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Hortense Belhôte, un regard intime sur l’érotisme dans l’art classique

Hortense Belhôte, un regard intime sur l’érotisme dans l’art classique

Hortense Belhôte, historienne de l’art et comédienne, libère les corps et les esprits dans ses conférences performées « Les arts du sexe », récemment adaptées en une websérie « Merci de ne pas toucher » diffusée sur ARTE. S’y déploie un nouveau regard, tant personnel et intime que malicieux et sensuel, sur des « chefs-d’œuvre » de la peinture classique. 

« Les ‘grands maîtres’ n’ont qu’à bien se tenir car ici on touche à tout, le quotidien devient un musée vivant et le passé s’incarne dans les corps d’aujourd’hui. » Que ce soit sur scène ou sur le web, Hortense Belhôte fait dialoguer cultures et époques, jouant sur une mise en scène triviale pour porter un discours critique et rendre compte de problématiques contemporaines liées au genre et aux sexualités. En popularisant et désacralisant des concepts théorisés par des historien·ne·s et universitaires, elle nous invite à faire évoluer nos perceptions, à (dé)construire nos représentations et à interroger nos imaginaires érotiques. Rencontre.

Capture d’écran de « Merci de ne pas toucher »

Manifesto XXI – Est-ce que tu peux revenir un peu sur ton parcours ?

Hortense Belhôte : Mon parcours est un petit peu à l’image de la série puisque j’ai un master 2 d’Histoire de l’art de l’Université Paris Nanterre. En même temps que ma licence, j’étais dans un petit conservatoire d’art dramatique d’arrondissement à Paris. Ensuite, pendant dix ans, j’ai enseigné l’histoire de l’art dans des écoles de design et de marché de l’art sur Paris, tout en étant interprète dans des spectacles de théâtre ou de danse contemporaine. Je faisais les deux un petit peu côte à côte, mais depuis le départ, je sais très bien que ce que je sais faire de mieux, c’est les deux en même temps. Il y a quinze ans, j’avais déjà écrit une pièce de théâtre qu’on a jouée dans les amphis. C’était déjà de l’histoire de l’art qui partait en sucette et qui se terminait par des tableaux vivants, donc c’est une tradition très ancienne (rires)

Ces dernières années, j’ai réussi à trouver un entre-deux avec la forme des conférences performées, qui sont comme des cours : il y a un contenu historique, et en même temps un truc un peu spectaculaire. C’est très écrit mais c’est plus de l’ordre de la performance que du spectacle puisque ce qui fait spectacle, c’est plutôt un rapport au réel, à l’intime. Il y a par exemple cette conférence sur l’histoire du football féminin que je tourne pas mal dans des lycées, dans laquelle je raconte beaucoup de choses personnelles et qui donnent lieu à chaque fois à des débats et à des échanges avec les classes, et c’est surtout ça qui m’intéresse. 

Cette série « Merci de ne pas toucher » est née d’une de ces conférences performées, sur l’érotisme dans l’art classique, que j’avais donnée pour répondre à une commande, à une demande amicale du Festival du Film de Fesses en 2017, dans laquelle je faisais une espèce de cours d’histoire de l’art. Dans le contenu, c’était à peu près la même chose du point de vue de l’analyse féministo-queer, mais par ailleurs je faisais un effeuillage au fur et à mesure de la conférence. Je finissais avec une culotte batman, et ça, ARTE n’en voulait pas parce qu’iels ont des chartes de pudeur, et c’est très bien. Pour l’adaptation en websérie de cette conférence, on a dû inventer avec la boîte de prod et avec ARTE un nouveau format que je n’avais jamais expérimenté : la vidéo, qui n’était pas forcément mon endroit de travail.

Comment en es-tu venue à analyser l’art sous le prisme de l’érotisme ?

C’est cette commande du FFF qui a tout déclenché. J’avais accepté parce que j’avais déjà sous le coude la conférence quasiment prête, à cause d’une copine de fac, conservatrice, qui m’avait demandé de faire ça pour son EVJF (ndlr : enterrement de vie de jeune fille). J’ai aussi un rapport très personnel et non pas sensuel, mais en tout cas très intime avec les œuvres d’art d’une part, mais aussi et surtout avec le savoir en règle générale et la pensée. Ce que j’adorais quand j’étais à l’université, c’était d’entendre les gens parler, que ce soit les profs ou les intervenant·e·s lors d’un colloque. J’étais assez obsédée par l’idée de voir comment leur intimité d’individus pouvait résonner avec le sujet historique dont iels étaient en train de nous parler. Tout ça n’a toujours fait qu’un pour moi et je pouvais lire un bouquin en étant vraiment passionnée, mais passionnée intimement. 

Si ça fait du bien aux gens, c’est aussi parce que ça donne un repère et c’est apaisant, c’est réconciliant culturellement.

Hortense Belhôte

Est-ce qu’il y a un côté militant dans le fait de se servir de ton bagage intellectuel et théorique pour déconstruire l’histoire de l’art, tout en le partageant à un public ?

Ça devient militant de fait. C’est ce rapport intime qui m’a amenée à développer ces sujets-là. Aussi, parce que je suis une femme et que c’est quand même très bizarre que tous ces tableaux anciens ne soient que des trucs de mecs commandés par des mecs, blancs, riches, etc. Par ailleurs, étant homosexuelle, j’ai aussi un désir qui ne s’exprime pas exactement de la même manière et surtout un rapport au corps et à mon corps qui s’exprime différemment. Et au-delà, culturellement, même si je suis française, je ne suis pas uniquement influencée par la culture classique. Donc c’est vraiment à partir de ce que j’étais moi, une meuf lesbienne de culture occidentale, entre autres, que je me suis demandée comment ces choses-là pouvaient me parler. Et elles résonnaient en moi spontanément, sur des éléments un peu différents que là où ça résonne chez la plupart des gens, mais ce n’était pas un désir de me mettre aux goûts du jour du queer. En ça, ce n’est pas une volonté.

Le gros problème que ça pose et que j’ai pu vivre moi aussi dans mon intimité, c’est comment, que ce soit à travers les films ou les tableaux, il y a tout un tas de gens qui ne se sentent absolument pas représentés dans leurs désirs et dans leurs manières de voir les choses. Iels peuvent avoir un imaginaire très fort, un peu comme ça a été le cas pour moi, c’est-à-dire que je compensais tout par mon imaginaire et mes associations d’idées pour essayer de reconstruire une zone culturelle dans laquelle je pourrais me sentir à l’aise et dans laquelle je pourrais me reconnaître, mais disons que ça n’avait d’existence que dans ma tête. Donc c’est très dur, il y a une part de souffrance culturelle d’être comme ça et d’être toujours celui ou celle qui doit faire l’effort d’aller comprendre, d’aller compenser, d’aller adapter. En ça, c’est peut-être militant d’avoir voulu que ça sorte de ma tête, et que ça puisse être partagé, parce que ça me faisait du bien que ça sorte à un moment, de l’imposer. Si ça fait du bien aux gens, c’est aussi parce que ça donne un repère et c’est apaisant, c’est réconciliant culturellement.

Tu poses également un regard féminin sur des œuvres qui ont longtemps été scrutées par des hommes, voire même au-delà de ça, qui ont été réalisées par des hommes et sont le pur produit du male gaze, de l’érotisation du corps féminin par des hommes, de la projection de leurs désirs et fantasmes sur le corps des femmes…

Oui, c’est un petit peu ce que je fais sur les Dianes. À la fois l’épisode de Diane et Callisto a toujours un peu été le seul épisode de représentation d’amour lesbien dans la peinture classique, ce qui est chouette ; et en même temps, les Dianes au bain, ça a toujours été du voyeurisme par excellence. À part dans la représentation des colères de Diane, on leur a toujours un peu refusé cet aspect puissant au profit d’une lascivité de nanas nues dans l’eau, et on se retrouvait dans quelque chose d’assez pervers effectivement. Après, je ne ressens aucune  misandrie par rapport à ça. Par exemple, j’aime Michel-Ange et Rubens.

J’adore Michel-Ange parce que dans ses œuvres, tout le monde est bodybuildé, les hommes, les femmes, on ne sait même pas qui est quoi : tout le monde a une musculature hypertrophiée. J’adore lire Michel-Ange, non pas en le considérant comme un homosexuel refoulé ; je trouve juste très beau cet espèce de désir et d’égalité des corps. Là où d’habitude on va avoir un Adam avec la peau un peu plus foncée, qui va être très musculeux, et Ève qui va être beaucoup plus claire de peau, avec aucune attache, pas de représentation des coudes, pas de représentation des poignets, etc., qui doit être toute lascive et toute molle comme un mollusque, chez Michel-Ange ce n’est jamais le cas, et j’adore.

Chez Rubens, pareil. Dans ses tableaux, c’est plutôt autre chose, les femmes sont plantureuses. Disons que typiquement dans un tableau comme Hercule et Omphale, même dans le choix de ce sujet et dans la manière de le représenter, je trouve qu’il y a un truc où les rondeurs d’Omphale répondent aux muscles ronds d’Hercule, et il y a aussi un rapport d’égalité que j’aime beaucoup. Et puis chez Manet, je pense qu’il y a quelque chose de l’ordre du féminisme. Après, je ne le connaissais pas (rires), mais il y a quelque chose où je me retrouve beaucoup parce qu’il joue avec la culture de ses contemporain·ne·s, en sachant lui-même qui il représente. Il demande à ses potes, à la femme de son pote, à son beau-frère et à une meuf comme ça qu’il a rencontrée, de poser dans les poses de tableaux anciens. Toute la provocation de son œuvre c’est de demander à ses contemporain·ne·s de reproduire des tableaux, et les gens vont y voir une pute, un machin, un truc. C’est déjà un jeu.

Tu as commencé ton travail par des conférences performées. Comment envisages-tu la performance ? Il y a quelque chose de l’ordre du corps qui se livre dans la performance, qui fait clairement écho à ton propos, non ?

Très bizarrement, mes conférences performées ont fini par être hébergées par une compagnie de danse contemporaine alors que je n’ai absolument pas de formation dans cette discipline. La danse contemporaine est, d’une, très ouverte. De deux, elle place au centre et de manière très nouvelle cette question du corps. Alors qu’il n’y a que très peu de parole en danse contemporaine et même s’il y a abondance de mots comme chez moi, mes conférences performées sont 45 minutes de « il faut tenir le crachoir » ; bizarrement, ces mots-là, la manière dont mon corps s’anime et dont les images résonnent sur moi, finissent par mettre en jeu quelque chose. Dans les conférences que je faisais pour le Festival du Film de Fesses, j’interrogeais un truc très simple, un effeuillage progressif. Je pouvais finir à moitié nue et on me disait « oh, merci beaucoup j’ai appris plein de trucs ». On a fini par oublier la nudité. C’est aussi une manière de blaguer avec son corps, j’aime bien ça. Ça instaure tout de suite un rapport intime avec la personne, un rapport de respect parce que c’est un peu gênant. On marche tout de suite un peu sur des œufs quand quelqu’un est en culotte devant soi, ça produit une sensation de fragilité évidente.

Il s’agit de se dire « nos corps d’aujourd’hui sont beaux, ils sont tout aussi beaux que ceux d’avant.

Hortense Belhôte

Dans tes conférences, il y a à la fois la transmission d’un savoir, légère et humoristique, et le partage de vécus et d’anecdotes personnelles. Y a-t-il une forme d’empowerment dans la transmission ?

Complètement, et c’est bien dit de voir l’empowerment dans l’humour. Franchement, pour n’importe quel comédien·ne, quand tu fais une blague à un public et que 300 personnes rient, et sur ARTE ce sont 300 000 personnes (rires)… je n’avais jamais eu une audience comme ça pour une blague, c’est un pouvoir complètement dingue.

Comment ta pratique performative t’a-t-elle amenée à la websérie ? Comment tes différentes pratiques se nourrissent-elles entre elles ?

La websérie, de fait, c’est une opportunité qui s’est présentée un peu par hasard parce que c’était dans le cadre du FFF, il y avait beaucoup de gens qui venaient du monde de l’audiovisuel dans le public, donc dès qu’iels ont vu la conf, iels ont direct pensé à une adaptation vidéo. J’avais déjà commencé à faire des petites vidéos chez moi, en animant des tableaux avec juste une voix off. C’était donc quelque chose que j’avais dans la tête depuis longtemps. Comme on joue sur des images, comme on parle d’images, c’était logique de faire de l’image avec l’image. Au lieu de pleurer sur le fait qu’on ne lit plus assez de livres, qu’on ne va plus dans les musées, tout d’un coup, de dire que ce n’est pas grave, moi non plus je ne lis pas tant que ça, je ne vais pas tant que ça dans les musées, de se dire que ça ne nous empêche pas d’avoir une pensée qui soit complexe sur les images. Profitons de nos yeux qui sont capables de traiter plein d’informations en même temps à des vitesses assez rapides, profitons de parler à nos yeux.

J’aime bien le format de la websérie, ça m’a vraiment toujours plu. J’aime le fait que ce soit gratuit, en accès libre, qu’on puisse aller la voir quand on veut, par rapport à la télévision où il y a un horaire, ou le cinéma, les projections etc. Mais j’aime autant le côté événementiel du théâtre justement parce que ça se passe à un moment et qu’il fallait y être, il n’y a pas de vidéo possible et c’est un truc qui s’est joué dans l’instant. J’aime bien que les performances ne soient pas filmées et qu’il faille aller les voir, qu’elles puissent évoluer au fil du temps, qu’elles permettent d’avoir un rapport à l’imprévu, à la réponse en fonction de ce que le public amène, en fonction de l’accident, etc. C’était ça qui me faisait le plus peur dans le passage à la websérie, de ne pas voir ce que les gens pensent ni où est-ce qu’iels en sont, est-ce qu’iels me suivent ou pas, est-ce que là iels sont chaud·e·s ou pas, est-ce que cette blague je peux l’amener ou pas… Tu n’as aucun retour en temps réel, donc il y a une petite évolution stylistique qui a dû se faire, tout un tas de blagues hyper lourdes qui passent en performance et qui ne passent pas en vidéo donc j’ai dû me retenir (rires)

Quand on parle d’art ancien européen dans les musées, on est dans la culture de la domination bourgeoise donc réactualiser tout ça comme une espèce de chasse gardée, comme un rapport ascendant, dans le but de faire connaître ces œuvres-là.

Hortense Belhôte

Tu t’ouvres à un public beaucoup plus large aussi, et la websérie a un large écho…

J’avais ouvert un compte Instagram pour la série, mais j’ai découvert Instagram il y a seulement un an. En juillet dernier, pendant le tournage, mon pote, qui faisait le maquillage et la coiffure, m’a montré comment on faisait une story. Moi je sors des âges farouches, mais du coup je m’étais dit, « je fais une websérie, il faut que j’aie une présence sur le web », c’est logique. Donc oui, il y a mille personnes par jour qui m’envoient des petits cœurs (rires), et je ne sais pas du tout comment on gère tout ça. Là où je suis plutôt contente, c’est que tout ça est très bienveillant, donc c’est juste du gros kiff de tout d’un coup : en termes d’audience, de résonance de son propos, waouh, c’est hyper bien. Ce côté du web, c’est comme si je jouais au stade de France, mais je parle à chacun·e, individuellement, en tête-à-tête. C’est un peu le rêve ça. 

C’est également une lecture personnelle, engagée, influencée par notre époque que tu proposes : rendre accessibles ces tableaux, les rapprocher de nous. Il y a quelque chose de l’ordre de la désacralisation.

Oui, et puis surtout, je suis assez critique envers la vulgarisation de l’art, parce que justement, ça rejoue une espèce de sacralisation, une mise à distance, des frontières, de l’exclusion. Quand on parle d’art ancien européen dans les musées, on est dans la culture de la domination bourgeoise donc réactualiser tout ça comme une espèce de chasse gardée, comme un rapport ascendant, dans le but de faire connaître ces œuvres-là…, je n’ai pas forcément envie que ces œuvres soient connues pour être connues. Il y a des peintres, si on n’en a plus besoin, on les oublie. Et il y a des œuvres dont on se fout. Je n’ai aucune foi en ça. Par contre, j’essaie de partager ce que j’y ai trouvé d’extrêmement intime, et, effectivement, j’utilise l’aura de ces œuvres, que ce soit pour les bourgeois·es ou pour celles et ceux qui en sont exclu·es. On a tout de suite ce truc de « il faut savoir » ou « c’est précieux », j’en suis consciente mais j’utilise ça, parce que je trouve que c’est hyper violent de dire à quelqu’un·e « ah, mais tu ne connais pas Titien ?  ». C’est d’une violence rare, de la même manière que quand on dit « mais tu n’as pas vu ça sur Netflix ? ». Je n’ai pas Netflix, chacun·e sa culture.

L’exclusion culturelle est quelque chose de très important et qui m’énerve. Si quelqu’un·e a fait une thèse sur Rubens, iel y lira autre chose que quelqu’un·e qui ne sait même pas qui c’est. Mon but, ce n’est pas qu’iel ressorte en ayant appris la date ou un grand nom, c’est qu’iel ressorte en ayant compris un levier de libération que Rubens propose. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être de grands maîtres sacralisés, panthéonisés, ces gens-là, on les aime aussi parce qu’ils sont artistes et donc nous aident à vivre. On n’a pas à les vénérer comme des saints. On a juste à dialoguer avec eux et c’est tout, pour recréer un dialogue et que les gens se sentent légitimes à mettre ces œuvres-là en dialogue avec leur quotidien.

Capture d’écran de « Merci de ne pas toucher »

Tu proposes une relecture féministe de chefs-d’œuvre de l’art classique. Comment te places-tu par rapport au féminisme, à l’érotisme, aux sexualités ?

Féministe, je le suis complètement et ce, au-delà de la question des débats de quel genre de féminisme. Le fait d’être une femme et de parler de tout ça, c’était une manière de me placer en position de sujet. J’aurais pu raconter n’importe quoi sur ces objets-là, même des trucs fachos, le simple fait de dire que je suis une femme et que je parle et qu’on m’écoute, en ça c’est du féminisme. Peu importe après que mon féminisme soit teinté de queerness. C’est simplement le fait d’être une femme et de se sentir suffisamment légitime pour parler des choses. Alors là aussi, je profite du fait que je sois française, que j’aie fait des études supérieures, que j’aie une culture bourgeoise, donc si même moi je ne me sens pas légitime de m’approprier le sujet, je ne vois pas qui va se sentir…

Sur l’érotisme et la sexualité, ce que je trouve hyper important, c’est de présenter le caractère encyclopédique, c’est-à-dire que des sexualités, il y en a mille, et au-delà de l’hétérosexualité ou de l’homosexualité. Il y a mille manières : la masturbation, l’amitié ambiguë dans le tableau de Caravage – un truc qui n’est pas forcément sexualité en fait, on ne sait même pas ce que c’est, de la sensualité ? –  jusqu’à la pipe dans les fourrés qu’on évoque avec le Saint-Sébastien. Ce que je voulais raconter aussi, c’est qu’au-delà du female gaze, toutes ces sexualités-là, tout ce dont j’ai parlé dans la série, tout ça m’excite. Je pense que tout le monde a une sexualité assez protéiforme en fait.

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Le gros problème que ça pose et que j’ai pu vivre moi aussi dans mon intimité, c’est comment, que ce soit à travers les films ou les tableaux, il y a tout un tas de gens qui ne se sentent absolument pas représentés dans leurs désirs et dans leurs manières de voir les choses.

Hortense Belhôte

J’avais lu que tu souhaitais « mettre la marge au centre et inversement ».

C’est hyper important oui, c’est justement cette espèce d’absence de légitimité qu’on peut avoir culturellement. L’idée est de réinterroger ce qui est le cœur de notre culture et de se dire qu’au centre même de la culture classique qu’on considère comme patrimoniale et panthéonisée, il y a tout un tas de groupes sociaux traités comme nouveaux et à la marge qui peuvent complètement se reconnaître. Mon jeu sur les époques, le fait de faire dialoguer passé et présent, c’est pour dire que la modernité n’existe pas. Est-ce qu’on considère comme des catégories sociales nouvelles et contemporaines celles qui seraient soumises à des questions de « est-ce dangereux ? cela va-t-il tout détruire ? ». Ça ne va rien détruire du tout puisqu’en fait c’est là que se trouve la question de la déconstruction et de la construction. Je crois qu’on peut être dans une démarche de déconstruction sans vouloir nécessairement tout péter. C’est plutôt de dire « c’est nous le centre », et c’est peut-être Stéphane Bern et Laurent Deutsch qu’il faudrait intégrer à notre grande culture et non pas à eux de nous intégrer à leur grande culture. 

Il y a aussi une vraie rhétorique de l’image entre classique et moderne aujourd’hui, en reproduisant les tableaux…

Il faut absolument dire que dans le générique on a mis « Une série d’Hortense Belhôte » parce qu’iels voulaient que ce soit plus simple et plus efficace, mais je n’étais pas du tout seule. Il y a quand même une réalisatrice, Cecilia de Arce, qui a complètement compris le délire. C’est grâce à elle aussi que la mise en scène fonctionne. Une cheffe op, Juliette Barrat, qui a justement un rapport à l’image très pictural. C’est ce qui fait que, même si on a des décors pop et pas forcément toujours très beaux, il y a une espèce de puissance qui se dégage de nos tableaux vivants et de l’image globalement, une espèce de beauté qui fait énormément partie de cet empowerment là. Il s’agit de se dire « nos corps d’aujourd’hui sont beaux, ils sont tout aussi beaux que ceux d’avant ». Et ça, ça tient quand même beaucoup de Cecilia, de Juliette, et puis d’Hugo Bardin au maquillage-coiffure-costumes et de Loïc Vanelle à la déco. Sérieusement, sur la question de l’image, je n’aurais jamais pu faire et même penser un truc aussi bien, aussi beau, ça participe tellement au propos. 

Des recommandations pour une lecture plus inclusive et/ou subversive de l’art ? 

Ce serait plutôt de tout lire avec un regard critique. Il y a des bandes dessinées d’aujourd’hui qui se veulent émancipatrices, féministes mais qui continuent quand même à réactualiser tout un tas de conneries donc la contemporanéité n’est pas forcément un espace safe non plus. Il y a beaucoup de choses qui se font actuellement qui sont tout aussi dangereuses qu’un vieux bouquin d’un fond de tiroir. Par contre, parfois, il y a de vieux bouquins à l’intérieur desquels on va avoir un truc qui va être un levier d’émancipation, comme chez Panofsky. Il y a des éléments dans les fondamentaux de l’histoire qui sont quand même vraiment intéressants. Et sinon, ce sont toutes les publications sur l’art brut. Pour moi, faire de l’histoire de l’art, c’est commencer par l’art brut, parce que c’est l’art qui échappe à l’histoire de l’art, donc je pense que si on veut comprendre quelque chose à l’art, il faut s’attaquer à ça.


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Image à la une : capture d’écran de « Merci de ne pas toucher »

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