La huitième édition de FAME, festival international du film sur la musique, se tiendra du 16 au 20 février à la Gaîté Lyrique. Caractérisé par sa programmation, toujours aussi passionnante qu’éclectique, de courts et longs métrages axés sur l’univers de la musique contemporaine, nous avons saisi l’opportunité de nous entretenir avec Olivier Forest et Benoît Hické, son commissariat artistique.
Le monde des salles obscures en France subit une véritable hécatombe depuis le début de la pandémie. La raison est bien évidemment liée aux restrictions sanitaires mais s’explique également au vu de nouvelles pratiques, développées par les plateformes de vidéo à la demande. Le CNC estime la chute de la fréquentation des salles de cinéma à près de 42% en comparaison à la conjoncture de janvier 2019. La situation pourrait néanmoins s’infléchir si le contexte sanitaire s’améliore. Pour sa part, le Film and Music Experience, plus connu sous son acronyme FAME, contraint de s’adapter au tout numérique l’année passée, revient pour sa huitième édition dans ses quartiers de la Gaîté Lyrique pour un événement en présentiel.
Ce sera l’occasion de profiter sur grand écran de sa fascinante sélection de films et documentaires qui regroupe des thématiques qui touchent aussi bien au punk, au rap ou à la folk, qu’à la musique électronique et même à la rumba pour célébrer l’accession de ce genre musical au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Mais le FAME festival c’est aussi des concerts et DJ sets, des projections pour les petits avec FAME Kids, ainsi que des tables rondes et conférences pour décrypter les nouvelles tendances et modes de consommation audiovisuelle.
Quelle a été l’impulsion initiale pour fonder FAME festival ?
Olivier Forest : Benoît et moi avions respectivement Musiquepointdoc et Filmer la musique. En 2013, nous avons décidé d’unir nos forces pour lancer un nouveau festival mû par la volonté de trouver des films un peu ambitieux et de proposer un programme inédit tous les ans.
Benoît Hické : Il y a également l’envie commune qui est partie du constat qu’un certain nombre de festivals de cinéma documentaire comptaient ouvrir des sections consacrées aux films sur la musique tels que le Cinéma du Réel, le Sundance ou le Tribeca. Notre veille nous a permis de constater qu’il y avait cet intérêt pour le cinéma documentaire, un petit peu institutionnel, consacré à des films traversés par la musique. Au-delà d’un effet d’opportunisme, cela nous a semblé intéressant, pertinent et dynamique, de contribuer à ce que ces esthétiques du documentaire musical soient proposées à un public français.
Olivier Forest : On trouvait certaines des programmations existantes peut-être un peu molles parfois et on avait vraiment envie d’explorer des formes plus audacieuses, qui traitent de vraies cultures underground, des sous-cultures, des minorités. On souhaitait rassembler un peu tout cela sans avoir peur de formes qui sortent du circuit commercial des salles ou de celui des plateformes. On peut très bien passer un film en partenariat avec Arte, ou d’autres qui vont ensuite sortir en salle, qui sont des productions robustes dans un circuit classique, mais on souhaitait aussi lorgner vers des formes plus indépendantes. C’est ce que l’on essaye de défendre également.
Ce n’était pas évident car la sortie d’un film musical en salle avait très mauvaise réputation puisque dans l’ensemble, ça ne fonctionnait jamais.
Olivier Forest
Quelle est la place des films sur la musique dans le paysage audiovisuel actuel ?
Olivier Forest : Il y a quelque chose qui a changé depuis environ une grosse quinzaine de mois. L’arrivée des plateformes a complètement bouleversé l’univers des documentaires musicaux qui, de mon expérience, n’intéressaient pas grand monde. Il y avait quelques sections dans les festivals mais c’était sensiblement toujours les mêmes films qui revenaient. Petit à petit, l’intérêt s’est accru et on espère que nos festivals y ont contribué, puisque cela fait quelques centaines de films qu’on a projeté avec nos divers projets.
Cependant, depuis l’arrivée des plateformes le domaine s’est réellement transformé. On observe une inflation de l’offre qui est évidente, mais également des moyens de production et de la surface de diffusion puisqu’on parle de sorties mondiales, alors qu’avant, le circuit était un peu confidentiel. Ce n’était pas évident car la sortie d’un film musical en salle avait très mauvaise réputation parce que dans l’ensemble, ça ne fonctionnait jamais. De plus, hormis des productions maison de 52 minutes, il n’y avait quasiment aucune diffusion télévisée. Là, il y a une véritable effervescence, il se passe vraiment quelque chose.
Par exemple, à Sundance, le film de Qwestlove, Summer of Soul, a complètement battu les records d’achats de documentaires. Avec les moyens qu’ont mis Apple TV pour le film sur Billie Eilish, on est aussi à plusieurs centaines de millions de dollars. La série sur Kanye West, prévue sur Netflix, bénéficie d’enveloppes qui sont absolument inédites dans le secteur du documentaire. On va par ailleurs étudier ce phénomène lors des rencontres professionnelles du festival qui s’intitulent : « Plateforme et nouveaux formats, vers un nouvel âge d’or du documentaire musical ? »
Si on avait pu passer la série sur Orelsan, on l’aurait fait, mais tout en proposant également des films d’auteur, de création, dans des budgets plus réduits.
Benoît Hické
Comment expliquer cet attrait croissant ?
Olivier Forest : Le rôle joué par les plateformes est vraiment essentiel. Elles classent leurs programmes en deux catégories, les acquisitions qui servent à acquérir de nouveaux abonné·es et les retentions, qui visent à les retenir lorsqu’iels sont déjà client·es. Les documentaires musicaux sont un parfait programme d’acquisition d’abonné·es. Par exemple, pour un documentaire sur Orelsan, Billie Eilish, Beyoncé ou Rihanna, ce sera un événement, soutenu par l’artiste et par ses accompagnants, et cela va indéniablement attirer les fans.
De plus, du côté des artistes et des maisons de disques, tout le monde trouve son profit dans ces films. Cela accorde plus de profondeur à son personnage, donne un accès à son intimité et lui permet d’aller aussi au-delà de ses fans Instagram pour toucher un public élargi. Les labels ont constaté qu’il y avait un réel intérêt puisque les streams augmentent, les visionnages et l’achat de places de concert également.
Benoît Hické : Heureusement qu’il y a des formes qui dévient de celles-ci et qui procèdent de l’art contemporain, du documentaire de création et dans tous les cas, ça reste du cinéma, même dans ses manifestations les plus contemporaines. C’est ce qui nous intéresse avec FAME. Si on avait pu passer la série sur Orelsan, on l’aurait fait, mais tout en proposant également des films d’auteur, de création, dans des budgets plus réduits.
Olivier Forest: Les formats se sont effectivement beaucoup réinventés. À un moment on avait d’un côté quelques documentaires indés et de l’autre, des documentaires broadcast qui étaient toujours sur le même format : un coup d’archive, puis interview devant la console de mixage du studio, un coup d’archive, à nouveau un coup d’interview. Là, avec des nouveaux modes de consommation et des nouveaux supports pour l’offre, les formats ont innové. On peut penser à des séries comme Lost in Traplanta sur Arte, où comme Montre jamais ça à personne sur Orelsan. On est dans un format de série, mais aussi de docu fiction en quelque sorte. Sinon, il y a aussi les réalisations en immersion, comme avec Angèle ou Billie Eilish, mais en tout cas, on est sortis du format « classique » pour se diriger vers des formes qui ont su s’adapter au mode de consommation à travers des épisodes, en changeant le type d’écriture pour réinventer la mise en scène. Les plateformes permettent également d’ouvrir un espace complètement inédit. La série de Peter Jackson sur les Beatles serait très compliquée à caser dans une grille de chaîne hertzienne et une sortie en salle aurait été inconcevable. Les formats innovants sont nés avec cette nouvelle fenêtre d’exposition. C’est ce qui est assez passionnant en ce moment.
Avec FAME, on aime bien faire rentrer l’énergie de la musique pour que ça vive aussi en dehors des salles.
Oliver Forest
Après un festival en ligne vous revenez avec votre formule habituelle. Quel bilan tirer de cette édition numérique ?
Benoît Hické : On est déjà très content d’avoir pu continuer à exister parce qu’il est essentiel de ne pas s’arrêter. C’est déjà ça le premier bilan. Malgré cette hybridité que l’on a acquise, on n’a pas eu envie un seul instant de réfléchir à une formule intégralement en ligne pour 2022. On est surtout très content de revenir à un événement avec un public en chair et en os qui, en plus, va venir au moment où les concerts reprennent. On organise un concert de Mathilde Fernandez au Centre Wallonie-Bruxelles, on est impatient d’y être.
Olivier Forest : C’est bien tombé que le 16 février on puisse de nouveau être debout parce qu’on a essayé de mettre sur pied une édition un peu joyeuse. Elle célèbre l’expérience de se retrouver en salle et pouvoir se commander un verre, fait partie de l’événement. Il y a les films mais il y a aussi pas mal de petites prestations annexes reliées aux films, dont la plupart sont gratuites. Par exemple, le concert de Vikken après la projection, un autre d’Emmanuelle Parrenin après la séance dédiée ou le Dj set du label secousse, 100% vinyles et centré sur la rumba, après la conférence sur le sujet. Astéréotypie seront également sur scène après L’Énergie positive des dieux. On retrouve un peu l’accent qu’on avait perdu dans l’édition numérique. Avec FAME, on aime bien faire rentrer l’énergie de la musique pour que ça vive aussi en dehors des salles.
Cette année on n’a néanmoins pas tout à fait lâché l’idée de proposer du contenu en ligne. L’Énergie positive des dieux, qui est suivie d’un concert du groupe dont il fait l’objet, va être en même temps accessible en ligne via le site de La 25ème Heure, qui fait de la distribution en ligne par le biais de salles virtuelles. On voulait quand même garder un petit pied dans les séances numériques parce qu’il me semble que ça a été apprécié par un public conséquent qui ne réside pas en région parisienne et qui manifestait l’envie que l’on puisse renouveler la formule cette année. La situation économique a cependant un peu changé depuis et autant les distributeurs avaient accepté l’année dernière, autant cette année, tout le monde souhaite revenir à des séances en salle. L’organisation virtuelle est devenue plus compliquée.
Sur quels critères choisissez-vous les films qui seront présentés ?
Benoît Hické : FAME n’a pas de thème en particulier, c’est un festival déjà très éditorialisé. Toutefois, comme chaque année dans le processus de programmation apparaissent des lignes de force. Une partie de notre travail consiste à ausculter la production en matière de documentaires musicaux annuels et essayer d’établir un parcours varié pour les spectateur·trices, qui soit le reflet de ce que l’on souhaite montrer. C’est-à-dire à la fois des aspects historiques, mais aussi le plus contemporain et le plus vif de la création, avec une réflexion sur les outils et sur ce que la musique désigne aujourd’hui.
Olivier Forest : En termes de programmation, on ne thématise pas spécialement, même si cette année il y a quand même un sujet très net qui se détache autour de la rumba congolaise. On crée un vrai focus dessus pour le festival avec les trois films [Bakolo Music International, Rumba Rules, nouvelles généalogies et The Rumba Kings], une table ronde, un Dj set. C’est un vrai événement.
Benoît Hické : La programmation procède d’une part de subjectivité, mais également de pragmatisme, on a des opportunités dont on discute ensemble. On se pose des questions en permanence sur notre position au regard de tous ces objets-là. C’est ce qu’on essaye de montrer avec ce festival, à la fois les découvertes que l’on déniche nous-même, mais on visionne aussi des films qui font le tour des festivals à l’étranger, on y est attentif. Si on observe que tel ou tel film a été sélectionné dans des festivals importants et qu’il n’a pas encore été projeté à Paris – ce qui signifie qu’il y a une attente derrière –, on ne s’interdit pas de le regarder et peut-être de le programmer.
Olivier Forest : Ce qu’on cherche aussi ce sont les films qui à la fois parlent de musique mais en même temps débordent un petit peu de ce cadre et vont aussi traiter d’autres choses à travers les lignes, d’une situation politique ou sociétale. Dans le film sur Charli XCX, il est également question d’un monde d’hyper connexion virtuelle qui est un peu la dernière étape avant le metavers. Ceux sur la rumba se réfèrent évidemment à la situation coloniale au Congo et à son indépendance. Le film sur Casual Gabberz parle, à travers le collectif qui s’interroge sur les positions radicales en musique et en art, de la radicalité sur l’échiquier politique.
Benoît Hické : Le film avec Vikken est une évocation de la transition et de l’éclosion d’un artiste, c’est un film qui nous a semblé remarquable, et ça n’avait sens de le montrer uniquement s’ il faisait lui-même une performance. Il fallait associer ce court-métrage avec un DJ set qui serait vraiment à l’image de sa musique. On avait beaucoup apprécié son concert au MaMA. On ne procède pas par quotas de sujets d’actualité parce que la musique est elle-même traversée par toutes ces problématiques.
/La 8ème édition du FAME Festival aura lieu du 16 au 20 février 2022/
Image de couverture : © Marie Rouge