ces discriminations, et qu’iels n’ont pas envie d’en passer par là pour faire des films. C’est aussi compliqué, parce qu’on ne sait pas comment se font les délibérations ou ce qu’il s’y dit quand on envoie un scénario. On ne sait pas si le scénario est refusé parce que certain·es considèrent que le racisme, l’homophobie, la transphobie ou la grossophobie ne sont pas des sujets importants. On peut juste constater une tendance si on ne voit que des personnages blancs à l’écran, ou si les personnes racisées meurent au bout de 10 minutes et ne jouent que des rôles d’escrocs. J’ai eu la chance d’être financée, mais je vois autour de moi que c’est toujours aussi difficile, avec des scénarios qui ne sortent pas et des financements qui tardent.

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As-tu des influences cinématographiques fortes ? Ou est-ce que la réalisation de Baltringue et Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux est partie de quelque chose de plus organique ?

C’est très organique. À la base je ne suis pas du tout cinéphile. Je le suis devenue récemment, mais mes influences ne sont pas esthétiques, je ne pense pas à x ou y quand j’écris :

Je pense à ma famille, à mes potes, aux gens que je rencontre dans la rue, à la misère que je vois tous les jours, aux luttes que mes sœurs d’armes mènent quotidiennement. C’est ça qui m’anime, comment on fait du commun ensemble.

Josza Anjembe

En parlant de ton précédent court-métrage (Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux) : il offre un point de vue très fort sur l’immigration, une idée « d’intégration », la violence institutionnelle… Peux-tu nous en dire quelques mots, quels aspects autobiographiques s’il y en a, et le chemin d’écriture parcouru entre tes deux courts-métrages ?

J’ai commencé à écrire après m’être fait larguer, et autour de moi on me disait que c’était bien. J’ai fait quelques stages d’écriture et j’ai rencontré une scénariste qui m’a conseillé d’écrire sur ce que je connaissais, sur l’intime. Du coup j’ai décidé de commencer à tricoter autour d’une expérience passée : en voulant refaire une photo pour mon passeport, on m’a dit « vous êtes hors cadre » à cause de mon afro. J’ai commencé à écrire Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux autour de cette violence institutionnelle, en sachant que j’y intègrerai cette scène et une scène de tonte. Le reste est fictionnel.

Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux, Josza Anjembe, Yukunkun Productions 2016

Entre ce film et Baltringue, je n’ai pas vraiment de trajet clair en termes d’écriture. C’est assez égoïste, j’écris sur ce qui me traverse, sur ce qui me fait violence, et sur ce que je voudrais voir advenir. Il n’y a pas vraiment de lien entre ces deux films. Si je n’ai pas l’absolue nécessité de dire les choses, je n’y vais pas. Par contre, j’ai mis beaucoup plus d’énergie dans l’hors-champ, la mise en scène et le son pour Baltringue, parce que j’ai vraiment commencé à y faire attention au cinéma.

Où pourra-t-on te retrouver par la suite ? As-tu d’autres projets de films en développement ?

Oui, parce qu’avec Baltringue j’ai atteint mes objectifs de mise en scène mais je trouve que cette histoire n’est traitée qu’en surface dans un format court. Du coup je suis en train de préparer quelque chose autour de ce récit !

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