Gagarine, le portrait singulier d’une cité

Gagarine croise les destins d’un jeune homme désœuvré, Youri, et d’un immeuble, la Cité Gagarine d’Ivry, bâtiment emblématique de la ceinture rouge parisienne. Dans ce premier long-métrage à l’esthétique et au sujet délicatement réfléchis, les réalisateur·rices Fanny Liatard et Jérémy Trouilh construisent une narration originale.

Montrer une cité, son histoire, la population qui y vit, les images en noir et blanc de l’inauguration, le premier arbre planté, les premiers sourires, la liesse d’un collectif qui s’installe et découvre dans les années 60 une forme de confort et de stabilité entre ces murs. Dès les premières minutes de Gagarine le cadre est posé.

Dans ce film l’on s’intéresse à Youri (Alsény Bathily), un jeune de 16 ans ayant toujours vécu à Gagarine avec sa mère, absente ces derniers temps à cause de sa vie avec un nouvel homme. Youri vit donc de sa débrouille personnelle, de la solidarité de ses voisin·es et ami·es, comme Houssam (Jamil McCraven) et Diana (Lyna Khoudri), jeune fille rom installée sur un terrain à proximité avec sa famille. Ensemble iels cherchent tant bien que mal à éviter la destruction annoncée de la cité qui les entourent.

Faire autrement

Gagarine s’inscrit ainsi en opposition au « film de banlieue » tel qu’on le connait en France. Production où on tombe fréquemment dans le biais du film policier qui retrace des faits de violence, avec des violences au premier plan de l’intrigue, comme cela peut-être le cas dans Les Misérables de Ladj Ly, sorti en 2019, ou dans le classique La Haine (1995). Gagarine indique ainsi une forme d’espoir, dans un registre qui se veut plus stylisé, et moins naturaliste dans son approche.

Dans ce film précisément, de nombreuses thématiques s’entrecoupent pour interroger le vivre ensemble, le sens de la cité, la proximité et l’attachement que l’on porte singulièrement et chacun·e à notre manière aux lieux qui nous entourent. Tout au long du film la cité Gagarine est filmée à grands coups de plongés et contre-plongés comme un personnage, comme un corps à part entière. Un corps malade, que Youri tente de soigner avec le peu de moyens que lui accorde sa situation.

Être chez soi

La relation entre Youri et Gagarine se développe telle une obsession. Abandonné suite à l’évacuation des lieux par son entourage et par sa mère – personnage donc totalement absent du début à la fin du film, qui n’intervient que dans une lettre et via des boites vocales – Youri se réfugie dans cet immeuble qui est le seul lieu où il se sent être chez lui. 

© Haut et Court

Les modes d’habitat sont questionnés constamment dans ce film. Le personnage interprété par Lyna Khoudri doit batailler pour vivre au prisme d’une société qui veut masquer, effacer ces individus qui ne correspondent pas aux standards de vie attendus. La scène d’expulsion du camp où elle vit montre la déshumanisation la plus totale appliquée aux plus démuni·es qui se retrouvent dans l’impératif se déplacer sans cesse de terrain en terrain. 

Basculer dans le merveilleux

La seconde partie du film s’inscrit presque hors du temps, effectuant un revirement poétique amené avec légèreté. Youri est face à lui-même en apesanteur dans un bâtiment au bord du gouffre, prêt à être démoli. L’analogie entre ce qu’incarne le vaisseau spatial et le bâtiment est constante. Youri est le seul maitre à bord, construisant son chez soi au même rythme que les ouvriers décarcassent chaque mur et chaque pièce de la cité. 

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C’est un rêve éveillé qui s’offre à nous, sans prévenir. C’est tout un écosystème de survie que le jeune homme a créé, un cocon de technologie. Du « film de banlieue », Gagarine empreinte maintenant aux films sur l’espace, on pense ici au High Life de Claire Denis, son caractère paradoxalement anxiogène, confiné, et pourtant ressourçant. Tout cette démonstration sociologico-poétique se trouve servie par une maitrise impeccable et sincère de l’image. La lumière, de jour comme de nuit, vient magnifier les moments de vie et de flottements que réservent la cité Gagarine.

Image à la Une : © Haut et Court

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