Lecture en cours
FUGLY. « On ose faire ce que les autres ne font pas »

FUGLY. « On ose faire ce que les autres ne font pas »

Quatre créatures, magnifiques, étranges et fascinantes, ont surgi en furie des entrailles du monde il y a déjà quelques mois. FUGLY est né. Alice Psycho, Calypso Overkill, La Kahena et Sativa Blaze ont uni leurs forces dévastatrices pour créer ce collectif de drag queens sanguin. Le principe est simple : un afterwork mensuel comprenant des performances délirantes sur un thème précis à chaque fois.

Après la « Y U Fugly ? » et la « Drag Suicide » ayant réuni près de deux cents personnes par show, les reines ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Impossible de ne pas s’accrocher, de ne pas se prendre de sympathie pour ces quatre personnages ayant pour dénominateur commun de ne donner aucun fuck et de ne respecter aucune règle. Bizarrerie, provocation et attitude : comme toutes les queens elles en sont dotées, mais mieux que quiconque elles savent briller. Discussion fleuve dans les méandres d’un art hors du commun avec la House of FUGLY.

© Marie-Sarah Piron

Manifesto XXI – Est-ce que vous pouvez présenter le concept de FUGLY ?

Sativa Blaze : À la base on est toutes un peu copines, on se connait grâce au drag. On s’est rencontrées sur différents events, notamment les Jeudis Barrés et la Drag me. On traînait pas mal ensemble et FUGLY est venu un peu naturellement. Il y a eu un élément déclencheur, c’était le Superball. On s’est rendu compte qu’on se retrouvait toujours à travailler toutes ensemble et qu’on le faisait bien. Du coup on a fait une contre soirée. On est allées toutes les quatre dans la cuisine et FUGLY a été créée. À l’origine, FUGLY ça vient d’une private joke entre nous.

Quand on se maquille on se regarde on se dit « Why you fugly ? Pourquoi tu es fucking ugly ? ».

Du coup c’est resté, on s’est dit que ça nous représentait bien. On a fait un photoshoot pour marquer le début, et deux jours après on a été contactées par Agnès et Juliette pour nous proposer de venir faire une soirée.

Alice Psycho : Au stade de France.

Sativa Blaze : Au Trac en fait. La première soirée s’est lancée et le succès a été un peu plus qu’au rendez-vous, et du coup on continue. La FUGLY c’est nous quatre qui faisons des performances en solo, en duo, en quatuor. À chaque fois on a des thèmes assez particuliers. La première c’était « Y U FUGLY ? ».

Alice Psycho : C’était pour expliquer pourquoi on existe, pourquoi on a fondé un collectif. Est-ce que c’est juste pour prendre des photos sur Instagram ou on va vraiment faire des trucs ? La deuxième FUGLY c’était « Drag suicide ». C’est un exercice de style du drag où tu montes sur scène et d’autres personnes ont choisi la chanson à ta place, tu sais pas ce que c’est et tu dois te démerder pour lip-syncer le mieux possible.

Calypso Overkill : Un peu comme une preuve qu’en tant que performeur tu peux tout faire même si tu ne sais pas ce qui va se passer.

Alice Psycho : La troisième c’est « Rageuses », pour le shade, pour pouvoir se moquer de nous-mêmes ou des autres. C’est un peu low key pour enterrer la hache de guerre de tout le drama de l’an dernier chez les drags à Paris. C’est un peu un moyen d’en rire, de manière bon enfant.

Sativa Blaze : Le shade c’est de la taquinerie, être mesquin entre nous pour rire.  La différence entre le shade et l’insulte, c’est que ça part d’un bon sentiment et que c’est drôle. Tu shades quelqu’un que tu connais et que tu apprécies. Une personne que tu n’aimes pas tu vas juste pas lui parler.

Alice Psycho © Marie-Sarah Piron

Pourquoi le shade a autant de place dans le drag ?

Sativa Blaze : Je pense que dans le drag, il y a cette question d’empowerment, de prise de pouvoir.

Vu qu’on se fait toujours insulter dans la rue, on se dit « Autant s’insulter entre nous, se construire nos boucliers et comme ça on est plus forts. »

Calypso Overkill : C’est s’approprier les insultes, un peu comme les pédés.

Alice Psycho : Et puis il y a un petit côté compétition dans le drag, tu es toujours en train de regarder ce que l’autre fait mieux. C’est aussi une manière de créer de l’émulation, de désamorcer aussi la vraie agressivité qui peut naître. Si on ne se taquinait jamais, on serait juste toutes seules chez nous à ruminer notre vraie vengeance. D’où la naissance de FUGLY.

Qu’est-ce qui vous rend différentes ?

Alice Psycho : On est FUGLY, plus que tous les autres.

Calypso Overkill : On ose faire ce que les autres ne font pas. Comme ça. (en se montrant)

On n’a pas peur d’être moches.

Pour nous le drag c’est un moyen d’extérioriser nos côtés artistiques et dans l’art, on trouve qu’il n’y a pas de limites. Ça se voit dans les performances.

Sativa Blaze : Après ce qui nous différencie toutes c’est qu’on a des personnalités assez fortes, à travers la fibre artistique, l’alter ego.

Alice Psycho : On est aussi le seul groupe de drag à autant performer, notamment en duo, à collaborer dans le cadre des shows. D’habitude c’est plus individualiste, avec quelqu’un qui dirige le show et invite des performeurs solo.

Sativa Blaze : On a un amour commun des perfs travaillées, qui ont du sens. À Paris c’est une scène en pleine extension, mais on a des choses que les autres n’ont pas. Mais on a pas à se plaindre, alors qu’en province c’est plus difficile, il n’y a pas de show. Elles vont surtout performer en club, il ne va pas y avoir cette théâtralité du show. On a commencé toutes un peu clubbing, don’t get me wrong. Sauf que c’est vraiment trop chiant, parce que les gens n’apprécient pas vraiment l’art du drag, ils sont défoncés, vont te toucher les cheveux, ne vont pas comprendre. Ils ne viennent pas là pour ça, ils ne sont pas sensibilisés. Je trouve qu’on est assez chanceuses à Paris d’avoir cette culture du drag show.

Calypso Overkill © Marie-Sarah Piron

Ça a beaucoup changé la scène à Paris ?

Alice Psycho : Ah oui, rien que le nombre de gens qui font du drag maintenant. Ça croit de manière exponentielle, on a de plus en plus de shows, de plus en plus de négociations sérieuses avec des organisateurs de soirée alors qu’avant il fallait prouver tout le concept, c’était au lance-pierre.

Sativa Blaze : En même temps en trois ans, il y a eu beaucoup de changements, comme la House of Moda qui était la première soirée où il y avait vraiment des drags. Il y a beaucoup de gens qui sont intéressés par le drag mais ne veulent pas forcément aller en soirée, qui veulent juste voir un show. La force de FUGLY, c’est que c’est vraiment un spectacle, on essaye de se démarquer en s’approchant du théâtre. On fait en sorte que les gens soient avec nous pendant deux heures de show.

Alice Psycho : Que ça ne soit pas un accessoire de la soirée.

Vous êtes de ce qu’on appelle la deuxième génération drag ?

Sativa Blaze : Calypso est de la première génération mais toutes les trois on est de la deuxième. C’est la génération qui a commencé il y a deux-trois ans, et on a eu un peu de chance de commencer là parce que là ça commence à devenir beaucoup plus établi, il faut faire ses preuves.

Alice Psycho : Il y en a qui y arrive parce qu’elles sont naturelles, qu’elles ont un personnage très drôle, auquel elles ont bien réfléchi même si ça ne ressemble pas encore à quelque chose. Mais on sent qu’elles ont un truc qu’elles peuvent apporter. Je pense à Babouchka, ou Etoile de merde, qui ont des personnages hyper décalés, assez drôles. Babouchka est très clown militant, c’est la Frigide Barjot du drag.

La Kahena © Marie-Sarah Piron

C’est aussi une génération plus inclusive.

Calypso Overkill : Ça c’est la nouvelle école.

Sativa Blaze : Il y a pas mal de drag queens qui sont femmes à côté.

Alice Psycho : As a side job. (rires)

Sativa Blaze : Je sais que dans certaines communautés elles ne sont pas bien accueillies.

Alice Psycho : Comme avec les propos de Ru Paul sur les femmes trans.

Sativa Blaze : Mais oui il y en a quelques-unes, elles sont considérées comme des drags et pas comme des meufs qui font du drag. Nous on est vraiment là-dedans.

Alice Psycho : Il y a même des drags qui ne ressemblent plus à l’idée qu’on se fait des femmes, qui sont des créatures, des aliens, des monstres. Il faut un personnage derrière, c’est un art de divertissement. Si tu postes juste une photo de temps en temps sur Insta et que tu performes jamais… C’est du drag de chambre.

Sativa Blaze : Les trois quarts font des looks géniaux mais c’est des make-up artists.

Le drag c’est du partage, c’est du relationnel.

Vous avez eu une formation théâtrale d’ailleurs ?

Sativa Blaze : Ah on a fait l’école du drag, comme tout le monde. Six mois de formation et hop la Drag Academy. (rires)

Alice Psycho : Moi j’ai fait du théâtre amateur pendant neuf ans mais je ne pensais jamais que ça allait me servir à faire du drag.

Calypso Overkill : Moi juste de la danse, et ma personnalité.

La Kahena : Moi j’ai fait de l’équitation. Non mais j’ai fait du théâtre aussi. C’est ce qui nous relie toutes les quatre c’est qu’on aime vraiment vraiment performer. On aime avoir un look et être très belle, maisla scène c’est notre priorité. Ça va moins nous poser de problème de ne pas forcément être parfaits physiquement mais de mettre en avant les histoires qu’on crée.

Sativa Blaze : C’est sur scène que nos personnages prennent tout leur sens.

Calypso Overkill : Il y en a une qui fume, l’autre qui est la grande modèle, l’autre la danseuse, l’autre le monstre. (rires)

Voir Aussi

C’est de l’empowerment chérie.

Sativa Blaze © Marie-Sarah Piron

C’est peut-être pour ça que vous êtes plus libres dans le personnage, que vous sortez des codes.

Sativa Blaze : Oui et non. En fait tout a déjà été fait dans le drag. Mais il y a tout à faire aussi.

Alice Psycho : Le grand défi c’est d’adapter ce qu’on fait sur scène aux questions qu’on se pose aujourd’hui. Maintenant il y a des femmes qui font du drag, des club kids qui performent dans des shows drag. On est une génération en quête d’identité qui est beaucoup plus concentrée sur qui on est, comment on explique qui on est, comment on veut être vu et considéré. Ça existe toujours le militantisme des droits LGBT du drag, mais j’ai l’impression que le curseur se déplace sur le débat de l’identité.

Vous avez une politisation consciente ?

Sativa Blaze : Alors elles sont très problématiques. (rires) Moi ça va je suis assez SJW.

Calypso Overkill : Je sépare le show de mes activités militantes.

Sativa Blaze : Oui tu dis pas que tu fais partie du FN.

© Marie-Sarah Piron

Après le fait de faire du drag c’est un acte politique en soi.

Sativa Blaze : C’est vrai que c’est un acte politique. C’est ce que je disais à la dernière FUGLY, c’est vraiment au fur et à mesure du temps, que le drag se développe, que la personnalité aussi, que tu comprends que tu t’inscris dans une espèce de mouvement politique complètement punk et anarchiste au final, qui respecte aucune des lois du genre qui ont été établies.

Tu te rends bien compte que tout ça c’est politisé. C’est une forme de résistance.

La Kahena : Je sais que je dis des choses problématiques mais c’est un acte politique, d’aller vers le truc qui va gêner. C’est ça quand tu es sur scène, tu as cent personnes concentrées sur toi et qui vont tout écouter, donc tu vas balancer un truc violent. Tu as toutes les réactions, des gens qui comprennent pas et d’autres qui vont se mettre à réfléchir. La perf que j’ai faite sur le modèle familial à la dernière FUGLY par exemple, c’était assez violent. J’ai pris un texte qui date de 1960 qui dit comment la femme doit se comporter avec son mari. Et encore j’ai coupé la moitié. Ça te le met dans la tronche et tu te dis « Oui les temps ont changé, mais en y réfléchissant il y a pas mal de choses qui ont pas tant changé que ça, et pas pour tout le monde. » Il y avait un passage qui disait « Les désirs de votre mari sont plus importants que les vôtres ».

C’est provoquer pour faire réfléchir.

Le bizarre ou le laid occupe une place assez importante dans vos performances. C’est beau d’être laid aussi ?

Calypso Overkill : Ça c’est ce que disent les gens moches. Ou les gens riches qui sont dans les standards de beauté.

Sativa Blaze : Queer ça veut dire « bizarre » d’ailleurs, c’est une insulte à la base.

Alice Psycho : Le bizarre on l’a à la fois dans notre esthétique et dans nos performances, dans nos shoots.

La Kahena : On aime bien ce qui sort de la normalité.

Calypso Overkill : Mais c’est quoi la normalité ? Allez on va philosopher.

La Kahena : Le drag, ça a côté un peu bipolaire parce qu’il y a des normes, et en même temps le principe c’est de sortir des normes. C’est de prendre les normes pour les briser, les modifier, les imposer. Nous sommes là pour dominer le monde : FUGLY 2020. (rires) On a un attrait assez fort pour la provoc.

Calypso Overkill : En même temps, on a un arabe, un juif, un immigré, un blanc… C’est le début d’une blague assez problématique ! On n’a même pas fait de casting, c’est le destin.

Alice Psycho : Plus personne ne nous parlait on a été obligées d’être amies.

Et on les retrouve le 22 février au Trac à partir de 21h pour la prochaine FUGLY Touze !

Remerciements à Marie-Sarah Piron pour les belles photos et La Station pour l’accueil et le magnifique cadre.

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.